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La reconfiguration des réseaux d'administrateurs en Europe et l'émergence d'une « corporate élite » européenne « corporate élite » européenne

La conversion libérale du grand patronat français, l'européanisation de l'activisme patronal et l'émergence de la « corporate élite » européenne

4. La reconfiguration des réseaux d'administrateurs en Europe et l'émergence d'une « corporate élite » européenne « corporate élite » européenne

Dans cette dernière partie, l'analyse se tourne vers la question, distincte de celle de l'activisme patronal paneuropéen, de la constitution d'un espace social commun aux élites dirigeantes des champions européens issus de la maturation du « big business » européen dans les années quatre-vingt. Cet espace social constitue en quelque sorte le substrat à partir duquel se développe l'activisme patronal décrit dans les deux parties précédentes. Mais comme analysé un peu plus loin, la constitution d'un espace social composé des dirigeants du « big business » européen a également une valeur stratégique. En effet, en pénétrant les uns dans les lieux du pouvoir économique des autres et vice versa, un flux permanent d'informations stratégiques est mis en place qui crée une certaine communauté d'intérêt.

543 Ibid ; voir aussi la présentation sur le site de l'EFR http://www.efr.be/mission.aspx (consulté le 18 juin 2014).

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Le développement durant les années quatre-vingt-dix de la tendance à l'internationalisation économique a suscité un débat parmi des sociologues anglophones – notamment Leslie Sklair et William Robinson – sur la constitution d'une « classe capitaliste transnationale »545. Très rapidement, la thèse défendue par ces chercheurs – à savoir qu'une telle classe existe déjà bel et bien et qu'elle porte un projet « globaliste » – a été largement contestée. Il a été reproché à Sklair et Robinson que leur thèse reposait sur des faibles fondements empiriques546. Mais la piste de recherche ouverte par leurs contributions a été poursuivie avec des stratégies différentes par d'autres chercheurs qui ont essayé de tester la thèse d'une « classe capitaliste transnationale » en reprenant le fil de la tradition intellectuelle reposant sur l'analyse des « interlocking directorates » entre grandes firmes et des réseaux d'administrateurs constitués par ces « interlocking directorates ». En parallèle et en lien avec ces recherches, une autre piste de recherche poursuivie a été celle cherchant à apprécier le degré d'internationalisation des instances dirigeantes des grandes firmes.

Un réseau d’administrateurs est constitué par l’ensemble des dirigeants qui sont reliés entre eux par le biais d'« interlocking directorates » entre grandes firmes. Le terme « interlocking directorate »547 désigne une situation où un/e dirigeant/e siège simultanément dans au moins deux instances dirigeantes de grandes firmes. Ces instances peuvent être le conseil d'administration, les comités exécutifs et, dans les firmes qui adoptent la structure de direction duale qui prévaut en Allemagne, les conseils de surveillance. Si, par exemple, un administrateur de la firme A siège dans le conseil de surveillance de la firme B, au sein duquel il côtoie le PDG de la firme C, on considère qu'un réseau reliant les trois firmes existe, bien que les firmes A et C ne partagent aucun administrateur en commun.

Ces liens peuvent avoir diverses significations548. Dans la mesure où ils sont le produit de participations capitalistiques, ils incarnent une fonction de contrôle stratégique sur les activités d'une firme donnée au sein des instances dirigeantes de laquelle siège l'administrateur désigné par la firme qui possède une part du capital de celle-ci. Ils peuvent également être le produit d'alliances ou de collusions entre firmes partageant des administrateurs, et ce à travers les informations stratégiques sur les activités des firmes ainsi reliées que ces administrateurs détiennent et mutualisent lors des réunions des instances dirigeantes des firmes en question. Ces liens peuvent également n'être que le produit de stratégies personnelles. Ils indiquent, dans ces cas-là, le rôle social et politique plus ou moins important de

545 Sklair, 2001 ; Robinson and Harris, 2000 et Robinson, 2004.

546 Carroll, 2010, pp. 2-5 pour une présentation synthetique des diverses positions défendues dans ce débat.

547 La traduction littérale en français serait « administratorats entrelacés », mais l'inélégance du terme le rend inutilisable. Je garde le terme anglais dans ce qui suit.

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l'individu qui cumule les postes d'administrateur. Ambroise Roux, par exemple, cumule dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix – lorsqu'il est au sommet de son pouvoir en tant que parrain du patronat – de très nombreux postes d'administrateur indépendant dans des grandes firmes françaises pour lesquels il est chèrement rémunéré en raison de sa notoriété au sein des élites économiques françaises549.

Mais indépendamment de la signification précise que revêt tel ou tel « interlocking directorate », le réseau constitué par l'ensemble de ces liens constitue une réalité sociale que ne peuvent ignorer les principaux acteurs engagés dans l'administration de grandes firmes550. Les individus siégeant dans plusieurs instances dirigeantes et qui sont ainsi reliés entre eux constituent, selon Michael Useem, l' « inner circle » – le « cœur de l'élite patronale » – d'une communauté d'affaires ou d'une classe capitaliste, dont ils sont les porte-paroles et l'avant-garde551. Ainsi, l’existence d’un réseau plus ou moins étendu (reliant un nombre plus ou moins grand de firmes) et plus ou moins dense (avec un nombre plus ou moins élevé de liens reliant les firmes du réseau) indique l’existence et la surface d’une communauté de grands patrons ainsi que la cohésion qui existe au sein de ce groupe social552. Pour ce qui est de l'intégration économique européenne, les interlocking directorates » transnationaux peuvent être conçus comme étant « the building blocks of the social field for the European corporate elite both as a communication device among the command posts of big business and as a device for (European) elite formation […] The formation of a European corporate elite network enables a business scan that goes beyond the national borders and, as such, hints at a changing orientation from the national towards the European »553.

Les recherches sur les réseaux d'administrateurs ont longtemps porté leur attention essentiellement sur les réseaux nationaux, et lorsque l'on tentait d'adopter une perspective internationale, il s'agissait surtout d'études comparatives554. Cependant, le débat grandissant autour de l'hypothèse de l'émergence d'une classe capitaliste transnationale a incité plusieurs chercheurs à poursuivre une piste de recherche jusque là minoritaire au sein des études sur les réseaux d'administrateurs, consistant à porter

549 De Caumont, 1996.

550 Carroll, 2010, pp. 19-20.

551 Useem, 1984.

552 Cette proposition doit être qualifiée pour tenir compte des différentes propensions à former de tels réseaux en fonction des pays. Kees Van Veen et Jan Kratzer, reprenant à leur compte les concepts du courant des Variétés de Capitalisme (VoC), démontrent que les réseaux nationaux d'administrateurs en Europe sont plus ou moins denses en fonction du « modèle » de capitalisme national. Ainsi, au Royaume-Uni, où prévaut un capitalisme libéral et concurrentiel (défini dans la typologie de VoC comme une « liberal market economy »), le réseau national est très épars, alors qu'en France et en Allemagne où prévaut un capitalisme « coordonné » (une « coordinated market economy ») les réseaux respectifs sont très denses. Van Veen and Kratzer, 2011.

553 Heemskerk, 2013, pp. 75-76. Le terme « business scan » utilisé par l'auteur dans la citation peut être rendu en français par « l'action de scruter la vie des affaires ». Il fait référence à la fonction de mutualisation des informations stratégiques concernant les grandes firmes que remplit un réseau d'administrateurs.

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l'attention sur le réseau constitué par des « interlocking directorates » transnationaux, c'est-à-dire des liens établis entre firmes dont les sièges sociaux ne sont pas localisés dans les mêmes pays555.

Dans un premier temps, le débat s'est cantonné à une tentative d'apprécier si globalement il y a progression du nombre des « interlocking directorates » transnationaux (sans distinguer dans le cas des firmes européennes entre liens transnationaux extra-européens et intra-européens) vis-à-vis des liens nationaux. Une telle progression serait un indice de l'existence d'une classe capitaliste transnationale en voie de constitution. Dans une contribution publiée en 2002556, le sociologue canadien William Carroll et son homologue néerlandais Meindert Fennema ont comparé le réseau transnational formé en 1976 et 1996 par 176 grandes firmes. Leur échantillon pour 1976 a été repris à l'étude pionnière publiée par Meindert Fennema en 1982 et leur échantillon pour 1996 a été composé de façon à permettre une comparaison directe avec 1976. Leur conclusion a été que globalement, le réseau a un peu perdu de sa densité, mais que ceci est entièrement dû au recul des liens nationaux, alors que les liens transnationaux marquent une faible progression. En pourcentage de l'ensemble des liens, ceux-ci passent de 22,8% en 1976 à 24,8% en 1996. Les deux auteurs en ont tiré la conclusion que leurs résultats ne permettent pas de valider la thèse d'une classe capitaliste transnationale.

La contradiction557 leur a été apportée deux ans plus tard par deux chercheurs (Jeffrey Kentor et Yong Suk Jang) qui, à partir d'un échantillon différent (les 500 firmes répertoriées par le Fortune Global

500 en 1983 et en 1998) mais beaucoup plus représentatif de la réalité de l'économie mondiale que celui

composé par Carroll et Fennema, ont constaté à la fois une augmentation des liens domestiques que des liens transnationaux. La progression de ces derniers est, dans l'étude de Kentor et Jang, toutefois beaucoup plus importante. Les liens transnationaux passent de 120 en 1983 à 186 en 1998 (une progression de plus de 50%) alors que les liens domestiques n'augmentent que de 21,3% (de 755 à 916). Au total, les liens transnationaux passent de 13,2% des liens totaux en 1983 à 17% en 1998, ce pourcentage plus bas que celui identifié par Carroll et Fennema s'expliquant par la nature de leur échantillon qui comprend un nombre beaucoup plus élevé de firmes. Kentor et Jang en ont conclu qu'une classe capitaliste transnationale est bel et bien en train d'émerger, même si le processus n'est en 1998 pas encore très avancé.

Parallèlement à ces recherches, une autre piste poursuivie a été celle tentant de mesurer la multinationalisation croissante du personnel siégeant au sein des instances dirigeantes de grandes firmes.

555 L'ouvrage fondateur est Fennema, 1982.

556 Carroll and Fennema, 2002, reproduite en 2010 dans Carroll, 2010, chapitre 1.

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Le lien entre les deux pistes a été effectué par un autre sociologue américain, Clifford Staples, qui a comparé l'évolution de la composition des instances dirigeantes des 100 firmes les plus internationalisées selon le classement de la CNUCED en 1993 et en 2005, puis à partir d'un échantillon élargi a effectué le même exercice en même temps qu'il a calculé le nombre d'« interlocking directorates » transnationaux entre les firmes de son échantillon558. Alors qu'en 1993 seulement 29 firmes sur les 80 (36,3%) pour lesquelles des données ont pu être obtenues ont au moins un directeur « étranger » (défini comme étant de nationalité différente de celle du pays où la firme en question a son siège social), en 2005 le même pourcentage est de 75% (60 firmes sur 80). Toutefois, sur les 929 administrateurs identifiés à la tête de ces grandes firmes, seulement 228 (24,5%) d'entre eux sont des « étrangers » dans les firmes qu'ils dirigent. Staples en a conclu donc que la multinationalisation des instances dirigeantes est à la fois étendue et superficielle. Enfin, les données rassemblées par Staples sur les « interlocking directorates » transnationaux indiquaient une poursuite de la tendance au renforcement de l'importance de ces liens par rapport aux liens nationaux.

Malgré des désaccords méthodologiques entre Carroll et Fennema d'un côté, Kentor et Jang de l'autre, un point sur lequel les résultats de leurs recherches convergent est que les liens transnationaux intra-européens progressent significativement et proportionnellement beaucoup plus que les liens transnationaux dans leur ensemble. Staples a également montré que les firmes européennes ont de loin les instances dirigeantes les plus internationalisées, comparées aux firmes américaines ou japonaises559. Le même auteur démontre qu'il existe une corrélation étroite entre l'incidence des opérations de concentration transnationales et le niveau d'internationalisation des instances dirigeantes des grandes firmes, ce qui fait écho au niveau qualitativement plus élevé d'internationalisation productive des pays européens qui a été mis en évidence dans le précédent chapitre. Naturellement donc, les recherches se sont poursuivies en regardant de plus près ce qui se passe en Europe.

4.1 La « corporate élite » européenne en voie de constitution

Les recherches consacrées plus spécifiquement aux contours de la « corporate élite » européenne

558 Staples, 2006 (pour la comparaison avec Carroll et Fennema et Kentor et Jang et le calcul des « interlocking directorates » transnationaux) et 2007.

559 Staples, 2008, pp. 36-37. Sur un échantillon réunissant les cent plus grandes firmes multinationales industrielles (par les actifs) en 2003 (le classement en question est établie par la CNUCED) et les cinquante plus grandes banques commerciales (par le nombre des filiales étrangères), 3,26 pays sont en moyenne représentés au sein des conseils d'administration des firmes européennes, 2,14 pour les américaines et seulement 1,38 pour les japonaises.

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sont plutôt récentes560. Deux d'entre elles561 tentent d'évaluer l'évolution du réseau d'administrateurs européen en comparant sa structure à deux dates différentes. William Carroll, Meindert Fennema et Eelke Heemskerk ont utilisé un échantillon composé des 400 plus grandes firmes industrielles et commerciales répertoriées par le Fortune Global 500 en 1996 et en 2006 (classées en fonction du chiffre d'affaires), auxquelles ils ont rajouté les 100 plus grandes firmes financières internationales (classées en fonction de leurs actifs) des mêmes années562. Dans leur article, ils analysent le réseau constitué par les firmes européennes de l'échantillon (170 en 1996 et 193 en 2006, la différence entre les deux reflétant le déclin des firmes américaines et japonaises dans les classements utilisés). Dans son ensemble, leur recherche montre que le réseau transnational intra-européen devient plus étendu (reliant un nombre plus important de firmes) mais moins dense (la moyenne des liens entretenus par chaque firme du réseau est plus faible en 2006 qu'en 1996)563. Sur l'ensemble des liens entre firmes européennes, la proportion des liens domestiques diminue de 74,4% en 1996 à 67,3% en 2006. Les liens domestiques diminuent en nombre absolu alors que les liens transnationaux sont en augmentation. Enfin, les auteurs démontrent que les firmes européennes entretiennent peu de liens extra-européens dans leur ensemble. La plupart des firmes européennes de l'échantillon en 2006 (121 sur 193) n'ont pas de liens en dehors de l'Europe, 44 d'entre elles n'en ont qu'un, et sur les 28 restantes seulement trois ont plus de liens extra -européens qu'intra-européens. De façon intéressante et peu surprenante, les firmes les plus extraverties sont britanniques et suisses. Dans l'ensemble, l'image qui se dégage de cette recherche est celle d'une « corporate élite » européenne de plus en plus étendue, où le niveau proprement européen gagne en importance à l'égard du niveau national et en cohésion à l'égard de l'extérieur.

Les tendances décrites dans le précédent paragraphe se poursuivent durant le reste de la décennie deux-mille. Dans un tout récent article, intitulé « The Rise of the European Corporate Elite », Eelke Heemskerk utilise un échantillon composé par les firmes de l'indice boursier FTSE Eurofirst 300564 pour

560 En France Dudouet et Grémont, 2010, et Dudouet, Grémont et Pageaut, 2012 ; Carroll, Fennema and Heemskerk, 2010, reproduit dans Carroll, 2010 (chapitre 7) ; van Veen and Kratzer, 2011 ; Heemskerk, 2013.

561 Carroll, Fennema and Heemskerk, 2010 ; Heemskerk, 2013.

562 Le choix fait par Carroll, Fennema et Heemskerk dans ce papier pour leur échantillon les rapproche des arguments méthodologiques de Kentor et Jang ; ceux-ci considéraient, dans la controverse qui les a opposés à Carroll et Fennema en 2004/6, que leur échantillon était plus représentatif de l'économie mondiale dans son ensemble. En même temps, Carroll, Fennema et Heemskerk, en retenant arbitrairement un ratio de 4 à 1 entre firmes industrielles et commerciales d'un côté, et firmes financières de l'autre, restent fidèles à leur position initiale selon laquelle un classement par le chiffre d'affaires discrimine en défaveur des firmes financières, ce qu'ils cherchent à rectifier en retenant un classement par les actifs pour celles-ci, qu'ils jugent plus représentatif de leur importance économique réelle.

563 Carroll, Fennema and Heemskerk, 2010, p. 820.

564 Cet indice comprend les 310 principales capitalisations boursières de « l'Europe développée » (EU15 + Norvège et Suisse). En mai 2014, il comprend entre autres 53 firmes françaises, 40 allemandes, 77 britanniques, 27 suisses.

http://www.ftse.com/Analytics/FactSheets/Home/FactSheet/ProductRegions/OTHER/1/EUR/1?fromftse=true (consulté le 1 juillet 2014).

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comparer les réseaux d'administrateurs pour les années 2005 et 2010. A la fois la proportion des firmes entretenant un lien transnational intra-européen et celle des liens transnationaux rapportés aux liens totaux sont en augmentation565. En 2010, près de trois quarts (72%) de toutes les firmes ont un lien transnational, alors qu'en 2005 ce pourcentage est de 56,4%. Le pourcentage des liens transnationaux intra-européens sur le total des liens passe de 34,1% à 39,4%. En d'autres termes, de plus en plus de grandes firmes européennes tissent des liens transnationaux européens (le réseau devient donc plus étendu) en même temps que ces liens deviennent plus denses. Cependant, Heemskerk a également observé un renforcement des liens nationaux, au contraire de la plupart des études précédentes, et ce notamment en France et en Allemagne. L'image générale qui se dégage donc est que « the European corporate elite is still best characterised as a coming together of several national elites who together create the foundations of a European business community »566.

Cette conclusion est partagée par les chercheurs français qui se sont récemment intéressés au réseau d'administrateurs transnational intra-européen, à savoir Eric Grémont et François-Xavier Dudouet. Dans une contribution parue en 2012 faisant le point sur leurs recherches basées sur un échantillon composé par les firmes des principaux indices boursiers nationaux en Europe, ils concluent qu'« il existe donc bien un espace social des grands patrons européens, mais celui-ci ne s'est visiblement pas encore émancipé de ses racines domestiques »567.

Ce résultat fait écho à l'observation faite dans le précédent chapitre selon laquelle les grandes firmes européennes, tout en s'étant européanisées durant la période post-champions nationaux, restent dans leur écrasante majorité toujours contrôlées par les élites économiques de leur marché national d'origine et qu'il n'existe toujours que très peu de champions européens « plurinationaux » à l'instar du plus célèbre d'entre eux, EADS. Une comparaison entre les instances dirigeantes d'EADS et de deux grandes firmes industrielles représentatives comme GDF-Suez et Siemens illustre bien la différence en termes d'internationalisation des instances dirigeantes des champions européens « plurinationaux » et les autres. Au sein du conseil d'administration et du comité exécutif d'EADS, on retrouve neuf français, sept allemands, deux espagnols, un britannique, trois américains et un indien. Les quatre membres français du conseil d'administration sont Denis Ranque (ancien PDG de Thalès et actuel président des Fondations de l’École Polytechnique et ParisTech568), Anne Lauvergeon, Michel Pébéreau et Jean-Claude Trichet.

565 Heemskerk, 2013, p. 82 pour une synthèse des principaux résultats de la recherche.

566 Ibid, p. 96.

567 Grémont, Dudouet et Pageaut, 2012 , p. 270.

568 Denis Ranque est également polytechnicien et mineur, ainsi que membre du conseil d'administration de Saint-Gobain. Il est l'un des plus éminents représentants du pôle libéral-colbertiste.

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Les quatre allemands sont Manfred Bischoff (président du conseil de surveillance de Daimler), Hans-Peter Keitel (président du BDI – le patronat allemande – de 2009 à 2012 et membre de plusieurs conseils d'administration de grandes firmes allemandes), Hermann-Josef Lamberti (ancien directeur général de la Deutsche Bank) et Thomas Enders, le nouveau PDG d'EADS. Autrement dit, l'instance en question réunit quelques uns des plus éminents représentants des élites économiques française et allemande. Chez GDF-Suez en revanche, on retrouve vingt-trois français, deux belges, un allemand et un britannique dans le conseil d'administration et le comité de direction générale. Enfin, chez Siemens, ils sont vingt-quatre allemands, un français et un turc à siéger dans le conseil de surveillance et le comité de direction de la firme569. Dans EADS, les liens transnationaux dominent largement les liens domestiques. L'inverse est vrai dans GDF-Suez et Siemens. Ce constat s'accorde également avec l'observation de Clifford Staples quant à la corrélation étroite entre opérations de concentration internationales et internationalisation des conseils d'administration. EADS est précisément le produit d'une telle fusion « entre égaux » intervenue en 2000 entre les champions nationaux de l'aéronautique civil français (Aérospatiale), allemand (DASA) et espagnol (CASA). GDF-Suez, au contraire, est le produit d'une fusion similaire entre deux champions

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