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II 1 Hercule est ses héritiers dans les Punica

IV. 2. a Hannibal et Mars

« …..permixtus utrisque

Hannibal agminibus passim furit et quatit insem… Quantus Bistoniis late Gradiuius in oris

Belligero rapitur curru telumque coruscans, Titanum quo pulsa cohors, flagrantia bella Cornipedum afflatu domat et stridoribus axis »329

(« …il se mêle aux deux armées et s’y déchaîne, brandissant l’épée… pareil à Gradivus sur son char de guerre, lorsqu’il parcourt les pays des Bistons en brandissant l’arme étincelante qui dispersa la troupe des Titans, et règle l’intensité des combats du souffle de ses chevaux et du cri strident de ses roues »)

L’assimilation du Punique à Mars est confirmée à d’autres endroits du récit par plusieurs allusions. En I,40 ; Hannibal est qualifié de « sanguiniuns », qui est une épithète traditionnelle du dieu de la guerre330. En V, 379 et 538, Hannibal est comparé à un ouragan, ce qui rappelle

329 Silius Italicus, Punica, I, 427-436.

330

Virgile, Enéide, XII, 330-332. ( Il écrase des bataillons; des piques qu'il saisit, il crible les fuyards. Ainsi Mars sanglant, lorsqu'il s'ébranle près du cours de l'Hèbre glacé,

107 l’évocation d'Arès chez Homère331

. Le rapprochement entre Hannibal et Mars jalonne les deux premières hexades et disparaît totalement dans la dernière partie de l’œuvre quand Scipion remplace définitivement le Punique dans la comparaison avec le dieu guerrier.

Dans l’épisode du Tessin, Mars porte secours au jeune Scipion, à la demande de Jupiter332. Puis, il prédit à Scipion son glorieux destin333 . Silius attribue à Mars un rôle qui rompt avec les traditions homérique et virgilienne (chez Virgile, Mars est impartial à l’instar de l’Arès homérique. Il soutient par moments les Troyens334 et dans d’autres moments les Latins335 . Chez Silius, en revanche , Mars est du côté des Romains 336. Le dieu apparait ici dans son rôle de dieu national romain et père du fondateur légendaire de Rome (I, 634 : « Sacrata gens

clara fide, quam rite fatentur /Marte satam »). Silius se souvient certes ici d'Ovide, quand

celui-ci montre le dieu de la guerre réclamant à Jupiter l’apothéose pour son fils qui deviendra Quirinus337. Mars est dans les Punica, un dieu ouvertement pro-romain; il est tout particulièrement le protecteur du futur Africain. Ceci bat en brèche l’assimilation du Punique à cette divinité. Cela apparaît clairement lors de la bataille de Cannes338, quand le dieu guerrier intervient pour soutenir Scipion contre le Carthaginois et livre un combat contre Athéna qui est la protectrice du Carthaginois. Scipion semble bénéficier d’un lien personnel privilégié avec le dieu de la guerre. Ceci éclaire davantage l’épisode final339

(XVIII, 486-490)

« Ipse super strages ductor Rhoeteuis instat.

Qualis apud gelidum currus quatit altior Hebrum

fait retentir son bouclier) « proterit aut raptas fugientibus ingerit hastas.Qualis apud gelidi cum flumina

concotus Hebri sanguineus Mauros clipeo increpat atque furentis »

331Homère, Iliade, XX, 50-51.«

ἄλλοτ᾽ ἐπ᾽ ἀκτάων ἐριδούπων μακρὸν ἀΰτει./ αὖε δ᾽ Ἄρης ἑτέρωθεν ἐρεμνῇ λαίλαπι ἶσος/ ὀξὺ κατ᾽ ἀκροτάτης πόλιος Τρώεσσι κελεύων »(Tantôt sur le rivage retentissant; et longs sont ses

cris; alors cria de son côté Arès, comme la sombre tempête, avec une voix perçante, du sommet de la ville exhortant les Troyens,)

332Silius Italicus, Punica, IV, 420 sq. 333Silius Italicus, Punica, IV, 471-477. 334

Virgile, Enéide, XI, 899 ; XII, I.

335Virgile, Enéide, IX, 717 ; X, 21.

336Silius Italicus, Punica, IX, 290 ; XII, 716.

337Ovide, Métamorphoses, XIV, 167 sq. ; Fastes, II, 475 sq. 338

Silius Italicus, Punica, IX, 439 sq.

108

Et Geticas soluit fervente sanguine Mauros

Laetus caede nives, glaciemque Aquilonibus actam Perrumpit stridens sub pondere belliger axis »

(Le chef rhéteen, lui, domine ce massacre, pareil à Mars qui se complait dans les carnages, lorsque debout sur son char, il fait fondre sous la chaleur du sang les neiges du pays des Gètes, et que le char de guerre, grinçant sous le poids, brise les congères qu’a formées l’Aquilon.)

L’image du chef de guerre romain dominant la mêlée rappelle le gigantisme de Mars340 dont Scipion semble hériter ici. L’expression « Laetus caede » renvoie au topos homérique d’Arès se réjouissant dans les combats341

. Ici, Mars ne vient pas assister son protégé comme il l’a fait au Tessin et à Cannes, car celui- ci est devenu d’une certaine manière son égal. En résumé, Mars est comparé au héros romain dans le combat final de l’épopée qui voit la victoire de la force guerrière au service du bien sur la violence ténébreuse de l’impiété. La comparaison consacre la suprématie militaire du jeune héros romain au détriment du chef punique. Si Mars avait aidé Scipion et si Jupiter souhaitait dès le début le succès de celui-ci, ils n’interviennent pas, pour autant, dans l’épisode final et s’en remettent pour ce combat ultime à la valeur guerrière bien affermie du jeune chef romain. Par contre, Junon doit encore intervenir pour soustraire son protégé – Hannibal - aux coups des Romains et le sauver. Le Punique perd ainsi définitivement son statut illusoire de Mars alter. La comparaison divine finale est l’apanage du Romain. Le Punique n’y a pas droit, car il défend les instances du mal.

La comparaison ultime de Scipion au dieu guerrier consacre sa prise en charge de la fonction des dieux et contribue à la magnifier davantage. L'Africain supplante son protecteur divin. Il prend en main la protection de sa partie et du nom romain.

Silius s’écarte de la tradition homérico- virgilienne d’un Arès / Mars impartial en proposant une image du dieu Mars comme père de la nation romaine. Mars et son protégé Scipion, « pius ultor » se bat pour venger son père et son oncle (« patrui…/ idem ultor patrisque

necem », « uobis ultor ego)342. Hannibal est comparé à Mars seulement pour son esprit belliqueux. Mais il perd ce statut du fait de son impiété. Scipion ne se réjouit pas de faire la

340Silius Italicus, Punica, IX, 450. 341

Iliade, V, 581.

342

109 guerre pour elle-même343 , mais le fait dans l'intention de servir une juste cause, ce qui l’emplit d’allégresse dans les combats344

. Quant à Hannibal, son assimilation au dieu de la guerre reste superficielle chez Silius. Hannibal s’arroge, au moment de ses victoires, l’image du dieu guerrier et du héros de Tirynthe, mais Scipion revêt dans le chant final les traits de Mars et d’Hercule grâce à sa double supériorité morale et militaire. Les comparaisons entre Scipion et Hercule sont complétées par celles entre Mars et Scipion. Les deux comparaisons sont donc complémentaires. Elles se rejoignent dans l’image finale pour consacrer l’apothéose symbolique de l’Africain.

L’ardeur guerrière martiale d’Hannibal est pervertie car elle n’est pas canalisée par les vertus morales. Le Punique serait à la fois un anti-Mars et un anti-Hercule.