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Bien que la Constitution du Canada n’accorde pas de compétence au gouvernement fédéral en matière de relations internationales, il est reconnu que l’exercice de ce pouvoir lui est dévolu343. L’exécutif fédéral a donc le droit de signer et de ratifier des traités, sans l’approbation formelle des gouvernements provinciaux, de leurs assemblées législatives, et du Parlement fédéral344. Cependant, dans les faits, le gouvernement

fédéral ne s’engage pas au niveau international s’il n’a pas entrepris des démarches auprès des provinces, et reçu leur accord qu’elles mettront en œuvre les obligations du traité dans la mesure où cela concerne leur domaine de compétences345. Par conséquent, le Québec est lié indirectement par des engagements internationaux qu’il doit respecter : il n’est donc pas censé légiférer de façon incompatible avec ces derniers346.

343 Peter HOGG, Constitutional Law of Canada, Toronto, Carswell, 1997, chap.11.

Il est admis que la théorie de la réception dualiste vis-à-vis des traités internationaux a été établie pour la première fois dans le jugement Canada (AG) c. Ontario (AG) de 1936 : la CSC a affirmé que le pouvoir exécutif détenait la juridiction constitutionnelle exclusive de négocier et de conclure des traités internationaux. AG (Canada) c. AG (Ontario), [1936] (3 D.L.R. 673, C.S.C), 697 cité dans Graham HUDSON, «Neither Here nor There: The (Non-)Impact of International Law on Judicial Reasoning in

Canada and South Africa», (2008) 21 Canadian Journal of Law and Jurisprudence, par. 6.

344 Ce pouvoir exclusif a été acquis progressivement par le Gouvernement du Canada. La Constitution

canadienne de 1867, bien qu’elle ait créé le Dominion du Canada, ne mentionnait aucun domaine de compétence pouvant être associé aux relations internationales. L’exécutif fédéral a acquis une autonomie croissante vis-à-vis de ses affaires extérieures jusqu’à la Première Guerre mondiale. Après ce conflit, le Gouvernement fédéral a agi de sa propre autorité sur la scène internationale et les autorités britanniques n’ont fait qu’entériner les traités qui lui étaient présentés. Le Statut de Westminster de 1931 a entériné la pleine indépendance du Canada et des autres Dominions de l’Empire britannique, leur reconnaissant tous les attributs d’un État souverain sur la scène internationale, y compris les pleins pouvoirs en matière d’affaires étrangères. Daniel DUPRAS, Division du droit et du gouvernement, Gouvernement du Canada, Les traités internationaux: La pratique canadienne, PRB 00-04F, 2000, en ligne: http://dsp- psd.pwgsc.gc.ca/Collection-R/LoPBdP/BP/prb0004-f.htm.

345 France HOULE, «La légitimité constitutionnelle de la réception directe des normes du droit international

des droits de la personne en droit interne canadien», (2004) Cahiers de Droit, 310.

346 Dufour c. Centre hospitalier St-Joseph-de-La-Malbaie, [1992] (R.J.Q. 825 (T.D.P)).Voir aussi :

Madeleine CARON, «L'utilisation du droit international aux fins d'interprétation et d'application de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec», (1984) 1 Revue québécoise de droit international.

Conformément aux obligations qui incombent au Québec, les institutions des droits de la personne québécoises ont recours, bien qu’inégalement, au droit international pour interpréter la Charte québécoise. La CDPDJ et le Tribunal des droits de la personne en ont fait un de leurs leitmotive, tandis que la Cour d’appel est plus réticente à son égard sans pour autant lui nier toute portée.

A. Le droit international et la CDPDJ

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse joue depuis sa création un rôle important dans la promotion du droit international des droits de la personne. Outre ses responsabilités, énumérées à l’article 71 de la Charte québécoise347,

la CDPDJ met en œuvre les fonctions que lui attribuent les Principes de Paris348. En tant

qu’institution nationale des droits de la personne, elle doit

b) Promouvoir et veiller à l’harmonisation de la législation, des règlements et des pratiques nationaux avec les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (…) et à leur mise en œuvre effective (…)

c) Encourager à la ratification desdits instruments ou à l'adhésion à ces textes et s'assurer de leur mise en oeuvre; d) Contribuer aux rapports que les États doivent présenter aux organes et comités des Nations Unies, ainsi qu'aux institutions régionales, en application de leurs obligations conventionnelles, et le cas échéant, émettre un avis à ce sujet, dans le respect de leur indépendance;

e) Coopérer avec l'Organisation des Nations Unies et toute autre institution de la famille des Nations Unies, les institutions régionales et les institutions nationales d'autres pays, compétentes dans les domaines de la protection et de la promotion des droits de l'homme (…).349

La CDPDJ a eu largement recours au droit international des droits de la personne, tantôt pour préciser la portée des droits garantis par la Charte, tantôt pour rappeler la nature et

347 La CDPDJ doit assurer, « par toutes mesures appropriées, la promotion et le respect des principes » de

la Charte. Elle doit notamment « coopérer avec toute organisation vouée à la promotion des droits et libertés de la personne, au Québec ou à l'extérieur » (art. 71, al. 8 de la Charte).

348 ONU, Principes concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales pour la protection

et la promotion des droits de l'homme (Principes de Paris), Commission des droits de l'homme (résolution 1992/54, 1992), Assemblée générale des Nations Unies (A/RES/48/134, 1993).

l’objet des engagements internationaux du Québec350. En témoigne la constance d’utilisation du droit international par la Commission (en particulier de la DUDH, des Pactes et de la Charte sociale européenne351) dans son bilan de la Charte et de l'évolution des droits de la personne après 25 ans de mise en oeuvre352. Le droit international des droits de la personne a donc considérablement enrichi les interventions de la CDPDJ dans de nombreux domaines353. Il a donné lieu à une interprétation progressiste de la Charte, tout en permettant à la CDPDJ de s’inscrire dans une dynamique mondiale.

La CDPDJ contribue aussi aux rapports que le Québec soumet aux Nations Unies en matière de droits et libertés, et agit parfois à titre d’interlocuteur direct à certaines instances onusiennes354.

B. Le droit international et les tribunaux

Contrairement à la CDPDJ, l’intérêt des tribunaux pour le droit international est plus récent, et varie selon les instances.

Dans sa première décision, le Tribunal des droits de la personne a rappelé la similarité de langage entre la Charte québécoise et plusieurs instruments internationaux355. Le Tribunal a considéré d’emblée que le droit international des droits de la personne lui

350 Madeleine CARON. « Le droit international des droits de la personne: son application au Québec par la

Commission et le Tribunal des droits de la personne », 1994, 16 mars, Association des auditeurs et anciens auditeurs de l'Académie de droit international, Université de Montréal.

351 CONSEIL DE L'EUROPE. Charte sociale européenne, STE n°035. 1961, révisée en 1996.

352 CDPDJ. Après 25 ans: La Charte québécoise des droits et libertés, Volume 1 - Bilan et

recommandations. 2003, 29.

353 M. Coutu et P. Bosset analysent les domaines dans lesquels le recours au droit international dans

l’interprétation des dispositions de la Charte a donné lieu à des avancées significatives. Il s’agit notamment de la question linguistique, des libertés syndicales, de lutte contre le racisme, de religion ainsi que des droits de l’enfant. Michel COUTU et Pierre BOSSET, «Étude n°6: La dynamique de la Charte» dans

CDPDJ (dir.), Après 25 ans: La Charte québécoise des droits et libertés, vol. 2, 2003, 283-284.

354 CDPDJ, Réponses aux questions posées par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels,

1998.

355 CDPDJ (Marcil) c. Commission scolaire de St-Jean-sur-Richelieu, [1991] (R.J.Q. 3003 (T.D.P.), conf.

servirait pour décrire le « contexte d’affirmation des droits et libertés, ainsi que comme instrument d’interprétation de la Charte »356.

Depuis, le recours au droit international lui a permis de mettre en lumière la symbiose existant entre le droit à l’égalité et les autres droits et libertés, en citant notamment la Cour européenne des droits de l’homme357. Plus récemment, le Tribunal a abordé dans un colloque les thèmes de la race, des femmes, des enfants et du handicap, et les conventions internationales afférentes, dans l’optique d’enrichir et d’actualiser l’interprétation du droit à l’égalité garanti par la Charte québécoise358. Le Tribunal a aussi parfois recours à des instruments internationaux non ratifiés, pour interpréter la Charte québécoise359. Son objectif est d’assurer « l’effectivité accrue des droits de la

personne » avant tout, ce qui le place dans « un forum plus large d’institutions spécialisées qui, à l’échelle nationale, régionale et internationale », ont le même but360.

La Cour d’appel, plus conservatrice dans ses décisions, a rappelé que l’incorporation des traités dans le droit interne était nécessaire pour qu’ils aient une influence dans l’ordre normatif québécois et canadien. Néanmoins, elle a aussi rappelé qu’en cas de doute ou d’ambiguïté, il peut être présumé que le législateur vise à respecter les engagements internationaux du pays361.

356 Marcil, [1991] (R.J.Q. 3003 (T.D.P.), conf. à [1994] R.J.Q. 1227 (C.A.)).

357 Dans la décision Affaire linguistique belge (arrêt du 23 juillet 1968, Série A, vol. 8), le droit à l’égalité

reconnu par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été défini comme s’appliquant à l’ensemble des droits reconnus, cité dans MichelCOUTU et PierreBOSSET, «Étude

n°6: La dynamique de la Charte» dans CDPDJ (dir.), Après 25 ans: La Charte québécoise des droits et libertés, vol. 2, 2003, 286-287.

358 « Race, femme, enfant, handicap : Les conventions internationales et le droit interne à la lumière des

enjeux pratiques du droit à l’égalité ». Colloque organisé conjointement par le TDP et le Barreau du Québec, les 25 et 25 mars 2010 à Montréal.

359 Par exemple, le TDP a mentionné le Code de pratique pour la dignité de l’homme et de la femme au

travail, adopté par le Conseil des communautés européennes en 1991, dans CDPDJ (Hachey) c. Habachi, [1992] (R.J.Q. 1439 (T.D.P).

360 Le Tribunal des droits de la personne, Bilan d'activités 2008-2009, Montréal, 2009, 3.

361 Ministre de la Justice du Québec et Procureur général du Québec c. Ministre de la justice du Canada

et Procureur général du Canada et CDPDJ. « Renvoi relatif au projet de loi C-7 sur le système de justice pénale pour les adolescents », [2003] (C.A.M. 500-09-011369-014).

Paragraphe III – Vers une classification du droit international selon sa

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