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8. Présentation et analyse des résultats

8.2. Analyse détaillée

8.2.5. Causes des redoublements

Nous avons choisi, au sein de notre population, de cibler non seulement des élèves redoublants, mais qui sont actuellement dans des degrés « extrêmes » : qu’ils soient au collège X ou à Y, ils sont donc soit en 1ère année, soit en 4ème année. L’explication de ce choix réside dans une de nos hypothèses initiales. En effet, dans notre questionnaire, nous demandons aux élèves doublants de rapporter les raisons pour lesquels ils pensent avoir doublé (question 37) et celles que leur ont fournies leur(s) professeur(s) (question 38) pour justifier cet échec. Nous supposons que les raisons données par les élèves de

première année seront davantage en accord avec celles de leur(s) enseignant(s), tandis que les autres élèves, étant plus âgés de trois ans (en moyenne), adopteront une attitude plus détachée et affirmée en osant mettre en avant des éléments différents des raisons fournies par leur(s) professeur(s). En effet, ces élèves de 4ème année sont des adolescents qui ont pris du recul par rapport au jugement des adultes qui les entourent (professeurs, parents) et nous pensons qu’ils osent plus donner leurs propres raisons que celles de leurs enseignants.

Nous allons donc commencer par observer les réponses des élèves à ces deux questions, d’une part, en séparant les élèves de première année et ceux de dernière année, d’autre part, en comparant les résultats de chaque degré afin d’établir les ressemblances et les différences cela nous permettra, dans la conclusion, de confirmer ou d’infirmer notre hypothèse de départ.

Ensuite, nous tenterons de faire des liens avec les questions 32, 33, 40 et 41 qui cherchent à savoir si ces élèves doublants pensent qu’ils obtiendraient de meilleures notes, voire même qu’ils n’auraient pas doublé s’ils étaient dans un autre établissement.

Raisons rapportées par les élèves de 1ère année

Parmi les dix-neuf élèves doublants de première année, 15 d’entre eux expliquent leur propre redoublement par une cause interne, variable et contrôlable : le manque de travail.

La deuxième raison la plus rapportée est le manque de motivation (dix élèves). D’autres causes internes ont été relevées : besoin de plus de temps pour comprendre (un seul élève), manque de maturité (un élève également), difficulté à lire (un élève), mauvais résultats (un élève sur 19). Plus rares sont les raisons qui mettent en évidence des causes externes : exigences élevées (pour un élève), problèmes familiaux (pour un seul élève également).

La raison qu’ils donnent à leur échec scolaire relève donc de leur responsabilité et ils ont en quelque sorte fait le choix de ne pas s’investir davantage et de ne pas fournir plus d’efforts dans le travail à accomplir. Cette part de responsabilité semble être appuyée par leur deuxième choix. Ce constat nous permet de faire un lien avec les résultats auxquels a abouti la recherche menée par Perréard Vité (1995). En effet, 71% des raisons fournies par les enseignants aux parents et aux élèves lors de la décision de redoublement concernent des difficultés que ces enfants rencontrent dans une ou plusieurs disciplines et donc des facteurs qui leur sont internes. Néanmoins, les enseignants de l’école primaire font toujours appel à d’autres dimensions telles que le manque de maturité. Il apparaît

alors que le discours des professeurs ait été intégré par les élèves en situation d’échec qui pensent qu’ils sont en grande partie responsables de leur redoublement. Pour leur troisième choix, nous pouvons voir que les élèves sont peu nombreux à penser que leur redoublement soit dû à d’autres facteurs qu’à eux-mêmes, autrement dit à la famille ou aux exigences des enseignants, voire de l’établissement. Nous faisons l’hypothèse que les enseignants du secondaire, ayant en charge de nombreux élèves, ne peuvent pas se préoccuper des facteurs externes affectant négativement les apprentissages de l’élève redoublant, leur rôle se limitant, tel qu’il est stipulé dans les directives, à observer si les notes de l’élève sont suffisantes et, dans le cas où elles ne le sont pas, à annoncer à ce dernier son redoublement. De plus, nous pensons que ces enseignants sont moins probablement enclins à se sentir responsables de cet échec et donc à remettre en question leurs exigences, étant donné que l’élève redoublant est pris en charge par de nombreux professeurs. Nous constatons également que les deux élèves qui ont cité des causes externes ont ajouté à celles-ci des causes internes (manque de travail, mauvais résultats).

Raisons fournies par les enseignants aux élèves de 1ère année

Dix-sept des dix-neuf élèves doublants de première année ont apporté une réponse à cette question. Il est important de signaler que les questionnaires que nous avons distribués aux élèves fournissent des informations provenant de la mémoire de ces derniers (souvenirs remontant à l’année probablement différente du redoublement des élèves) et qu’ils acceptent de nous révéler. Nous ne sommes pas allées vérifier leurs dires auprès des enseignants qui leur ont annoncé leur redoublement.

Tout d’abord, il est intéressant de constater que cinq élèves disent n’avoir reçu aucune explication de la part des personnes ayant annoncé leur échec ; il y a même un élève qui prétend que l’enseignant a oublié de lui en donner une. Il est donc possible d’après les dires de ces adolescents, que les enseignants les jugent capables de se rendre compte seuls des raisons pour lesquelles ils doublent, sans qu’ils aient à aborder le sujet ni à fournir plus de précisions qui permettrait une meilleure compréhension. Il est tout aussi possible que ces élèves aient préféré enfouir cette mauvaise nouvelle et oublier les éventuelles raisons que leurs professeurs auraient pu leur donner.

Les élèves qui ont reçu une explication à leur redoublement n’ont mentionné que des causes internes : manque de travail (8 élèves), manque de motivation (6 élèves), mauvais résultats (1 élève), manque de volonté (1 élève), excès d’absences (1 élève). Il est clair

que, selon les enseignants, ces élèves sont seuls fautifs et responsables de leur échec.

Rappelons que le contexte du collège n’est, dans un cas de redoublement ou de passation, pas identique à celui de l’école primaire ; en effet, si l’on se réfère aux directives des deux établissements, il ne relève pas de l’obligation des enseignants de s’entretenir avec les parents de l’élève en échec pour les informer de la situation dangereuse vers laquelle les notes de ce dernier le conduisent, ni de prendre la décision d’un redoublement en présence de l’élève et de sa famille. En somme, seuls les résultats imprimés sur le bulletin de notes comptent.

Raisons rapportées par les élèves de 4ème année

Nous prendrons appui sur les vingt-deux élèves qui ont répondu à la question 37, tout en sachant que nous avons questionné en quatrième année vingt-trois élèves doublants. Tout comme chez les élèves de première année, la raison de redoublement qui apparaît le plus souvent est le manque de travail. 12 élèves jugent ne pas s’être suffisamment investi dans le travail pour comprendre et assimiler la matière. En ce qui concerne le travail à effectuer, deux élèves ont mentionné leur carence de notions dans certaines matières, un manque remontant à la dernière année du cycle d’orientation. Deux élèves également admettent ne pas avoir su gérer la transition entre le cycle d’orientation et le collège, ainsi que s’adapter à de nouvelles méthodes de travail et à un nombre d’heures de travail à la maison plus important. Après le manque de travail, 6 élèves ont soulevé le facteur des enseignants trop sévères. Cette cause externe, variable et non contrôlable met en évidence que des enseignants sont considérés comme des professeurs exigeants qui, pour certains d’entre eux, rendent la matière enseignée peu compréhensible et pas toujours accessible aux élèves.

Pour revenir à d’autres causes internes mentionnées par les élèves, nous pouvons citer : manque de motivation (3 élèves), problèmes de santé (2 élèves), excès d’absences (1 élève), problèmes de comportement et de discipline (1 élève), difficultés de lecture (1 élève).

En ce qui concerne les raisons qui ont trait à des facteurs externes à l’élève doublant, nous pouvons noter que nous avons eu affaire à deux adolescents fêtards, dans la mesure où ils n’ont pas hésité à admettre que les soirées de fête ont perturbé à la fois leur nuit de sommeil et leur travail pour l’école. Mise à part la difficulté à lire dont nous ne tiendrons pas particulièrement compte dans ce travail étant donné qu’il s’agit d’un redoublement en primaire, nous pouvons remarquer que plusieurs éléments se retrouvent autant chez les

élèves de première année que ceux en dernière année, tels que la démotivation, le manque de travail ou encore les exigences des professeurs, bien que cette dernière est en nombre clairement plus important dans les classes de quatrième année.

A ce propos, nous pensons que les élèves de 4ème année sont un minimum influencé par les dires de leurs enseignants (manque de travail) et qu’ils se conforment presque inconsciemment à cela. Mais il est envisageable qu’à leur âge, ils rejettent la responsabilité de leur échec sur l’enseignant.

Nous pensons également que si les professeurs donnent régulièrement ce type de justification, les élèves, inconsciemment, l’enregistrent et au moment de donner la cause de leur redoublement, ils répondent manque de travail, même s’ils ne réalisent pas bien qu’ils répondent par le discours d’un enseignant. Par exemple, quand un élève dit qu’il a redoublé à cause d’un manque de travail, est-il vraiment conscient qu’il n’a pas fourni le travail nécessaire ou répond-il simplement ce qu’il a tant de fois entendu ?

Raisons fournies par les enseignants aux élèves de 4ème année

Tout comme les enseignants des élèves de première année, ceux de dernière année fournissent aux élèves doublants des explications qui démontrent la responsabilité de ces derniers dans leur échec. La raison principale est la suivante : les notes insuffisantes (7 élèves) interprétées comme des lacunes dans une ou plusieurs matières (2 élèves) ou comme un manque de rigueur et de régularité dans le travail (8 élèves). Les autres raisons citées concernent seulement un ou deux élèves : manque de maturité (2 élèves), problèmes de comportement (2 élèves), problèmes de santé (1 élève), excès d’absences (1 élève), difficultés de lecture (1 élève).

Tout comme les raisons citées par les étudiants de première année, celles des enseignants mettent en avant des causes internes à l’élève et font appel à d’autres dimensions telles que les problèmes de comportement de ce dernier. Cela renforce donc les résultats obtenus par Perréard Vité (1995).

Nous avons relevé une constante dans les deux degrés. En effet, 5 des élèves doublants de quatrième année prétendent que leurs enseignants ne leur ont rien dit lors de l’annonce de leur redoublement. Dans les quatre classes de première année, nous avons observé qu’ils étaient 5 à n’avoir reçu aucune explication concernant leur redoublement (n=17 élèves).

Il y a donc dans notre petit échantillon 5 élèves par degré qui disent qu’aucun enseignant n’a jugé utile de préciser les raisons de leur redoublement.

Voici un tableau récapitulatif des principales causes du redoublement selon les élèves de chaque degré et selon les dires de leurs professeurs respectifs :

Causes et lieu de

Lien entre les raisons du redoublement des élèves et leur opinion quant à la réputation de l’établissement

Si nous nous concentrons toujours sur les élèves doublants en première et quatrième année, ils sont treize (en quatrième ; n=22) à quatorze (en première ; n=19) adolescents de chaque degré à penser qu’ils n’obtiendraient pas de meilleures notes dans un autre établissement que celui dans lequel ils ont vécu un redoublement. Ce pourcentage d’élèves interrogés justifie sa position en avançant les arguments suivants : les programmes sont identiques dans toutes les écoles et, de ce fait, les difficultés restent les mêmes, la réussite s’obtenant uniquement à partir des ingrédients que sont la volonté, les efforts et le travail personnel. Ces élèves semblent une fois de plus convaincus que la réussite dépend uniquement d’eux, puisque les causes qui conduisent au succès sont toutes internes. Cependant, trois d’entre eux (un élève en première et deux élèves en quatrième année) tiennent des propos contradictoires entre les questions 40 et 41 (« Penses-tu que si tu avais été dans un autre établissement, tu n’aurais pas redoublé ? Pourquoi ? ») et les questions 32 et 33 (« Penses-tu que tu obtiendrais de meilleure notes si tu étais dans un autre établissement ? Pourquoi ? ») : quand on a interrogé les étudiants redoublants des deux écoles, ils ont affirmé que tous les établissements étaient

identiques et qu’ils n’obtiendraient pas de meilleures notes dans une autre école ; ils admettent cependant qu’ils n’auraient pas redoublé s’ils avaient été dans une autre enceinte, car ailleurs c’est plus simple. Ils partagent donc l’opinion de l’autre groupe d’élèves qui pense avoir plus de chances de réussite dans un autre établissement, car ailleurs il y a plus de tolérance, les élèves travaillent moins, il n’y a pas la professeur d’allemand. Nous interprétons cette contradiction, soit comme une incohérence dans la réflexion des élèves, soit comme un manque de compréhension lors de la lecture de notre questionnaire.

Aux questions 32 et 33, ces élèves (4 élèves en première et 7 en quatrième année) sont une minorité à penser que la réussite ne dépend pas uniquement des qualités citées ci-dessus, mais aussi de l’établissement dans lequel ils poursuivent leurs études. En effet, quatre élèves (n=19) (deux dans chaque degré du collège X) insistent sur la réputation importante de l’école dans laquelle ils se trouvent et qui influence, selon eux, les exigences des enseignants et de l’établissement. Un élève précise que, dans tous les autres établissements, la réussite et l’obtention de bons résultats sont plus faciles et accessibles. Un autre collégien pense que le directeur joue un rôle dans l’attribution de bonnes ou de mauvaises notes, mais il ne développe pas davantage le sujet. Dans l’ensemble, nous observons qu’il y a une tendance chez les élèves doublants à penser que, dans une école différente de celle dans laquelle ils se trouvent, ils n’obtiendraient pas de meilleurs résultats et auraient de toute manière redoublé, la réussite tout comme l’échec étant dus à des facteurs internes.

Par ailleurs, cette tendance à internaliser l’échec et la réussite semble être une pratique commune et récurrente, dans la mesure où nous retrouvons ce processus dans les réponses aux questions sur les attributions causales et à celles que nous venons d’analyser et qui traitent des raisons du redoublement des élèves. A ce propos, Lorenzi-Cioldi (2002) souligne que les individus privilégient les causes internes et stables, en somme, les attributions dispositionnelles plutôt que les explications situationnelles ou positionnelles, et que « le style d’attribution interne est plus répandu dans les cultures occidentales que dans d’autres cultures » (p. 151). Selon lui, ce processus d’internalité ou norme d’internalité (Beauvois & Dubois, 1988 ; Dubois, 1994, cités par Lorenzi-Cioldi, 2002) a augmenté chez l’adulte ces trente dernières années et donc a été transmi à travers le monde de l’école. Lorenzi-Cioldi le met en lien avec l’évolution et l’exacerbation de l’individualisme dans les sociétés occidentales où « la norme dominante prône l’autodétermination et l’indépendance des individus » (p. 151).

8.2.6. Sentiments des élèves lors de l’annonce du redoublement, en lien avec leur