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II 1 Hercule est ses héritiers dans les Punica

VI. 1. Pietas dans les Punica :

La notion de pietas est assez proche, sémantiquement, de celle de fides 434. Elle concerne essentiellement les engagements envers les dieux ( pietas erga deos) et envers la famille (pietas erga parentes). Elle peut également s'appliquer au niveau de l'Etat et se superpose au patriotisme en tant qu'un dévouement pour les règles instaurées par les maiores435. Elle peut également être associée à la iustitia,en tant qu'une inclinaison interne incitant à donner à chacun ce qui lui revient436. L'évolution sémantique du terme consiste en un glissement du sens premier ( exactitude rituelle ) vers le sens de « disposition intérieure au Bien moral », censée avoir comme récompense l'assurance de la faveur divine. A l'époque augustéenne, cette qualité est hissée sur le clipeus virtutis, devenant ainsi une vertu souveraine, et elle jouit d'une faveur toujours accrue à l'époque flavienne.

Le poète épique accorde une place de choix à cette vertu dans son épopée. Elle est le moteur de l'action car l'entreprise militaire du Punique pose directement le problème de l'adéquation de l'action humaine à la volonté des dieux et la question de la transgression d'un

434 J.Hellegouarc'h, op cit, p 276 assure « Pietas est sur le plan relig ieux ce qu'est sur le plan juridique fides » 435 Cic Phil.XIII,46 « Denique summa iudicii mei spectat huc, ut meorum iniurias ferre possim, si aut obliuisci

uelint ipsi fecisse aut ulcisci parati sint una nobiscum Caesaris mortem.' Hac Antoni sententia cognita dubitaturumne A.Hirtium aut C-Pansam consules putatis, quin ad Antonium transeant, Brutum obsideant, Mutinam expugnare cupiant? Quid de Pansa et Hirtio loquor? Caesar, singulari pietate adulescens, poteritne se tenere, quin D- Bruti sanguine poenas patrias persequatur? Itaque fecerunt, ut his litteris lectis ad munitiones propius accederent. Quo maior adulescens Caesar maioreque deorum immortalium beneficio rei publicae natus est, qui nulla specie paterni nominis nec pietate abductus umquam est et intellegit maximam pietatem

conseruatione patriae contineri. Quodsi partium certamen esset, quarum omnino nomen extinctum est,

Antoniusne potius et Ventidius partes Caesaris defenderent quam primum Caesar, adulescens summa pietate et memoria parentis sui, deinde Pansa et Hirtius, qui quasi cornua duo tenuerunt Caesaris tum, cum illae uere partes uocabantur? Hae uero quae sunt partes, cum alteris senatus auctoritas, populi Romani libertas, rei publicae salus proposita sit, alteris caedes bonorum, urbis Italiaeque partitio? » «Enfin ma détermination

arrêtée est de tolérer les offenses que m'ont faites mes amis, s'ils veulent oublier eux-mêmes qu'ils me les ont faites, ou s'ils sont prêts à venger avec nous la mort de César." En apprenant cette résolution d'Antoine, pensez- vous que les consuls A. Hirtius et C. Pansa hésiteront un moment à se rendre auprès d'Antoine? à serrer de prés Brutus? à pousser vigoureusement le siège de Modène? Mais pourquoi parler de Pansa et d'Hirtius? César, ce vertueux jeune homme, pourra-t-il s'empêcher d'aller chercher dans le sang de D. Brutus l'expiation du meurtre de son père ? Aussi, dès qu'ils ont lu cette lettre, ils se sont rapprochés des retranchements d'Antoine; et le jeune César, en cette occasion, s'est montré d'autant plus grand, d'autant plus véritablement prédestiné par la faveur divine pour le bien de la république, que le spécieux prétexte du nom de son père n'a pu donner le change à sa piété filiale. Il sait bien que la véritable piété réside dans le salut de la patrie. S'il s'agissait d'une guerre entre les partis dont le nom est désormais complètement effacé, seraient-ce Antoine et Ventidius qui défendraient le parti de César, ou bien en première ligne le jeune César, si vertueux et si plein du souvenir de son pèr? Puis Pansa et Hirtius, qui se tinrent toujours aux deux côtés de César tant qu'il y eut véritablement des partis? Mais à présent quels partis existent, quand l'un a pour but l'autorité du sénat, la liberté du peuple romain, le salut de la république, et l'autre le carnage des gens de bien, le partage de Rome et de l'Italie? »

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143 interdit. Le champ de l'impietas est mobilisé par le poète autour du Barcide car celui-ci

méprise la volonté de Jupiter et les traités de guerre.

Scipion sauvant son père : cela permet à Silius de couler Scipion dans le moule d'Enée. La

pietas de Scipion se définit par une acceptation délibérée de la mission dont il est investi. Il

est l'instrument volontaire d'un ordre cosmique patiemment découvert et courageusement accepté. L'impietas d'Hannibal a dominé la première hexade, car sa guerre est perçue comme injuste.La pietas de l'Africain apparaît comme une réponse positive à l'agression brutale du Carthaginois.

La notion positive de pietas se serait mise en place dans l’épopée comme une réponse positive à l’agression impie d’Hannibal contre Jupiter et le Capitole.Traiter de la pietas dans l'épopée silienne, c'est évoquer la dette du poète flavien envers son modèle, Virgile. L'épisode du futur Africain portant secours à son père en le transportant sur sur son dos437 est la manifestation la plus perceptible de cette dette. Cette mise en scène de la pietas, vertu souveraine de l'épopée virgilienne, correspond à la tonalité morale de l'épopée de Silius. En effet, Virgile a hissé la pietas au rang de vertu morale souveraine à travers le personnage du

pius Aeneas. Beaucoup de commentateurs se sont penchés sur l’étude de la pietas dans

l’optique virgilienne438

. P. Boyance souligne le lien indéfectible entre piété filiale et piété à l’égard des dieux qui caractérise la piété du fils d’Anchise: « la pietas d’Enée est donc bien…

pietas envers Anchise. Elle n’en est pas moins surtout pietas envers les dieux. Anchise lui-

même n’est que le premier intercesseur entre les dieux et Enée »439

. H.Fugier explique la piété d’Enée comme la qualité morale supérieure de celui qui s'acquitte de la mission historique qui lui a été assignée440. Quant à J.-P.Brisson, il explique que la piété d’Enée ne se

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Silius Italicus, Punica, IV, 454-479.

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C. Bailey, Relgion in VIrigil, Oxford, 1935, p. 79 sq ; H. Fugier, Recherches sur l’expression du sacré dans la

langue latine. Paris, 1963, p.-391-414 ; P.Boyancé, La religion de Virgile, Paris , 1963, p.58 -80 ; N. Mosceley, Pius Aeneas, CJ,20 (1924-25) p. 387-400 ; 400 ; W.B.Anderson, Sum pius Aneas, CR,XLIV (1930) p.3sq ; P.

Fécherolle, la pietas dans l’Eneide, LEC,II (1933) p.167-181 ; J.-P. Brisson, « Le pieux Enée !», Latomus XXXI (1972) p. 379-412 ; J. Hellegouarc’h, Pius Aeneas : une retractatio, in Res Sacrae. Hommages à Henri le

Bonniec, Bruxelles, 1988 ; p. 267-274.S. Farron, Pius Aeneas in Aeneid 4.393-6 dans Studies in Latinlittérature and Roman History, VI, Bruxelles, p.260-276.

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Loc cit, p 67.

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144 réduit pas à une soumission volontaire et dévouée à son géniteur, mais c’est un sentiment d’adhésion totale à l’œuvre historique qui lui fut confiée : « elle (la piété) le fait agent conscient d’un ordre cosmique patiemment découvert et généreusement accepté ». Pour J. Hellegouarc’h, la pietas d’Enée apparaît comme le prestige dû à ses qualités et traduit ses vertus morales supérieures. Globalement nous retenons que la pietas d’Enée se définit comme une concrétisation progressive et consciente de son destin, présenté comme une mission historique dont la révélation est rendue possible par une relation privilégiée avec le Divin.

Le champ lexical de l’impietas est mobilisé par le poète autour du personnage d’Hannibal ; car son entreprise pose directement le problème de l’adéquation de l’action humaine à la volonté des dieux et la question de la transgression d’un interdit.

Le caractère impie de l’entreprise du Barcide est souligné dès les premiers vers.

Hannibal n’apparaît pas pour autant impius dans ses relations avec ses proches: la fidélité du Barcide à l’esprit transmis par son père, est indirectement une forme de pietas. Le fait que le mot de pietas soit absent ne signifie pas que la présence de cette qualité soit niée.

Par ailleurs, le mot pietas n’est jamais employé dans les Punica à propos du Barcide, car la

pietas suppose une communion intime et une coopération effective avec le divin.

Hannibal supervise et exécute tous les rites qui accompagnent les entreprises militaires avec une scrupuleuse observance des rituels sans lesquels son action serait inefficace. Mais, les signes divins sont plus recherchés comme des encouragements à une disposition intérieure préexistante que comme des instructions sur la conduite à tenir.