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2.3 Données épidémiologiques et modèles de risque

2.3.2 Données épidémiologiques

2.3.2.4 Importance de l’âge à l’exposition

Les études épidémiologiques en scanographie se sont focalisées principalement sur la population pédiatrique qui a théoriquement une espérance de vie plus longue que les adultes et au cours de laquelle les effets potentiellement liés à l'exposition aux rayonnements ont plus de chances d'apparaître22,61. Il est possible d'étudier le risque de cancer lié à l'exposition aux scanners chez les adultes mais des échantillons de l'ordre de 0,4 à 1,3 millions de personnes exposées sont nécessaires120. Le risque de cancer est cumulatif au cours d'une vie, avec une contribution due à chaque exposition au rayonnement. De nombreux cancers solides radioinduits ne seront pas détectés avant des décennies et, par conséquent, l'exposition aux rayonnements chez les personnes âgées ne présente pas le même niveau de risque que l'exposition des enfants. L’idée communément admise est que « les enfants sont plus radiosensibles que les adultes ».

Cette assertion soulève plusieurs questions :

- Lorsqu’on utilise le terme « radiosensible », qui est un des mots les plus couramment utilisés par les radiologues, radiobiologistes, radiothérapeutes et spécialistes de la radioprotection, il faut comprendre « radiosensibilité » comme un risque de cancer radioinduit. Cependant, ce terme a été défini historiquement comme illustrant la prédisposition aux réactions tissulaires radioinduites qui sont attribuables à la mort cellulaire et non aux cancers radioinduits, plutôt eux-mêmes attribuables à la transformation cellulaire et à l’instabilité génomique 121. Or, les enfants ne sont pas plus à risque de réactions tissulaires, après radiothérapie par exemple, que les adultes122. Pour éviter toute confusion, notre groupe a proposé le terme de radiosusceptibilité pour désigner la prédisposition aux cancers radioinduits par opposition à radiosensibilité qui garde sa définition historique121.

« Les enfants sont plus radiosensibles que les adultes » deviendrait alors « les enfants sont plus radiosusceptibles que les adultes »

- Toutefois, même avec ce changement, l’assertion n’est pas encore précise. En effet, cette phrase signifie également que, dès que l’on devient adulte, la radiosusceptibilité change : « on devient plus radiorésistant ». On voit ainsi que la formulation n’est pas satisfaisante pour fixer une idée simple : « plus on est irradié tôt dans la vie, plus on a du recul pour mesurer les éventuelles conséquences d’une irradiation : un centenaire exposé à des faibles doses de radiations ne mourra certainement pas d’un cancer radioinduit alors qu’un nourrisson exposé pourra peut-être, au cours de sa vie, avoir un cancer radioinduit. On mesure l’imprécision d’assertions équivoques qui sont pourtant reprises par des institutions de référence : l’âge per se plutôt que l’âge à l’exposition a été considéré ; une confusion sémantique se rajoute à l’imprécision 121. On perçoit ici toute l’importance de bien définir les termes, et notamment pour cette problématique des faibles doses aux enjeux multiples. On verra dans les chapitres suivants qu’il a fallu également fixer la définition des termes « hormesis » et « réponse adaptative » afin d’en mieux comprendre les phénomènes sous-jacents.

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Penchons-nous maintenant sur la nature des cancers radioinduits qu’on pourrait rencontrer chez les enfants. Le comité UNSCEAR de 2013 relatif à l’effet des rayonnements ionisants sur les enfants, a examiné l'évolution des données scientifiques et noté que l'induction de tumeurs chez les enfants par rapport aux adultes est très variable et dépend du type tumoral, de l'âge et du sexe22. De façon générale, pour environ 25 % des types de tumeurs, les enfants sont nettement plus à risque de cancer. C’est notamment le cas de la leucémie et des cancers de la thyroïde, de la peau, du sein et du cerveau. En revanche, pour 75% des autres tumeurs radio-induites, les enfants ont la même radiosusceptibilité que les adultes et sont parfois même plus « radiorésistants »22. Concernant les 25% des tumeurs radioinduites pour lesquelles les enfants sont nettement plus radiosusceptibles, l’UNSCEAR explique que ces différences, notamment concernant les tumeurs du cerveau, sont liés à l'état de développement physiologique de cet organe chez les enfants. Cette explication, reprise notamment par le 16ème rapport COMARE61 et la Haute Autorité de Santé123 s’inspire de la loi énoncée pour la première fois par Tribondeau et Bergonié en 1906124 et qui stipule que la radiosensibilité d’un tissu est directement proportionnelle à sa vitesse de prolifération : « plus un tissu prolifère vite, plus

il est radiosensible ». Notons d’ailleurs qu’historiquement, Tribondeau et Bergonié font

bien référence à la radiosensiblité au sens de mort cellulaire après irradiation alors que les institutions citées plus haut citent leurs travaux pour les cancers radioinduits (radiosusceptibilité). Cette loi est également un principe historique fondateur de la radiothérapie, en considérant que les tumeurs sont plus radiosensibles que les tissus sains parce que les tissus sains se développeraient plus lentement. Notre groupe de recherche a montré que cette assertion est erronée125. En effet, les tumeurs ne sont pas nécessairement plus radiosensibles que les tissus normaux et leur taux de prolifération spontanée n’est pas nécessairement corrélé à la mort cellulaire après irradiation121,125. En effet, la loi de Tribondeau et Bergonié aurait dû être modifiée comme suit : Plus les

il existe de nombreux contre-exemples de cette loi. Par exemple, les fibroblastes de patients souffrant d’ataxie télangiectasie (syndrome avec la plus forte radiosensibilité connue chez l’homme) sont plus radiosensibles alors que leur taux de prolifération in vitro est inférieur à celui des fibroblastes de patients sains beaucoup plus radiorésistants128. De même, certaines tumeurs très proliférantes peuvent être très radiorésistantes129. Enfin, à ce titre, reprenons l’argument de l’état de développement du cerveau des enfants repris par les institutions précitées : 1) les cellules en synthèse dans un cerveau, qu’il soit d’enfant ou d’adulte ne sont pas majoritaires et ne peuvent constituer une explication solide et validée quantitativement de la radioinductibilité des cancers cérébraux. 2) Si cet argument était vrai, on observerait systématiquement plus de cancers radioinduits de l’intestin (bien plus proliférant) que tout autre cancer. 3) Il apparaît que notre explication avancée en fin de section 2.3.2.2, à savoir l’irradiation sélective d’un organe associée ou non à un statut génétique de prédisposition serait plus compatible avec les données et notamment avec la différence entre les résultats sur les cohortes des survivants d’Hiroshima et ceux observées sur les cohortes d’enfants ayant subi un scanner de l’encéphale.

Baysson et al., 2016 rappelle que « les projections de risque reposent sur des extrapolations de risque impliquant de nombreuses hypothèses, notamment sur la forme de la relation dose–réponse, l'équivalence d'effets entre différentes sources d'exposition aux rayonnements ionisants, et la transposition de risque d'une population à une autre. De plus, elles reposent sur des modèles basés essentiellement sur les données concernant les populations exposées lors des bombardements de Hiroshima et Nagasaki qui disposent de peu d'information sur les risques de cancer dans l'enfance »23.

De plus, en cas d'exposition médicale, les enfants peuvent recevoir des doses significativement plus élevées que les adultes pour le même examen si les paramètres techniques ne sont pas spécifiquement adaptés. Étant donné que les enfants ont des diamètres corporels plus petits, des organes plus petits et qu'il y a moins de protection par les tissus de soutien pour une même exposition externe donnée, la dose aux organes internes des enfants sera plus élevée que pour un adulte. Or, rappelons qu’aucune étude épidémiologique concernant les expositions pédiatriques en scanographie n’a tenu compte des données individuelles sur la dose115. D’autres part, comme on l’a vu plus haut,

et malgré les évolutions réglementaires, l’optimisation des doses en scanographie reste à améliorer. On peut facilement imaginer que par le passé la marge de progression concernant ce principe fondamental de radioprotection était plus grande encore et que les examens pouvaient être bien plus irradiants qu’aujourd’hui.

La différence des effets de l'exposition aux rayonnements en fonction de l’âge est une question complexe. Les modèles publiés et appliqués à presque tous les types de tumeurs qui supposent un risque relatif accru de cancérogenèse radioinduite chez les enfants par rapport aux adultes sont des généralisations, sans soutien scientifique documenté22. Cette brève revue de la littérature suggère plutôt l’importance des caractéristiques de l'exposition, de l'âge au moment de l'exposition, de la dose absorbée dans certains tissus, de l'âge au moment de l'évaluation et des effets radiobiologiques spécifiques des faibles doses dépendant fortement du facteur individuel. Actuellement, il n'existe pas de projections statistiquement satisfaisantes du risque sur toute la vie pour des sites tumoraux particuliers après une exposition à un jeune âge. Les estimations actuellement utilisées ne tiennent pas suffisamment compte des variations connues et des travaux supplémentaires sont nécessaires, comme le conclut l’UNSCEAR22. En effet, son comité scientifique reconnaît la nécessité de poursuivre les recherches pour déterminer l'ampleur et l'expression des effets et des risques liés à l'exposition pendant l'enfance par rapport à l'âge adulte. Par contre, les études à long terme qui suivront l'exposition des enfants seront confrontées à d'importantes difficultés en raison de l'absence de liens entre les dossiers médicaux, d'obstacles administratifs et politiques et de considérations éthiques et de protection de la vie privée. Ce sont d’importants défis qu’attendent les épidémiologistes. Pour les radiobiologistes, ils doivent aujourd’hui faire progresser les connaissances sur les effets spécifiques des faibles doses qui concernent les scanners et mettre en œuvre des méthodologies rigoureuses pour évaluer l’importance du facteur