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2.4 Rappels de radiobiologie

2.4.7 Spécificités des faibles doses

2.4.7.2 L’hormésis et la réponse adaptative

2.4.7.2.1 Réponse adaptative

2.4.7.2.1.1 La RA à travers l'histoire : Une pléthore de protocoles différents

Nous avons identifié 3 périodes historiques dans la recherche sur la Réponse Adaptative :

Période de 1984 à 1989 : Historiquement, le premier rapport sur la RA dans les cellules

humaines a été publié en 1984 par Olivieri et al306. Les auteurs ont pré-incubé des lymphocytes humains avec de la thymidine tritiée (0,1-0,01 μCi.mL-1) pendant 2 ou 3 jours et appliqué une dose de rayons X de 1,5 Gy par la suite. Dans ces conditions, le taux d’aberrations chromosomiques des deux expositions successives est apparu inférieure au taux d’aberrations induites par la thymidine tritiée et les rayons X séparément. Entre 1984 et 1989, le même groupe de recherche a publié quelques variantes de ce protocole notamment avec des doses uniques (dRA+ΔtRA+DRA) et les gammes de doses suivantes : (0,01 à 0,05 Gy) pour dRA, (16-32 h) pour ΔtRA, et (0,25-1,5 Gy) pour DRA316–322. Sanderson et Morley322 et Sankaranarayananan et al 323 sont arrivés aux mêmes conclusions avec un protocole d'irradiation similaire, mais avec la fréquence de mutations géniques comme paramètre biologique. En 1989, Bosi et Olivieri soulèvent pour la première fois la question de la réponse individuelle à la RA. Avec le même protocole expérimental que celui utilisé en 1984, la RA a été analysée dans les lymphocytes de 18 donneurs : environ 10 % des donneurs n'ont pas montré de RA et environ 20 % d'entre eux ont présenté une synergie. Par conséquent, à la fin des années 1980, il fut suggéré que le phénomène RA dépendait du statut individuel et qu'il pouvait se produire dans les lymphocytes humains quand on prend le taux d’aberrations chromosomiques ou la fréquence des mutations géniques comme paramètres d'évaluation. La RA pourrait ainsi entraîner une réduction de l'instabilité génomique, de la transformation cellulaire et donc de la prédisposition au cancer.

Période de 1990 à 1999 : Dans les années 1990, des protocoles expérimentaux

fortement des lignées cellulaires et également du ΔtRA (mais avec des valeurs dRA entre 0,5 et 2 Gy, c'est-à-dire 10 fois plus élevées que les valeurs citées ci-dessus)315. Avec des fibroblastes humains et des cellules tumorales, Seong et al. ont confirmé l'influence du ΔtRA sur les effets du phénomène RA. Dans leurs conditions, si ΔtRA était inférieur à une heure ou supérieur à 30 heures, la RA ne se produisait pas 329. Cette période de 1990 à 1999 a été particulièrement marquée par un nombre croissant de publications sur le facteur individuel dans le phénomène de RA. Cependant, le profil génétique requis pour la survenue de ce phénomène n'a pas été clairement défini.

De 2000 à 2007 : A partir des années 2000, l'importance considérable des progrès

technologiques permirent d'étudier l'expression des protéines induites par la RA335–337, la méthylation de l'ADN338, la réparation et la signalisation des dommages à l'ADN évaluées à l'aide de diverses techniques339–341 et les voies de mort cellulaire335,342–344. Les gammes de dRA, ΔtRA et DRA utilisées dans les rapports publiés à partir de 2000 étaient similaires à ceux observés dans les années 1980 et 1990 : (0,001-0,5 Gy) pour dRA, (2-24 h) pour ΔtRA, et (0,1-5 Gy) pour DRA335–350. Tous les paramètres testés au cours de cette période ont été liés à des dommages non réparés ou mal réparés de l'ADN, à la fréquence de mutations, à la fréquence des transformations cellulaires ou à la mort cellulaire. Ainsi, au cours de cette période, la RA semble réduire soit le risque de cancer radioinduit, soit la radiosensibilité cellulaire. Rappelons que ces deux notions ne sont pas nécessairement liées. Par exemple, pour une lignée cellulaire donnée, certains auteurs ont observé une réponse RA significative avec les mutations géniques comme paramètre mais pas avec la survie clonogénique350. Il faut aussi souligner que certains auteurs ont considéré l'apoptose comme une forme de phénomène protecteur et bénéfique dans la mesure où ce type de mort pourrait tuer spécifiquement les cellules instables et réduire le cancer335. Il faut être prudent avec une telle hypothèse, puisque l'apoptose est une voie de mort cellulaire très spécifique, fortement dépendant de l'état de p53 et du type de cellule216. À partir des années 2000, la majorité des publications sur la RA ont porté sur la réponse individuelle avec une variété impressionnante de types de cellules : lymphocytes, cellules lymphoblastoïdes, fibroblastes primaires et transformés, kératinocytes, cellules épithéliales mammaires et cellules tumorales, ce qui suggère que la RA n'est pas un phénomène spécifique à un tissu particulier. De plus, puisque tous les modèles cellulaires RA positifs montrent diverses voies de mort cellulaire, l'apoptose ne peut être une caractéristique spécifique

du phénomène. Jusqu’à ce jour, il n'existe toujours pas de définition claire du profil individuel, génétique et cellulaire requis pour rendre possible la réponse adaptative.

En résumé, depuis les années 1980 jusqu'à aujourd'hui, la RA a été observée avec le scénario dRA + ΔtRA + DRA et avec les valeurs suivantes : (0,001-0,5 Gy) pour les dRA, entre 1 et 48 h pour le ΔtRA et entre 0,1 et 6 Gy pour le DRA. A l'exception notable des travaux du groupe d'Olivieri qui ont utilisé la thymidine tritiée, dans la grande majorité des cas (> 83 %) dRA est délivrée en moins d'une minute (c’est à dire à des débits de dose allant de 1 mGy.min-1 à 1 Gy.min-1). La DRA est généralement délivrée en moins de 5 minutes à environ 1 Gy.min-1.

2.4.7.2.1.2 Influence des valeurs dRA, ΔtRA et DRA sur la AR

Quand on fait la revue des protocoles concernant la RA, il est remarquable de constater que la priming dose dRA est, dans plus de 90 % des études, inférieure à 0.05 Gy mais supérieure à 0.001 Gy. Comme on l’a vu plus haut, le stress oxydatif causé par 1 Gy de rayons X ou # induit simultanément environ 10 000 dommages de base (DB), 1000 cassures simple-brin d'ADN (CSB), et 40 cassures double-brin d'ADN (CDB) par cellule diploïde humaine. Ces taux d'induction de dommages de l'ADN ne dépendent pas de la radiosensibilité des cellules216. Par conséquent, la priming dose dRA induit généralement moins de 500 DB, 50 CSB, et 2 CDB par cellule. Ces chiffres correspondent à un stress oxydatif significativement plus faible que celui induit par les dommages spontanés de l'ADN habituellement observés dans les cellules radiorésistantes humaines122. Par conséquent, de tels dommages de l'ADN ne peuvent affecter de façon significative la survie cellulaire ni l'instabilité génomique. En revanche, dans les cellules radiosensibles, le stress oxydatif dû à l'instabilité génomique spontanée cause une quantité faible mais significative de dommages de l'ADN, plus importante que celle observée dans les cellules radiorésistantes122. Ainsi, seulement dans les cellules radiosensibles, le stress oxydatif spontané ajouté à celui causé par la dose initiale dRA peut entraîner une quantité significative de dommages

L'examen des protocoles de RA révèle que le ΔtRA est fortement dépendant des valeurs dRA et DRA et qu'il est généralement supérieur à 1 h mais inférieur à 24 h. Dans les cellules radiorésistantes, 24 h post-irradiation correspond à une réparation complète de tous les dommages de l'ADN induits par le dRA. En revanche, dans les cellules radiosensibles, il est possible que certaines CDB restent non réparées ou mal réparées après dRA + ΔtRA. Les protéines de réparation et de signalisation de l'ADN peuvent donc encore être activées pendant et après dRA + ΔtRA. Par conséquent, comme on l'a supposé plus tôt et comme le suggère la littérature, la RA devrait être beaucoup moins fréquente dans les cellules radiorésistantes puisque dRA + ΔtRA ne produit pas d'effet biologique significatif avant l'exposition au DRA.

Dans la grande majorité des cas, le DRA est supérieur à 0,5 Gy et fréquemment de 2 Gy, ce qui correspond à une dose élevée (la dose de 2 Gy est généralement celle administrée par séance de radiothérapie). Comme défini par notre laboratoire, une dose de 2 Gy génère une fraction de survie à 2 Gy (SF2) variant respectivement de 1 à 10 %, de 10 à 60 % et de 60 à 80 % pour les cellules humaines respectivement hyperradiosensibles, modérément radiosensibles et radiorésistantes 122,351,352. Lorsque l'on examine la littérature, on n’observe pas de RA dans les cellules dont la SF2 est inférieure à 10 % et supérieur à 60 %, ce qui confirme que la RA est plus souvent observée dans les cellules montrant une radiosensibilité intermédiaire. Cette conclusion est également en accord avec le fait que la radiorésistance est une "notion bornée" : Les cellules ne peuvent pas réparer plus de dommages de l'ADN lorsque la réparation de l'ADN est déjà complète et que le SF2 ne dépasse pas 80 % dans les cellules humaines122,351,352. Inversement, dans les cellules hyperradiosensibles, la quantité de mort cellulaire ou de mutations est si élevée (l'effet du dRA + ΔtRA est déjà délétère) que les conséquences biologiques d'une exposition au DRA sont irréversibles.

2.4.7.2.1.3 L'importance du modèle cellulaire pour la RA

Dans toutes les publications concernant la RA citées ci-dessus, deux remarques peuvent être faites :

- Dans le cas des lymphocytes circulants, tous les donneurs ne sont pas nécessairement RA positifs et le rapport entre les donneurs positifs et négatifs varie selon les études. Aucune explication génétique n'est fournie.

- Dans les cellules humaines RA positives hormis les lymphocytes circulants répertoriés, plus de 50% sont des lignées cellulaires tumorales, 30% sont des cellules immortalisées ou transformées et plus de 75 % sont connues pour être radiosensibles.

Ces remarques confirment la conclusion selon laquelle l'apparition de la RA est favorisée lorsque les cellules présentent un niveau anormalement élevé d'instabilité génomique et/ou de radiosensibilité. Par exemple, la réduction de la fréquence des mutations causées par la RA est plus facilement mesurable dans un modèle cellulaire dans lequel des mutations délétères sont déjà présentes (comme dans les lignées cellulaires immortalisées ou tumorales)350. Dans le cas de fibroblastes primaires radiorésistants humains présentant une RA, la RA se produit lorsque la DRA est égale ou supérieure à 4 Gy. À une telle dose, le taux de micronoyaux est mesurable même dans les cellules radiorésistantes347. Cependant, si le niveau d'instabilité génomique et/ou de radiosensibilité est trop élevé, la RA ne peut pas atténuer les dommages irréversibles. Lorsque la survie cellulaire a été utilisée comme critère d'évaluation, Raaphorst et Boyden ont montré que la Sk-Mel-3 hyper-résistante ne montre pas de RA315. Dans le même article, les lignées de cellules tumorales HT144 hyper-radiosensibles ne présentent pas de RA puisque l'effet de la dRA + ΔtRA est déjà délétère.

Tous ces exemples suggèrent que la RA se produit préférentiellement dans les cellules présentant une radiosensibilité intermédiaire. La RA peut cependant se produire dans les cas de cellules radiorésistantes, mais à des doses non pertinentes sur le plan biologique347.

2.4.7.2.2 L’hormésis

2.4.7.2.2.1 L’hormésis dans les cellules humaines

Il existe très peu de données concernant l’hormésis sur les cellules humaines. La large majorité de la littérature est composée de critiques, de commentaires ou de lettres.

relatifs à la RA qui ne font pas référence à "radiation hormesis" dans leur titre ou leur résumé et les articles dans lesquels "radiation hormesis" est seulement cité dans le corps du texte. Cependant, même dans les articles sur la RA, peu d'entre eux ont porté sur des données humaines302. Cette analyse documentaire est conforme à l'énoncé selon lequel les données sur les animaux/plantes/micro-organismes représentent la grande majorité des rapports accumulés sur les effets des expériences à faibles doses et à faible débit de dose.

2.4.7.2.2.2 Trois conclusions sur l’hormésis

- Il existe très peu de données humaines sur l'hormésis. Le taux de croissance, le développement de la croissance, la reproduction, l'immunité, l'incidence du cancer et la durée de vie ont d'abord été considérés par T.D. Luckey comme les principaux paramètres utilisés dans ces données310.

- Parmi les données humaines sur l'hormésis, les expériences in vitro concernent principalement des cellules transformées ou tumorales, ce qui pose la question de la spécificité du phénomène vis-à-vis du type de cellules. En effet, même si les cellules transformées, immortalisées ou tumorales sont faciles à amplifier in vitro grâce à leur capacité de croissance en culture, elles ne reflètent pas nécessairement toutes les spécificités de la réponse au rayonnement des tissus sains.

- Parmi les données humaines sur l'hormésis, les études épidémiologiques concernent généralement l'incidence du cancer ou la mortalité par cancer des survivants de la bombe A, ce qui soulève le paradoxe apparent que l'hormésis peut stimuler la croissance cellulaire dans les expériences in vitro tout en consistant à réduire l'incidence du cancer lorsque les données épidémiologiques sont considérées. Ces trois points sont discutés ci-après.

2.4.7.2.2.3 L’hormésis et les données animales

Il existe au moins deux grandes différences inter-espèces dans la réponse aux rayonnements : elles concernent les voies de réparation de l'ADN et la taille du noyau :

- La jonction d'extrémités non homologues (NHEJ) consiste à relier les extrémités d'ADN brisées. Cette voie est active dans les cellules quiescentes et donc prédominante chez les mammifères et surtout chez l'homme.

- la voie de recombinaison, homologue ou non homologue, consiste à insérer un fragment d'ADN dans le trou formé par la rupture de l'ADN. Chez les mammifères, la contribution relative de la voie de recombinaison est faible, surtout chez les humains et dans les cellules non tumorales. Cependant, dans le cas des syndromes associés à la prédisposition au cancer, le manque de contrôle de la recombinaison peut générer une accumulation significative d'erreurs et donc des CDB mal réparées. C'est le phénomène d'hyper-recombinaison. L'hyperrecombinaison est associée à des mutations hétérozygotes de BRCA1, BRCA2, p53, BLM, FANC, NF1 qui présentent un risque élevé de cancer. De même, l'activité exacerbée de la recombinaison est une caractéristique courante des cellules transformées ou tumorales.

Selon la distribution des cellules dans les phases du cycle cellulaire et en raison de certaines autres spécificités, les modèles animaux/végétaux/micro-organismes peuvent différer significativement des modèles humains par le rapport NHEJ/voies de recombinaison.

- En plus de la compétition entre le NHEJ et la recombinaison, les espèces diffèrent par la longueur de leur génome qui conditionne la taille du noyau et donc la condensation de la chromatine. Par exemple, les noyaux cellulaires sont généralement plus petits et la condensation de la chromatine est généralement plus élevée chez les rongeurs que dans les cellules humaines. Par conséquent, chez l'homme, 1 à 2 CDB non réparées entraînent la mort cellulaire, alors que les rongeurs toléraient plus de CDB non réparées avant la mort cellulaire, ce qui les rend plus résistantes que les humains. Des arguments similaires sont également pertinents pour les autres espèces et pour les lignées de cellules tumorales216.

L'ensemble des caractéristiques détaillées ci-dessus explique les différences

quantitatives mais aussi qualitatives entre les espèces. En particulier, les modèles

appliquées dans les expériences sont également différentes. Par exemple, la définition de "faibles doses" faite pour les humains n'est pas nécessairement pertinente pour les autres espèces. Par conséquent, l'apparition du phénomène d'hormésis observé chez les animaux/végétaux/micro-organismes ne peut être considérée comme une preuve de son existence chez l'homme. Ce dernier point est particulièrement vrai pour la diversité des réponses radiologiques dues à la radiosensibilité individuelle chez l'homme, alors que les modèles de rongeurs, de plantes ou de micro-organismes sont généralement le résultat d'un clonage spécifique.