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La regia lirica de Giovanni Pol

Dans le document Les contre-ut de la Sibylle. Mythe et Opéra (Page 194-197)

Né en 1917 et mort en 1979, Giovanni Poli est actif à Venise après la deuxième guerre mondiale. Il crée et dirige le Teatro Universitario di Ca’ Foscari entre 1946 et 1962, puis le Teatro a l’Avogaria (1968-1979) dans l’idée de travailler avec des acteurs non professionnels à la découverte de la tradition vénitienne de la Commedia dell’arte. Mais son travail sur le théâtre parlé s’accompagne tout au long de sa carrière du théâtre lyrique professionnel. Poli est appelé à mettre en scène de nombreux opéras dans des théâtres prestigieux comme La Fenice de Venise, ou bien le Teatro dell’Opera de Rome avec grand succès.

À un journaliste qui lui demande les raisons de ce compromis insolite pour un artiste qui a consacré toute sa vie à la recherche théâtrale, Poli répond : « C’est le prix à payer dans la vie ! Mis à part mes accointances avec le théâtre musical, j’enseigne depuis longtemps la musique-parole, basée sur une ouverture mélodique plus colorée que la voix normale, un investissement plus grand du chœur dans une dynamique et un phrasé

qui recèlent l’art du son »16. En réalité l’engagement artistique de Poli

dans le théâtre d’opéra italien n’est pas si superficiel et détaché. Il rédige par exemple l’article « Regia Lirica » pour l’encyclopédie de la musique

éditée par Ricordi en 196417. On peut s’étonner qu’on lui ait confié cette

tâche, si l’on considère que, malgré son activité de directeur artistique de deux théâtres à Venise et d’un autre à Milan, d’auteur et de metteur en scène d’une centaine de spectacles de théâtre et d’opéra, de formateur et de pédagogue de nombreux jeunes acteurs, il est aujourd’hui relégué à la page 462, note 87, dans ce qui est considéré en Italie comme la

bible du théâtre du XIXe siècle italien Fondamenti del teatro italiano

de Claudio Meldolesi18. Heureusement Bruno Schacherl n’oublie pas de

dédier à Poli, à l’occasion de la mise à jour de l’encyclopédie du spectacle

16 Giovanni Poli, in Non si va a teatro soltanto per ridere, « Il Piccolo », 19 febbraio 1972.

17 Giovanni Poli, « Regia Lirica », in Enciclopedia della Musica, Milano, Ricordi, 1964,

pp. 549-551.

18 Claudio Meldolesi, Fondamenti del Teatro Italiano. La generazione dei registi, Roma,

(1955-65), un profil historique et critique fort suggestif19.Nous pouvons

lire à propos des lignes directrices et des centres d’intérêt de l’artiste que : « Poli poursuit plutôt son idée abstraite de teatro puro fondé sur trois éléments : la parole-musique, basée sur une ouverture mélodique plus large que la voix normale, une sorte de récitatif ; le geste-danse, comme rapport rythmique des lignes verticales en mouvement ; et la

lumière-couleur sur les bases de l’abstraction scénographique »20. Voilà

les trois principes sur lesquels Poli fonde sa fervente activité de metteur en scène à la fois de théâtre et d’opéra. Il affirme dans son essai à propos de la regia lirica que « l’application des théories scéno-techniques les plus avancées du théâtre parlé a donné lieu à une production spectacu-

laire d’opéras »21 et confirme ainsi qu’il n’y a pas de discordance entre

les deux typologies de mise en scène.

L’auteur écrit sa notice quelques années après sa grandiose mise en scène de l’Amore delle tre melarance de Prokofiev dans laquelle il a pu, bien évidemment, vérifier sur scène ses convictions théoriques. Selon

Poli, dans cet opéra produit pour l’inauguration du Ve Festival de Spo-

lète en 1962, Prokofiev « propose le renouvellement du théâtre lyrique, qui, plus encore que le théâtre parlé et afin d’échapper à la décadence,

nécessite de l’imagination et de l’improvisation»22, bien que ce ne soit

peut-être pas ce spectacle qui dégage le potentiel imaginaire de Poli. Ce sont les deux mises en scène de Mefistofele (1968 et 1970) qui lui donnent l’occasion d’affirmer une invention et une expérimentation antinaturalistes.

Mais qu’appelle-t-on mise en scène d’opéra en Italie à la fin des années 1960 ? Poli nous renseigne à ce sujet : « Jusqu’à il y a une dizaine d’années, la mise en scène lyrique était confiée à l’empirisme de la tra- dition. C’est seulement grâce au travail de certains metteurs en scène provenant du théâtre parlé et donc initiés aux nouvelles conceptions progressistes de la scène (en Allemagne et en Russie depuis la première guerre mondiale et en Italie seulement après la deuxième) qu’elle a

19 Bruno Schacherl, « Giovanni Poli », in Enciclopedia dello spettacolo, Aggiornamento

1955-65, Roma, Unione editoriale, 1966, p. 883-885. 20 Idem, p. 884.

21 Giovanni Poli, « Regia Lirica » cit., p. 449.

22 Giovanni Poli, Prefazione e Mischa, document dactylographié retrouvé dans les

archives privées de la famille Poli, rédigé après 1962 date de la mise en scène de l’opéra de Prokofiev.

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acquis une fonction consciente au sein du spectacle et une physiono-

mie esthétique »23. Poli voit en Adolphe Appia et dans l’anglais Gordon

Craig les premiers théoriciens de cette nouvelle forme artistique. Il est important de souligner ainsi que dans le domaine proprement opératique le concept de mise en scène sanctionne l’interdépendance du metteur en scène et du chef d’orchestre qui sont pour Poli « deux facteurs opérant dans le même climat-milieu tonal de l’opéra, mais se manifestant par

des moyens d’expression totalement indépendants »24.

Les seuls moyens propres au metteur en scène sont, selon lui, la scène et l’acteur ; la scène entendue non seulement comme environnement physique mais surtout comme un ensemble de lignes, de couleurs et de lumières ; la scénographie doit donc nécessairement participer au contenu d’inspiration de l’opéra et à son développement dramatique. Ainsi s’explique le lien étroit qu’il établit avec son scénographe fétiche Mischa Scandella. Dans sa notice Poli s’interroge longuement sur les modes d’expression de l’acteur. En effet, il n’existe pas de théories sur la fonction expressive du geste du chanteur lyrique. Les chanteurs de la tradition ont toujours utilisé le geste de manière abstraite dans une fonction purement physique au service de leur respiration. Pour combler ce manque, Poli va adapter les nouvelles méthodes du théâtre d’avant-garde, notamment celles de Craig et de Stanislavski, au théâtre lyrique. À la fin de son essai, Poli souhaite que la mise en scène du théâtre lyrique parvienne à se libérer des limites d’une tradition qui est désormais arrivée au point ultime de sa décadence, dans la perspective de la naissance du nouvel opéra.

C’est dans les mêmes années que Poli écrit son manifeste de poétique et qu’il se consacre intensément à la création d’opéras. Il réalise en une décennie vingt-deux mises en scène dans les plus importants théâtres d’Italie (doc. 2).

Par conséquent Poli n’est pas seulement « l’auteur de certaines expé- riences trop facilement oubliées sur la tradition des zanni », comme le

définit Ferdinando Taviani25, mais un homme de théâtre complet, un de

23 Giovanni Poli, « Regia Lirica » cit., p. 449. 24 Idem.

25 Ferdinando Taviani, « Commedia dell’Arte (influenze della) », in Enciclopedia del

ces personnages mystérieux et fascinant à la fois qui ont consacré toute

leur vie au théâtre, devant devenir « l’église de l’homme d’aujourd’hui »26.

Dans le document Les contre-ut de la Sibylle. Mythe et Opéra (Page 194-197)