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Paragraphe III – Constitutionnalisation progressive de la Charte québécoise

D. Vers une reconnaissance explicite du caractère constitutionnel de la Charte québécoise

Il est grand temps de reconnaître explicitement à la Charte québécoise son statut de véritable loi fondamentale, à caractère constitutionnel312. Cette Charte fait déjà partie de la constitution matérielle du Québec : comme toutes les provinces canadiennes, le Québec a sa propre constitution, bien qu’il n’ait pas réuni l’ensemble des règles constitutionnelles qui le régissent dans un texte unique313.

La constitutionnalisation formelle de la Charte québécoise serait pleinement concordante avec le préambule de la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec, qui rappelle que le Québec est « fondé sur des assises constitutionnelles qu’il a enrichies au cours des ans par l’adoption de plusieurs lois fondamentales et par la création d’institutions démocratiques qui lui sont propres »314. Lors de l’étude détaillée du Projet de loi n°99 en Commission des institutions, le ministre responsable a d’ailleurs indiqué qu’ « [o]n fait indirectement référence à la Charte des droits et libertés dans le deuxième considérant »315. L’Assemblée nationale du Québec reconnaît donc déjà une portée constitutionnelle à la Charte québécoise. Il suffirait de la rendre explicite.

À cette occasion, il serait souhaitable de ne pas se contenter de constitutionnaliser les libertés et droits fondamentaux, qui bénéficient déjà de la primauté législative, mais aussi d’octroyer la primauté constitutionnelle aux droits économiques et sociaux, afin de garantir la juridicité de ces droits. Plusieurs formules pourraient être envisagées, que ce soit celle d’un « noyau dur » (en établissant un niveau minimum quant au niveau de vie,

312 Idée défendue dès les années 1980 par l’un de ses promoteurs (Jacques-Yvan MORIN, «Pour une

nouvelle constitution du Québec», (1985) 30 Revue de Droit de McGill), qui a gardé toute son actualité.

313 L’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit qu’à l’exception de certains éléments comme la

charge de lieutenant-gouverneur, « une législature a compétence exclusive pour modifier la constitution de sa province ».

314 Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du

Québec, L.R.Q., c. E-20.2, préambule, alinéa 2.

de santé, de conditions de travail), de « mesures raisonnables » ou d’une entrée en vigueur progressive de ces droits316.

Une disposition préliminaire pourrait rendre explicite le caractère constitutionnel de la Charte. Il faudrait également introduire une procédure spéciale de révision de cet instrument pour marquer le caractère solennel du texte ; on peut toutefois constater que les modifications apportées à la Charte depuis sa mise en oeuvre ont été réalisées du consentement unanime de l’Assemblée nationale317. En outre, il faudrait prévoir quelques normes intangibles, qui seraient à l’abri de toute dérogation318.

La constitutionnalisation des dispositions de la Charte québécoise serait l’aboutissement logique de l’évolution de ce texte, d’abord présenté comme une loi ordinaire puis reconnu comme un instrument « quasi-constitutionnel » avec un statut à part parmi les autres instruments sur les droits de la personne, au Québec et au Canada. En outre, à l’instar de l’expérience globalement positive de la Charte canadienne, cette constitutionnalisation explicite aurait certainement un impact positif sur l’interprétation des droits et libertés de la Charte. Cette clarté constitutionnelle matérialiserait « l’engagement résolu du Québec à respecter les droits et libertés de la personne »319.

Néanmoins, la constitutionnalisation explicite de la Charte québécoise ne réglerait pas pleinement la question du poids et de l’interprétation de ses normes économiques et sociales dans une approche interprétative contextuelle, du fait que seul cet instrument

316 CDPDJ. Après 25 ans: La Charte québécoise des droits et libertés, Volume 1 - Bilan et

recommandations. 2003 ; Pierre BOSSET, « La Charte des droits et libertés de la personne dans l'ordre

constitutionnel québécois: évolution et perspectives », 2005, 27 juin, Conférence de lancement de l'Association québécoise de droit constitutionnel,11.

317 CDPDJ, préc., note 315 ; P.BOSSET,préc., note 315, 13. Les références sont à titre informatif d’un type

de formule d’amendement possible.

318 La prévision de normes intangibles serait conforme aux engagements internationaux du Canada et

indirectement du Québec. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit l’exercice de la faculté de déroger à certaines dispositions en cas de « danger public exceptionnel menaçant l’existence de la nation » (art. 4, par.1), mais prohibe en tout temps la dérogation à plusieurs droits fondamentaux dont le droit à la vie (art. 6), le droit de ne pas être soumis à la torture, à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou à l’esclavage (art. 7 et 8, par. 1 et 2).

319 Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du

québécois les garantit et que leur considération a traditionnellement été moindre que celle pour les libertés et droits fondamentaux ainsi que pour les droits civils et politiques.

Recourir au droit international pour interpréter le droit à des conditions de travail justes et raisonnables est un moyen d’enrichir son interprétation et de placer la Charte québécoise dans la lignée d’instruments internationaux des droits de la personne. Il est donc temps de déterminer le poids que le droit international peut avoir pour interpréter les droits économiques et sociaux de la Charte québécoise.

Avant de préciser la valeur du droit international lors de l’interprétation du sens et de la portée des droits économiques et sociaux protégés par la Charte québécoise, nous rappellerons les liens historiques et contemporains de la Charte québécoise avec le droit international des droits de la personne. Nous pourrons dès lors aborder une question au cœur de notre mémoire : la valeur du droit international pour interpréter le droit interne canadien, selon qu’il s’agit de lois constitutionnelles ou de lois ordinaires. Nous terminerons cette section par un tableau des normes internationales en fonction de leur valeur normative en droit canadien, outil qui nous sera utile dans notre travail d’interprétation de l’article 46.

Paragraphe I – La Charte québécoise : un instrument largement inspiré du

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