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2.4 Rappels de radiobiologie

2.4.2 Cassures de l’ADN et des chromosomes

2.4.2.4 Reconnaissance et signalisation des CDB

L’oxydation qui créé les dommages de l’ADN induits par les radiations ionisantes déclenche une cascade de phosphorylations liées de façon causale entre elles et ordonnées temporellement. Ces phosphorylations jouent un rôle primordial dans la reconnaissance des dommages, leur réparation, le retard du cycle, le déclenchement de la mort cellulaire, ainsi que dans le maintien de la stabilité génomique 170.

Si un substrat en amont n’est pas phosphorylé, le substrat qui aurait dû être phosphorylé en aval immédiatement après lui ne le sera pas et cette absence de phosphorylation aura une conséquence fonctionnelle précise. Ainsi, en mutant un des substrats, ou en empêchant sa phosphorylation, on peut vérifier sa place dans la hiérarchie fonctionnelle des phosphorylations radioinduites170 (figure 14).

Figure 14 : Hiérarchie des évènements après un stress génotoxique dépendant d’ATM ou

d’ATR130

Deux kinases, ATM et ATR, jouent un rôle essentiel dans la reconnaissance et dans les phosphorylations radioinduites171,172. Ces kinases sont activées différemment :ATM réagit au stress oxydatif qui provoque l’induction des CDB, alors qu’ATR s’active en réponse à d’autres formes de dommages de l’ADN tels que ceux observés dans les fourches de réplications bloquées172,173.

Lors de l'activation des sérine-thréonine kinases (comme DNA-PKcs, ATM ou ATR171,174), le résidu sérine 139 (motif SQE) de l’histone H2AX est phosphorylé175–177. Cette phosphorylation fait partie des événements les plus précoces qui suivent la formation physique des CDB. Ainsi, l’utilisation d’un anticorps spécifique de la forme phosphorylée de l’histone H2AX (γH2AX), montre la présence de nombreux foci dans le noyau des cellules irradiées. Il existe une étroite corrélation entre le nombre de foci γH2AX et le nombre de CDB induites après irradiation167,178. Une corrélation directe a été observée entre le nombre de foci et le nombre de CDB produites par la désintégration de 125I incorporé dans l’ADN de cellules, démontrant que chaque focus représente une cassure et que chaque CDB forme un focus179.

Il est toutefois important de noter que la phosphorylation de H2AX est étroitement liée à la reconnaissance des CDB qui seront réparées par la suture et non la recombinaison : comme la suture est le mode de réparation très majoritaire chez les mammifères et les cellules quiescentes (état très majoritaire des cellules humaines), il est logique d’observer avec les foci γH2AX la totalité des CDB induites par les radiations ionisantes. Pourtant, c’est en observant des exceptions à cette règle que nous avons pu mettre en évidence l’existence d’une sous-population d’individus radiosensibles, à l’origine de notre théorie générale. 2.4.2.5 Réparation des CDB

2.4.2.5.1 « Le modèle de la chaussette »

Pour les mammifères, il existe 2 modes de réparation des CDB :

- la recombinaison, majoritaire au cours des phases S et G2 du cycle cellulaire, - la suture ou (NHEJ : non-homologous end-joining) qui est prédominante pendant la

phase G1.

Comme on l’a vu plus haut, les cellules de mammifères sont en grande majorité dans la phase G0/G1. Ainsi, la prédominance de la réparation par suture, principalement active en G0/G1, en fait une spécificité des mammifères. Par ailleurs, cette dualité de voies de réparations peut être illustrée par « le modèle dit de la chaussette » aux vertus didactiques (N. Foray, cours de radiobiologie) :« comme le raccommodage des

chaussettes, 2 techniques sont possibles: la suture, qui consiste à rapprocher les brins cassés et les liguer ; et le rapiéçage (ou recombinaison) qui consiste à insérer un brin coupé dans le trou formé par la première cassure. Ce mode de réparation produit donc 2 autres cassures. C’est donc un mode de réparation qui casse ». Le modèle de la chaussette permet

de mieux comprendre les conséquences cliniques de non-réparation ou de mauvaise réparation suivant le mode de réparation choisi (figure 15).

2.4.2.5.2 La réparation par recombinaison

La réparation par recombinaison consiste à remplacer la séquence endommagée par une séquence d’ADN prise « au hasard ». En fait, dans le cas de la mitose, au moment où des régions chromosomiques sont bien définies, ou dans le cas des petits génomes, cette séquence peut-être identique et homologue (RH, recombinaison homologue)180. Dans le cas inverse (homologue), on parle alors de recombinaison illégitime ou

non-homologue181. La reconnaissance des CDB réparées par recombinaison est assurée par

les anneaux heptamériques Rad52 qui coulissent le long de l'ADN. Une fois l'anneau proche de la cassure, la protéine Rad51 est recrutée et forme un nucléofilament qui va rapprocher les brins homologues (ou non-homologues) près du site de réparation. La formation de ce nucléofilament met en jeu une multitude de protéines comme les protéines RPA (Replication

Protein A), XRCC2 et XRCC3 ainsi que les protéines BRCA1 et BRCA2 (figure 13).

Cependant, les étapes exactes suivant la reconnaissance des CDB par Rad52-Rad51 sont encore méconnues182.

Figure 15 : Représentation du « modèle de la chaussette ». Une CDB est soit suturée (sans

échange de brins), soit « rapiécée » (recombinée, avec échange de brins). Les conséquences cliniques des défauts ou des manques de contrôle des 2 modes de réparation sont précisées. Le rapiéçage-recombinaison s’accompagne souvent de l’induction d’autres cassures elles-mêmes subissant la recombinaison (phénomène d’hyper-recombinaison)130.

Alors que l'absence de toute recombinaison homologue est létale chez les mammifères (non-viabilité), il a été montré qu’un manque de contrôle de la recombinaison pouvait contribuer à une forte instabilité génétique : c'est l'hyper-recombinaison183,184. Par ailleurs, la surexpression de Rad51 a été observée dans de nombreuses cellules tumorales induisant un fort taux de recombinaison. Les aberrations chromosomiques typiques d'un manque de contrôle de la recombinaison sont les translocations, souvent associées à différents types

2.4.2.5.3 La réparation par suture

Pour les cellules de mammifères, la réparation par suture (non-homologous end-joining (NHEJ)) est le principal système de réparation des CDB. La protéine Ku80 s’associe à la protéine Ku70185, et cet hétérodimère coulisse le long de l’ADN. Au niveau de la cassure, il recrute la protéine DNA-PKcs. Ces trois protéines forment le complexe DNA-PK, qui a une fonction de kinase essentielle dans le processus de réparation NHEJ : cette kinase phosphoryle certaines protéines histones. Les protéines de réparation (Ligase 4 et XRCC4) sont ensuite recrutées pour liguer les 2 extrémités de l’ADN (figure 13). Les erreurs chromosomiques typiques d'un défaut de suture NHEJ sont généralement des délétions qui peuvent être associées à une forte radiosensibilité et une immunodéficience sévère186. Ce modèle très populaire oublie de façon surprenante la protéine ATM alors que celle-ci est requise dès les premières minutes de l’irradiation. D’ailleurs, la mutation de DNA-PK n’entraîne un changement de rythme de réparation qu’à partir de la première heure alors que la mutation d’ATM concerne tous les temps de la cinétique de réparation163,169.

2.4.2.5.4 Le paradigme actuel de la réparation des CDB

Une fois ces principes généraux énoncés, il faut évoquer les aspects historiques liés à ces 2 modes de réparation. En effet, prône aujourd’hui une vision duale qui oppose la recombinaison homologue de la suture non-homologue. Pour expliquer ce paradigme, un rappel sémantique s’impose. La recombinaison est le premier mode de réparation qui a été mis en évidence, très probablement parce que les données sur les bactéries et les levures étaient plus abondantes que celles issues des cellules humaines et que les micro-organismes se prêtaient mieux aux manipulations génétiques. Pour ces micro-micro-organismes caractérisés par un petit génome, la recombinaison est plutôt homologue et possède une forte probabilité d’être fidèle car les séquences échangées seront moins variées169,187.

Dans les années 1980, quand la réparation par suture fut mise en évidence, la recombinaison homologue était si présente dans les esprits que le terme suture fut affublé de l’adjectif non-homologue. Pourtant la notion d’homologie des brins n’a pas de sens en G0/G1 (que signifierait « suture homologue » ?). Cette dualité recombinaison homologue/suture non-homologue constitua alors le seul paradigme possible.

Par ailleurs, la suture non-homologue tout comme la recombinaison homologue ne pouvait expliquer la propagation des erreurs et la transformation cellulaire liée à une mauvaise réparation. En effet, ce modèle excluait l’existence d’un troisième mode de réparation, une recombinaison qui s’effectuerait au hasard, ou du moins avec un échange de brins d’une grande variété, tout-à-fait possible en G0/G1 par l’action de nucléases. Notre modèle a intégré cette remarque importante169,187.

2.4.2.6 Rôle de ATM dans la réponse aux dommages