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Le redoublement à Genève : l’opinion positive des professionnels de l’enseignement quant à l’efficacité du redoublement

Il apparaît intéressant de relever qu’en Suisse, dans les années nonante, les deux villes où l’on pouvait constater un nombre important de redoublements étaient Genève et Neuchâtel. Allal et Schubauer-Leoni (1992) expliquaient ce constat en émettant deux hypothèses : la première est que le taux d’enfants non francophones est plus élevé à

Genève, la seconde penche vers une acceptation du redoublement de la part des enseignants genevois dans la mesure où faire doubler un enfant permet une meilleure conformité des élèves d’une même classe. Les auteures ont aussi observé un accroissement important du taux de redoublement en division élémentaire. Il semblerait que cette mesure décidée pour un enfant en bas âge soit jugée convenable, positive et préventive. De plus, la rénovation de l’enseignement du français n’accorderait plus suffisamment de temps aux enfants pour acquérir la lecture, ce qui représente un motif récurrent de redoublement. Mastroianni et Dallafiora (2007) qui ont mené une recherche notamment en division élémentaire démontrent que 35% des enseignants genevois (n=40) semblaient encore favorables au redoublement, dans la mesure où, selon eux, l’élève qui n’a pas acquis les bases de l’apprentissage de la lecture sera pénalisé tout au long de sa scolarité. De plus, ces derniers ajoutent que les conséquences sociales sont moins importantes lorsque les élèves sont en bas âge. Cela a donc permis aux auteures de faire le constat suivant : les enseignants interrogés dans cette étude voient l’apprentissage comme des paliers que l’élève ne peut franchir s’il n’a pas intégré les savoirs du palier sur lequel il se trouve, et non comme un processus circulaire dans lequel les notions sont reprises chaque année de manière toujours plus approfondie.

Allal et Schubauer-Leoni (1992) indiquaient dans leur article que les enseignants ne semblent ni voir ni reconnaître les effets négatifs que peut engendrer cette mesure. En effet, à Genève, les croyances aux bienfaits du redoublement (être à l’aise dans les apprentissages, gagner en confiance, éviter le stress en ayant plus de temps pour faire face aux difficultés, etc.) persistent dans l’esprit des acteurs de l’enseignement puisque seuls 35% d’entre eux pensent que le redoublement pourrait être évité (Allal &

Schubauer-Leoni, 1992). Si l’on se réfère à une étude plus récente (Crahay, 2003) menée auprès de nonante-et-un enseignants en formation pour devenir directeurs d’établissement, l’auteur constate que 84% d’entre eux « rejettent la proposition consistant à dire que le redoublement a des effets préjudiciables et 73% rejettent la quatrième proposition, précisant qu’il est rare que le redoublement d’une classe soit vraiment profitable pour l’élève » (p. 128). L’auteur démontre alors que le degré d’amélioration chez l’élève doublant diffère selon les élèves et peut même s’avérer inexistant. Pourtant, il apparaît que les enseignants interrogés nourrissent majoritairement une opinion favorable face à cette mesure. En effet, selon leurs conceptions :

Le redoublement permet à 45% des élèves de se remettre en selle, à 30% d’entre eux de bénéficier d’une légère amélioration, qu’il n’entraîne aucun progrès chez 18% des élèves et qu’il fait du tort à 7% d’entre eux. (p. 124)

Néanmoins, les professionnels de l’enseignement qui admettent la possibilité que le redoublement engendre des effets négatifs (difficulté d’accepter le redoublement, de s’insérer dans une nouvelle classe, sentiment de tristesse dû à la séparation avec ses anciens camarades) jugent ces effets comme passagers et non durables.

Une claire opposition apparaît entre la preuve apportée par de nombreux chercheurs quant à l’inefficacité du redoublement et la croyance des professionnels de l’enseignement quant aux bienfaits de cette mesure.

Il semble également intéressant de relever l’information suivante concernant les raisons les plus récurrentes fournies par les enseignants lors d’un redoublement :

Les enseignants invoquent principalement des causes non scolaires pour expliquer leurs décisions de redoublement. Bref, l’origine des difficultés d’adaptation des élèves à l’école et à ses normes ne serait pas interne, mais externe : la famille immigrée ou perturbée, l’enfant immature, bloqué, résigné, maîtrisant mal le langage ou encore victime de problèmes psychologiques plus vastes. (Crahay, 2003, p. 152)

Crahay (2003) constatent que, à l’inverse des enseignants interrogés, les élèves qui ne sont pas concernés par cette mesure définissent leurs camarades redoublants comme étant des élèves distraits, fainéants, impolis, stupides, désobéissants, etc. et affirment que chaque enfant est responsable de sa réussite et de son échec scolaire. Autrement dit, la cause d’un redoublement est interne à l’élève. A ce propos, Crahay explique que, pour se percevoir positivement et valoriser l’image de l’endogroupe, l’élève promu stigmatise ses camarades redoublants auxquels il ne s’identifie pas et, de ce fait, leur attribue des caractéristiques opposées à celles de son groupe. « C’est (…) en s’accordant plus d’éléments valorisants qu’il n’en consent à l’exogroupe que l’endogroupe parvient à ce renforcement positif de lui-même et de ses membres » (p. 215).

Après avoir relevé l’opposition qui existe entre les résultats de différentes recherches prouvant l’inefficacité du redoublement et l’opinion des professionnels de l’enseignement qui penche clairement en faveur des bienfaits de cette mesure, nous allons nous intéresser aux sentiments des élèves redoublants.

4.3. Qu’en est-il du vécu des élèves doublants à l’école primaire ? 4.3.1. Sentiments des élèves lors de l’annonce du redoublement

Un projet indépendant mené par Perréard Vité (1995) avait pour objet d’étude cette thématique. A travers l’analyse de nombreux entretiens, la chercheuse a observé que les sentiments confiés par les élèves de l’école primaire étaient tous négatifs ou mitigés. En effet, elle a relevé, au cours des discussions avec les élèves redoublants, des termes tels que douleur, incompréhension, souffrance, pénible d’en parler, etc. L’expérience semblait si douloureuse que, sur les sept enfants interrogés, seuls deux ont pu discuter de ce sujet avec la chercheuse.

Bien que certains enfants n’aient pas compris les raisons de leur redoublement, les enseignants affirment en avoir explicité les causes aux personnes concernées. La majorité des raisons concernent principalement des difficultés dans une ou plusieurs disciplines scolaires et donc des facteurs internes à l’élève. Cependant, Perréard Vité (1995) relève que, dans la moitié des cas, les enseignants ont fait appel à d’autres dimensions telles que le manque de maturité ou les problèmes de comportement face au travail.

4.3.2. Sentiment des élèves à la fin de l’année répétée

Six des sept enfants interrogés confient les progrès qu’ils ont fait dans les disciplines qui leur posaient difficultés initialement et admettent avoir tissé de meilleures relations avec l’école, les enseignants et leurs camarades durant l’année répétée. Les aspects positifs mis en évidence permettent de penser que les élèves vivent positivement leur redoublement et croient aux bienfaits de cette mesure et ce, bien que leurs enseignants confient que cette mesure n’a pas eu les effets escomptés et que ces enfants ont conservé leurs difficultés (irrégularité dans le travail, difficultés d’apprentissage). Perréard Vité (1995) a comparé le vécu positif des enfants, les progrès qu’ils pensent avoir accomplis aux résultats qu’ils ont obtenus lors des évaluations, avec l’opinion des enseignants à propos de leur réelle progression. Deux oppositions apparaissent, d’une part, entre les croyances et les faits. A la fin de l’année répétée, les enfants ont, en effet, une pensée erronée quant à leur progression tant au niveau de leur attitude que de leurs difficultés. Pourtant, si l’on en croit leurs professeurs, cinq élèves (n=7) adoptent une attitude irrégulière et instable face au travail (refus du travail, panique, bâclage, manque de concentration et de motivation) et seuls deux d’entre eux cherchent à surmonter les difficultés rencontrées dans leurs

exercices, leurs camarades doublants sollicitant régulièrement l’aide de l’adulte. La chercheuse relève, d’autre part, une seconde opposition en ce qui conerne le vécu du redoublement. En effet, les recherches précédemment abordées mettaient en lumière le vécu négatif des élèves en échec, tandis que les sept élèves de cette classe affirment avoir vécu positivement leur redoublement.

4.3.3. Utilité du redoublement

Lors de l’annonce du redoublement, Perréard Vité (1995) a observé que quatre des sept élèves étaient inquiets pour la suite de leur parcours scolaire, ne sachant pas s’ils allaient réussir l’année qu’ils venaient de manquer. Le projet mené montre que cette inquiétude est également partagée par les enseignants qui non seulement se disent conscients qu’une année supplémentaire ne suffira probablement pas aux élèves pour combler toutes leurs lacunes ou leurs difficultés, mais craignent aussi la fragilisation que va engendrer cette mesure chez les élèves. Les résultats de cette recherche indiquent que les appréhensions des uns et des autres étaient bien fondées. Cette étude rejoint les observations de Crahay (2003) que nous avons mentionnées précédemment : certains des enseignants interrogés disaient être conscients des risques encourus lors d’un redoublement, à savoir qu’ils ont fait un choix inefficace qui peut faire du tort à l’élève doublant.

Afin que nos orientations théoriques soient plus claires, nous allons mettre en relation les différents concepts que nous avons mentionnés ci-dessus à travers un schéma conceptuel.