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L’opéra sur les scènes contemporaines

Dans le document Les contre-ut de la Sibylle. Mythe et Opéra (Page 155-160)

D’après une lettre que Rossini aurait écrite à sa mère le lendemain de la première, il était tout de même sûr que l’opéra serait compris cent ans plus tard. Toutefois, il a fallu attendre presque cent soixante ans pour qu’Ermione revienne sur le devant de la scène. Il réapparaît en 1977

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dans une version de concert à l’église de l’Annunziata de Sienne, sous la direction de Gabriele Ferro ; un autre concert suit cette représentation en 1980 à Padoue. Pour la première véritable reprise à la scène il faudra attendre le Rossini Opera Festival de Pesaro de 1987 qui propose une production de Roberto De Simone dirigée par Gustav Kuhn. Durant les trente années qui séparent la version de concert de la dernière mise en scène, l’opéra n’a été joué que très peu de fois, et surtout dans les pays anglo-saxons. En Italie, aujourd’hui, on ne compte que deux autres productions : celle de Rome de 1991 signée Hugo de Ana et celle de Pesaro de 2008 signée par les cousins Abbado. Parmi les représentations à l’étranger, on peut citer le concert donnée en 1992 au Queen Elisabeth Hall, la mise en scène de Graham Vick pour le Festival de Glyndebourne de 1995 et les représentations américaines à San Francisco (1992), à Omaha (1992), à Santa Fe (Jonathan Miller-Evelino Pidò, 2000), au New York City Opéra (Copley, 2004) et à Dallas (2004). Dans les rôles principaux on peut rappeler les différentes Ermione incarnées par Cecilia Gasdia (enregistrement dirigé par Claudio Scimone), Anna Caterina Antonacci (Rome, Londres, Buenos Aires, Glyndenbourne) et Sonia Ganassi ; Chris Merritt et Gregory Kunde comme interprètes de Pirro et Rockwell Blake et Bruce Ford dans le rôle d’Oreste.

La première production que j’analyserai est celle de Roberto De Simone pour le Rossini Opera Festival de 1987, première mise en scène contemporaine d’Ermione. Dirigée par Gustav Kuhn, elle affichait d’une distribution exceptionnelle composée de Montserrat Caballé, Marilyn Horne, Chris Merritt et Rockwell Blake. Le metteur en scène décide de réhabiliter le thème politique de l’opéra en faisant se dérouler l’action à l’époque où l’œuvre fut composée. Le metteur en scène explique à Matilde Passa de « L’Unità » que :

È l’epoca della dura repressione borbonica, quando si restaura il potere assoluto dopo il ’99 e il periodo murattiano. Non credo che sia un caso che Barbaja e Rossini abbiano scelto proprio L’Andromaca di Racine. Pirro è rappresentato come un simbolo della centralità e della verticalità del potere assoluto, così abbiamo scelto con Enrico Job di ambientare l’opera all’epoca in cui fu rappresentata. Ecco allora i prigionieri troiani vestiti da lazzari napoletani e il coro nei panni di cortigiani borbonici. Per i protagonisti della vicenda, invece, immagini e costumi dal ‘teatro del coturno’, secondo un gusto tipicamente neoclassico13.

Le choix de cette période permet de mettre un accent particulier sur la mort de Pyrrhus, considéré comme le régicide d’un monarque absolu, ce qui ne passait sûrement pas inaperçu auprès des spectateurs de l’époque à laquelle l’opéra a été représenté pour la première fois.

Le décor, sobre et à la fois somptueux, se compose d’une structure fixe constituée par des cadres concentriques en bois et stucs blancs à effet de perspective, devant lesquels s’ouvre un portail comme celui des

palais nobles de Naples du début du XIXe siècle. Ce que De Simone et

le scénographe Enrico Job proposent est un effet une ambiance fictive et antiréaliste de goût néo-classique ; cependant il ne s’agit pas seule- ment d’opérer un choix esthétique aux formes pures, pourtant si chères au metteur en scène napolitain, mais aussi de montrer l’hellénisme et le mythe, propre à cette culture, à travers les yeux de Rossini et de son époque. Toujours dans cette ligne interprétative, l’immutabilité et la perfection des formes architecturales contrastent avec les fortes passions des personnages, exprimées plus par la musique qu’à travers le jeu scénique, réduit au minimum pour laisser la place aux émotions musicales. C’est un choix dû sans doute à la formation musicale de De Simone qui affirme avoir abordé cet opéra « con tutto il rispetto possibile e un desiderio apprensivo di rendere al massimo la visualizzazione di

un capolavoro di musica… »14.

Quatre ans plus tard, en 1991, l’opéra de Rome décide de program- mer Ermione dans une mise en scène par Hugo de Ana, crée pour le Théâtre de la Zarzuela de Madrid, dirigé par Evelino Pidò. Dans les rôles principaux Anna Caterina Antonacci, Gloria Scalchi, Chris Merritt et Rockwell Blake. De Ana, qui signe aussi la scénographie et les costumes, a cherché à souligner l’ambiance sombre de l’opéra, en s’inspirant de la ville de Pétra, ancienne cité de l’actuelle Jordanie, dont les façades monumentales de nombreux bâtiments sont directement taillées dans la roche, de la couleur du sable. Le décor se compose ainsi d’énormes ruines qui rappellent d’anciennes gloires, dont celles des ancêtres des personnages et de l’époux d’Andromaca. Les costumes, en revanche, sont moins connotés et présentent des éléments à la fois berbères et romains. Le jeu scénique est plus expressif que dans la production de De Simone, et Ermione, dans son agressivité, son impétuosité, sa jalousie violente à l’égard d’Andromaca et ses rares manifestations de tendresse, apparaît comme une véritable héroïne tragique. La grande scène de l’acte

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II se colore de teintes encore plus sombres, la tension étant couronnée par la mort d’Ermione. De Ana choisit en effet de ne pas respecter le finale de Tottola et de revenir à celui de l’Andromaque de Racine avec le suicide (en scène) de la protagoniste, considéré plus cohérent avec la psychologie du personnage.

Nous retrouvons Anna Caterina Antonacci dans le rôle-titre de la pro- duction de Graham Vick de 1995 pour la Glyndebourne Opera Festival, dirigée par Andrew Davis. Les autres interprètes sont Diana Montague (Andromaca), Bruce Ford (Oreste) et Jorge Lopez-Yanez (Pirro). Le metteur en scène et le scénographe Richard Hudson ont choisi de situer le décor de l’opéra en Angleterre, à l’époque victorienne, en rapprochant l’action du public du festival, qui découvrait pour la première fois le Rossini sérieux. Une fois supprimée toute référence à la guerre de Troie et à la Grèce, le décor représente l’auditorium fastueux d’une maison d’opéra à l’italienne, tandis que dans la première et dans la dernière scène, cette même structure cylindrique devient une immense colonne métallique dont on pourrait supposer qu’il s’agit d’un gros pilier situé dans le sous-sol du théâtre. Cette construction occupe presque toute la scène et se situe sur un plan fortement incliné, ce qui donne l’impression d’un effondrement que Serge Martin, du quotidien belge « Le Soir », interprète comme « le poids du destin et […] l’image même du genre de

l’opera seria qui vacille sous les coups du romantisme naissant »15. Il

s’agit de toute façon du symbole de la catastrophe qui se prépare, car il renvoie à une sensation d’instabilité et d’impatience. Les personnages sont assez caractérisés : une Andromaque très maternelle, un Pirro majestueux, un Oreste déchiré et exalté et une Ermione très expressive dans ses fureurs et ses regrets.

Le dernier Ermione, chronologique parlant, est celui présenté à l’Adria- tic Arena du Rossini Opera Festival 2008 par les cousins Daniele (mise en scène) et Roberto (direction) Abbado. La lecture néo-classique du chef contraste avec la vision expérimentale et expressionniste du metteur en scène qui cherche à actualiser le récit sous le signe du tragique. Le décor abstrait de Graziano Gregory se compose d’un plateau incliné, de panneaux mouvants et de blocs monochromes qui s’ouvrent sur des souterrains. Il rappelle un bunker et met en premier plan la chute morale et sociale d’Ermione et la captivité des troyens rescapés, que soulignent

15 Serge Martin, «La clemenza di Tito» de Mozart et l’»Ermione» de Rossini, nouvelle

aussi les costumes de Carla Teti, de style militaire, qui rappellent à la fois les nazi-fascistes et la dictature grecque des colonels (1967-1974).

La mise en scène tend à styliser les scènes et le jeu scénique pour mettre en relief le caractère des personnages, en particulier celui de Pirro, qui apparaît comme un tyran arrogant mais aussi comme un manipulateur amoureux, cynique et pervers, et celui d’Ermione, femme psychotique, qui nous montre que la passion, quand elle dégénère, peut nous amener à commettre des atrocités. Cette interprétation scénique est complétée par des éléments qui rappelent les œuvres d’Otto Dix et les films expres- sionnistes allemands : des masques déformés, des éphèbes enchaînés à tête de chien… Encore une fois c’est le choix du finale qui différencie cette mise en scène des autres : Abbado le rend encore plus effrayant en montrant le corps de Pirro égorgé et accroché au mur.

Si la tragédie de Racine et l’opéra de Rossini et Tottola respectent, à leur manière, les normes tragiques et la matière mythologique, tout en les adaptant à leur époque et à une différente forme artistique, les quatre productions contemporaines en font une utilisation très différente, s’éloignent toutes de la tradition tragique : si De Simone repropose le

mythe filtré par la culture du XIXe siècle, de Ana préfère y revenir à

travers le texte de Racine, en changeant le finale et dérogeant, avec le suicide de la protagoniste, à la règle de ne pas montrer la violence sur scène ; cela est encore plus évident dans la mise en scène d’Abbado qui montre le corps mutilé de Pirro ; quant à Vick, les références à la tradition légendaire grecque sont complètement effacées.

Odysseus et Ulysse : fragments du mythe

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