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2.4 Rappels de radiobiologie

2.4.6 Les acquis du laboratoire d’accueil depuis 2003

2.4.6.1 Une première corrélation quantitative entre radiotoxicité et CDB non réparées. En 2003, des techniques d’immunofluorescence avec un biomarqueur appelé H2AX permit de détecter chaque CDB dans chaque noyau de cellules290. Toutefois, à l’époque, aucun élément ne permettait de déterminer si les foci pH2AX reflétaient toutes les CDB ou au contraire, les CDB reconnues par la suture. Une dose de 1 Gy de rayons X produisant environ 40 CDB par cellule, cette technique permit aux radiobiologistes de mesurer des effets de l’ordre du mGy (mSv pour des rayons X). L’analyse des effets biologiques de doses de radiation compatibles avec certaines expositions professionnelles ou médicales devint alors possible. Depuis 1995 et la thèse de Nicolas Foray puis à partir de 2003, le laboratoire d’accueil créé sur au synchrotron européen de Grenoble commença à rassembler ce qui est aujourd’hui l’une des plus grandes collections de fibroblastes humains provenant de syndromes génétiques associés à une radiosensibilité significative : la collection COPERNIC (Collection pour l’étude de la radiosensibilité au niveau clinique). A travers le projet sur fonds propres CELLINE, le laboratoire d’accueil entreprit d’étudier l’induction et le rythme de réparation des CDB en utilisant plusieurs techniques comme l’électrophorèse en champs pulsés et l’immunofluorescence pH2AX. En plus du marqueur H2AX, d’autres furent utilisés, notamment pDNA-PK et MRE11 pour mesurer respectivement l’activité kinase DNA-PK impliquée dans la suture et l’activité endonucléase MRE11 impliquée dans la recombinaison non-homologue (fautive). La distinction entre ces deux modes de réparation en G0/G1 avait déjà été évoquée à travers les artéfacts techniques observés en co-immunofluorescence291.

En 2008, à partir de 40 lignées fibroblastiques représentant 8 syndromes génétiques différents, La valeur de la survie clonogénique à 2 Gy (SF2) (dose d’une session de radiothérapie classique) apparut comme inversement proportionnelle au taux de CDB non réparées à 24 h, quelle que soit la mutation du gène considéré ou la technique utilisée. Cette loi semble également valable pour toutes les cellules de mammifères160. A la suite de ces résultats, le laboratoire d’accueil a proposé une première classification en 3 groupes sur la base des valeurs de SF2, du taux de CDB non réparées après une dose de 2 Gy quantifiée par le nombre de foci pH2AX et du taux de foci MRE11: groupe I, radiorésistance ; groupe II, radiosensibilité modérée ; groupe III : hyper-radiosensibilité160.

2.4.6.2 La genèse du modèle du transit cyto-nucléaire d’ATM

En parallèle du projet CELLINE qui se poursuit encore au laboratoire d’accueil, deux démarches furent entreprises :

- L’accumulation de données systématiques sur toutes les protéines qui forment des foci nucléaires, en particulier de pATM, marqueurs de l’auto(trans)phosphorylation de la protéine pATM

- Le début d’une collecte de fibroblastes issus de patients traités par radiothérapie et ayant montré une radiosensibilité clinique significative sous la forme de réaction tissulaire. Ce projet sur fonds propres fut appelé COPERNIC (Collection pour l’étude de la radiosensibilité au niveau clinique).

En accumulant un très grand nombre de biopsies de peau (plus de 350 aujourd’hui), les premières conclusions sont les suivantes :

- Plus que les foci pDNA-PK, les foci pATM sont très informatifs et suggèrent un transit cyto-nucléaire de la protéine après irradiation. Cette hypothèse est notamment renforcée par l’effet du traitement statines+biphosphonates qui semble accélérer le transit d’ATM275,292.

- Les critères de sélection pour les groupes I, II et III définis précédemment apparaissent comme valables pour les cellules des patients de la cohorte COPERNIC.

Ainsi, nous avons pu proposer un modèle impliquant ATM pour mieux traduire l’importance de son transit. Dans notre modèle, les CDB sont prises en charge par le mode majoritaire de réparation par suture » dont l’initiation passe par la phosphorylation ATM-dépendante de l’histone H2AX (pH2AX). En cas de retard du transit, les CDB sont soit non-reconnues donc non-réparées par suture soit pourraient être prise en charge et par le mode minoritaire de réparation fautive de type recombinatoire dépendant de la nucléase MRE11 et inhibée par le passage de ATM dans le noyau. L’équilibre entre ces deux modes est donc contrôlé par la protéine ATM à travers son transit du cytoplasme dans le noyau et son activité kinase. Les foci

Figure 24 : Notre modèle pATM/MRE11/ γH2AX sur des cellules en G0/G1 expliquant

la stimulation de la suture ou l’inhibition de la recombinaison MRE11-dépendante par le transit cyto-nucléaire d’ATM.

2.4.6.3 Les principes généraux du modèle du transit cyto-nucléaire d’ATM En 2016, l’analyse des 100 premières lignées fibroblastiques de la collection COPERNIC a permis de montrer avec une très haute performance statistique que le nombre de foci nucléaires pATM après 2 Gy suivis de 10 min ou de 1 h post-irradiation est inversement proportionnel au grade de sévérité des réactions tissulaires quantifié par l’échelle consensuelle CTCAE. Ce résultat est à la base de tests de radiosensibilité qui sont aujourd’hui régis par 7 brevets. La faisabilité de l’application de ce test a également fait l’objet d’une publication quelques mois plus tard293. Enfin, en 2018, une variante du test de prédiction basé cette fois sur une approche ELISA (quantifiant les molécules pATM par hypbridation) plutôt que par immunofluorescence (quantifiant les foci nucléaires pATM) a été proposée294. Toutefois, même si cette variante est plus rapide que le test initial, ses performances statistiques sont plus faibles. En l’occurrence, il apparait que toute approche basée sur le prélèvement de sang (lymphocytes) et sur un traitement rapide (quelques heures à quelques jours) ont des perfomances statistiques plus faibles que les tests basés sur les fibroblastes de peau et des traitements longs (entre le jour et la semaine comprenant l’amplification cellulaire, l’irradiation et le temps de réparation)294.

En plus du pouvoir prédictif, le modèle de transit d’ATM est un modèle mécanistique qui nous a permis de décrire la radiosensibilité humaine en 3 groupes.

La protéine ATM est une grosse protéine dont la mobilité et la durée de vie dans la cellule sont limitées. Les formes cytoplasmiques de la protéine ATM sont dimériques, chacun des monomères phosphorylant l’autre avec son domaine kinase295. Nous avons fait l’hypothèse que l’oxydation provoquée par les radiations monomérise les dimères d’ATM d’une façon proportionnelle à la dose166. Cette monomérisation permet la diffusion des protéines ATM à travers la membrane nucléaire pour arriver au noyau. Dans le cas de fortes doses, la concentration des monomères ATM est telle qu’une redimérisation d’un grand nombre de monomères dans le cytoplasme est possible. Elle limite alors la diffusion dans le noyau figure 25. Une fois dans le noyau, les monomères ATM phosphorylent les histones H2AX sur le site des CDB ce qui permet leur reconnaissance par le mode de réparation des CDB par suture. En parallèle, ATM phosphoryle la protéine MRE11 qui inhibe son activité nucléasique et limite donc l’instabilité génomique. Les monomères ATM se redimérisent ensuite et sont visibles sous forme de foci nucléaires quantifiables166,214. Au cours de leur transit du cytoplasme au noyau, les formes cytoplasmiques monomériques d’ATM peuvent rencontrer de substrats naturels de la protéine ATM (appelées X) qui, s’ils s’associent en grand nombre aux monomères d’ATM peuvent en retarder la diffusion.

Sur cette base mécanistique, 3 groupes de radiosensibilité ont été définis :

- le groupe I rassemble les patients radiorésistants dont les cellules montrent un transit cyto-nucléaire d’ATM rapide (quelques minutes après 2 Gy) qui permet une reconnaissance complète des CDB avant leur réparation par le mode de réparation par suture ;

- le groupe II rassemble les patients caractérisés par une radiosensibilité modérée mais significative avec un transit cyto-nucléaire d’ATM retardé par une surexpression de protéines X (plusieurs dizaines de minutes après 2 Gy). Les patients du groupe II sont prédisposés aux cancers et peuvent montrer des grades de sévérités allant jusqu’à 4 ;

- le groupe III rassemble les patients hyper-radiosensibles (risque de décès après irradiation) et prédisposés aux cancers. Ces patients sont porteurs de mutations homozygotes d’ATM ou de ligase IV et montrent un défaut massif de réparation

Figure 25 : Représentation schématique du modèle de transit d’ATM. L’oxydation

provoquée par les radiations monomérise les dimères d’ATM et permet la diffusion des protéines ATM à travers la membrane nucléaire pour arriver au noyau et activer les mécanismes de réparation de l’ADN endommagée par l’exposition.

2.4.6.4 Les applications du transit cytonucléaire d’ATM

En plus de la prédiction de la radiosensibilité au niveau clinique et de l’explication mécanistique du pouvoir protecteur de la combinaison statines+bisphosphonates, le modèle de transit d’ATM a permis d’élucider 3 questions majeures de la radiobiologie :

- le modèle linéaire-quadratique (LQ), formule de base de la radiobiologie, liant la survie cellulaire à la dose de radiation restait empirique (sans explication biologique) depuis les années 1970. En modélisant mathématiquement le transit cyto-nucléaire de la protéine ATM, il apparaît que les dommages létaux sont soit des CDB reconnues par ATM mais réparées soit des CDB non-reconnues par ATM. Le nombre de ces deux types de CDB varie respectivement soit proportionnellement à la dose, soit avec le carré de la dose. Grâce au modèle du transit cyto-nucléaire de la protéine ATM, pour la première

fois, une interprétation biologique à la formule LQ a été fournie (Bodgi et Foray 2016 IJRB), ce qui montre la pertinence scientifique de ces bases moléculaires.

- Certains syndromes génétiques causés par la mutation de protéines cytoplasmiques sont associés à une radiosensibilité de groupe II. C’est notamment le cas de la neurofibromatose de type I296, la tubéreuse de Bourneville297, Xeroderma Pigmentosum D298 et la maladie de Huntington292. Pour ces syndromes, nous avons identifié les protéines X substrats d’ATM dont la surexpression dans le cytoplasme et la séquestration des monomères d’ATM limite l’activité kinase de ATM dans le noyau.

2.4.6.5 Synthèse

Aujourd’hui le modèle de transit cyto-nucléaire d’ATM apparaît comme un ensemble cohérent pour expliquer mécanistiquement toute la gamme de radiosensibilité humaine aux fortes doses. A ce titre, c’est la seule source d’explication fiable pour justifier la formule LQ. Toutefois, en dépit de ces succès et de son utilité dans la prédiction de la radiosensibilité clinique observée en radiothérapie, le transit cyto-nucléaire d’ATM n’a pas encore été confronté pour résoudre l’énigme des effets radiobiologiques spécifiques aux faibles doses comme la réponse adaptative et l’hormésis.