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Le lancement du processus d'intégration économique européenne : l'influence américaine et le choix européen de la fraction modernisatrice des élites françaises américaine et le choix européen de la fraction modernisatrice des élites françaises

L'intégration économique européenne des débuts à la « relance » des années quatre-vingt : la transition vers l'Europe du « big business »

1. Le lancement du processus d'intégration économique européenne : l'influence américaine et le choix européen de la fraction modernisatrice des élites françaises américaine et le choix européen de la fraction modernisatrice des élites françaises

Durant la période initiale du processus d'intégration économique européenne, le rôle joué par la politique européenne des États-Unis est déterminant. Les États-Unis sont alors à l'apogée de leur puissance et constituent la principale puissance européenne. Ceci signifie que tant que n'est pas réglée la question du statut de l'Allemagne dans le système européen issu de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis détiennent les clés de l'évolution ultérieure du capitalisme européen dans la mesure où il leur revient de décider du sort de l'Allemagne. La politique européenne des États-Unis durant cette période initiale délimite les marges de manœuvre des différents acteurs européens et renforce la position de ceux parmi eux qui partagent les objectifs de cette politique. Cette capacité des États-Unis arrive à son terme en 1955 avec l'intégration de l'Allemagne dans l'OTAN. A partir de ce moment-là, le processus d'intégration économique européenne s'autonomise des États-Unis et l'attitude de ceux-ci est de plus en plus déterminée par leurs intérêts économiques, tant commerciaux49 que monétaires/financiers50, plutôt que par leurs intérêts géopolitiques51.

Si la politique européenne des États-Unis détermine le cadre global, les principaux défis que doivent relever les élites françaises durant les années cinquante découlent de l'état dans lequel se trouve le capitalisme français à la fin de la guerre. Ces défis sont essentiellement deux et bien que distincts, ils se rejoignent. D'abord, le choix entre modernisation de l'appareil productif et généralisation de la production à grande échelle ou protection des structures du capitalisme patrimonial dominant, choix qui oppose un camp « modernisateur » à un camp « malthusien ». Le deuxième choix est celui qui voit s'opposer le choix de l'insertion du capitalisme français dans les circuits commerciaux internationaux et en particulier dans le processus d'intégration commerciale continentale ou le choix de la poursuite de la protection du capitalisme national et du repli commercial sur l'empire. Ce choix oppose le camp libre-échangiste, favorable à une réorientation des échanges extérieurs français vers l'Europe, au camp protectionniste ou « autarchique ».

1.1 Le dessein américain pour l'Europe : la « politique de la productivité » au service de la

49 Dür, 2010, chapitre 4.

50 Loriaux, 1991, chapitre 7 ; Eichengreen, 2008, pp. 126-149.

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« Porte ouverte » et contre le communisme

A la fin de la deuxième guerre mondiale, les États-Unis sont la principale puissance économique et militaire mondiale. Bien que la production manufacturière américaine dépasse celle de chacune des autres puissances dès les années 1880 et que dès après la première guerre mondiale les États-Unis deviennent la principale source de crédit international52, la situation en 1945 est sans précédent. Déjà avant la fin de la guerre, les dirigeants américains se rendent compte que le renforcement relatif de la puissance américaine dans le système international qui résultera de l'issue de la guerre leur fournit une opportunité de façonner selon les intérêts économiques et les objectifs politiques américains le système international53.

1.1.1 Les sources de la prépondérance et de la politique européenne américaines à la fin de la Seconde Guerre mondiale

Ces intérêts et objectifs sont en place dès le début du vingtième siècle. A la fin du dix-neuvième siècle, l'industrie américaine connaît une « révolution structurelle »54. L'introduction de la politique antitrust avec le Sherman Act en 1890 stimule un vaste mouvement de concentrations industrielles qui aboutit à l'émergence d'industries oligopolistiques structurées à l'échelle d'un grand marché de taille continentale. Cette transformation des conditions de la concurrence marchande permet la rationalisation des activités de production, la réalisation d'économies d'échelle et de gamme et l'introduction des techniques « fordistes » de production55. Le résultat en est l'augmentation exponentielle de la productivité du travail dans l'industrie américaine, ce qui stimule l'émergence économique et politique des États-Unis dans le système international ainsi que la « maturation » de la forme de la firme multinationale par le biais du développement des investissements des grandes firmes américaines en dehors de leur territoire d'origine56.

Progressivement, cette évolution de la position relative de l'industrie américaine à l'égard de ses concurrentes européennes conduit à l'abandon de la politique internationale traditionnelle des États-Unis

52 Krasner, 1978, p. 56.

53 Layne, 2006, pp. 39-50.

54 Djelic, 1998, chapitre 1 ; sur la première grande vague de concentrations dans l'industrie américaine, voir Lamoreaux, 1985 et Sklar, 1988.

55 Chandler, 1990, pp. 47-234.

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fondée sur le protectionnisme commercial et l'isolationnisme politique. Ceci aboutit dès la fin de la première guerre mondiale à la formulation de la doctrine wilsonienne (l'« internationalisme libéral ») et la tentative du gouvernement fédéral d'accroître son influence dans les affaires mondiales à travers la création d'une organisation internationale, la Société des Nations. La politique économique internationale des États-Unis est la pierre angulaire de leur politique internationale générale, et a été résumée par la célèbre formule de la « Porte Ouverte »57. Tranchant avec la méthode de la conquête coloniale, l'objectif de la politique de la « Porte Ouverte » est de garantir un système économique international ouvert aux flux de marchandises et de capitaux américains. Le moyen politique de cette ambition est la pacification des relations politiques entre puissances européennes et leur organisation à travers un système permanent de négociations interétatiques. La politique européenne des États-Unis qui découle de cette orientation durant les années vingt préfigure leur politique dans le deuxième après-guerre58. L'objectif des États-Unis à partir de Versailles est la mise en place d'une économie européenne intégrée et interdépendante. Ils considèrent qu'un marché européen commun conduira à une Europe économiquement ouverte et politiquement stable en améliorant les performances des capitalismes européens. Cette stabilisation du continent européen passe, comme durant le deuxième après-guerre, par la réhabilitation de l'économie allemande. Les États-Unis sont donc les principaux instigateurs des plans Dawes et Young dont l'objectif est de régler la question des réparations de guerre allemandes. Mais la capacité des autres puissances victorieuses, que sont la Grande Bretagne et la France, à conduire une politique indépendante restreint celle des États-Unis à imposer la leur. Leur échec et les événements des années trente renforcent la conviction des dirigeants américains que les nationalismes européens conduisent à des résultats contraires à leurs intérêts et objectifs.

Les dirigeants américains établissent un lien de cause à effet entre les nationalismes économiques et les rivalités interétatiques et l'instabilité économique et politique concomitantes59. Ils y attribuent l'arrivée au pouvoir de régimes dictatoriaux et surtout la tendance à la fragmentation et à la fermeture de l'économie mondiale. Leur cible principale durant les années trente est le système des préférences impériales établit par la Grande Bretagne en 1932 qui menace la position de leurs exportateurs dans les marchés du Commonwealth britannique60.

57 L'interprétation de la politique internationale des Etats-Unis à travers la grille d'analyse de la « Porte Ouverte » est étroitement associée à l'historien William Appleman Williams et ses disciples, qui constituent le courant « révisionniste » parmi les historiens américains de la politique étrangère de leur pays. L'ouvrage fondateur est Williams, 1962. Voir aussi Bacevich, 2002, chapitre 2. Layne (2006) s'en inspire très largement ; cf. pp. 29-36.

58 Layne, 2006, pp. 39-40.

59 Ibid, pp. 43-44.

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Avant même leur entrée en guerre en 1941 les États-Unis commencent à élaborer une stratégie pour l'après-guerre. Aussi bien les organisations économiques internationales (le FMI et la Banque Mondiale) issues des conférences de Dumbarton Oaks et de Bretton Woods en 1944 que le plan Marshall (de sa dénomination officielle « European Reconstruction Program ») de 1947 puisent leurs origines dans différents scénarios établis durant cette période61.

A la fin de la guerre, l'orientation du gouvernement fédéral est d'obtenir des engagements de la part des gouvernements français et britannique en vue d'établir un système économique international libre-échangiste en échange d'aide financière sous forme de prêts62. Les États-Unis tentent également d'obtenir le retour rapide à la convertibilité des monnaies nationales de leurs alliés dans l'objectif d'établir un système financier international où la mobilité des capitaux n'est pas entravée63.

En ce moment encore, la politique économique internationale des États-Unis est dominée par les banquiers de Wall Street et leur relais dans l'administration fédérale qu'est le département du Trésor64. Leur priorité est de revenir aussi rapidement que possible à un régime de convertibilité libre des monnaies, et le moyen pour ce faire est d'imposer des politiques financières orthodoxes aux pays européens. En même temps, les États-Unis poursuivent en Allemagne une politique de limitation de la production industrielle et de décartellisation et de déconcentration de l'industrie lourde – jugée coupable d'avoir collaboré avec les nazis.

1.1.2 La politique européenne des États-Unis à partir de 1947

Deux raisons font que la politique menée entre 1945 et 1947 échoue et est donc révisée à partir de 1947 et la mise en place du plan Marshall. D'abord, les États-Unis échouent à imposer la convertibilité des monnaies et les politiques financières orthodoxes qui doivent permettre d'y aboutir65. La reprise de l'activité économique et la dépendance des économies européennes des importations américaines génèrent des déséquilibres dans leurs balances de paiement, ce qui alimente la spéculation contre leurs monnaies et stimule une fuite de capitaux vers le dollar. Cette fuite de capitaux résulte également de l'instabilité politique et économique, accentuée par le dur hiver de 1946/7, mais aussi – c'est la deuxième

61 Layne, 2006, p. 42 ; van der Pijl, 2006, p. 36.

62 Lynch, 1997, pp. 24-51.

63 Helleiner, 1994, p. 52-58.

64 Ibid ; Defraigne, 2004, pp. 151-153.

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raison de l'échec de la politique initiale – par la politique menée en Allemagne. La limitation de la production industrielle allemande déséquilibre les autres économies européennes et crée une situation sociale et politique difficile en Allemagne même, laquelle augmente le coût économique de l'occupation66.

Le conflit au sein de l'administration américaine s'intensifie à mesure que la stratégie suivie n'apporte pas les résultats escomptés. L'autre pôle dans ce conflit est représenté par le gouvernement militaire dans la zone allemande sous occupation américaine et en particulier sa division économique67. Ses alliés à Washington sont les départements d’État et de la Guerre. Au sein de ces structures, on s'inquiète des effets politiques et sociaux de la politique suivie et on cherche à stimuler autant que possible la reprise de la production industrielle allemande. On craint que la politique suivie n'accentue l'attrait des partis communistes ouest-européens ainsi que le crédit dont jouit déjà l'URSS auprès des populations des pays de l'Europe occidentale68. Le général Clay, chef du gouvernement militaire américain en zone occupée, déclare que « There is no choice between becoming a communist on 1500 calories and a believer in democracy on 1000 calories. It is my sincere belief that our proposed ration allowance in Germany will not only defeat our objective in the middle Europe but will pave the way to a Communist Europe »69. Leur approche procède de l'analyse selon laquelle une Allemagne économiquement faible sera une force déstabilisatrice en Europe ainsi qu'un fardeau financier pour les États-Unis.

Le plan Marshall vise donc à la fois à neutraliser les effets de la fuite des capitaux européens privés aux États-Unis 70 qu'à acheter l'acquiescement français à la réhabilitation de l'économie allemande71. Pour le rendre plus acceptable devant le Congrès américain, il est présenté en termes d'une lutte contre le communisme soviétique.

66 Defraigne, 2004, p. 152.

67 Djelic, 1998, 81-86.

68 La politique européenne de l'URSS n'est pas la principale source d'inquiétude pour les dirigeants américains. Staline se montre très content avec le partage de Yalta et le respecte scrupuleusement en abandonnant les partisans communistes dans la guerre civile grecque. Quant à l'Allemagne, l'URSS est prête à un « grand bargain » pour réunifier, démilitariser et neutraliser le pays. Aussi tard que 1952 et 1953 les dirigeants staliniens tentent une ouverture allant dans ce sens, mais celle-ci est rejetée par Washington qui ne veut absolument pas d'une Allemagne neutre. Layne, 2006, pp. 51-70.

69 Cité in Defraigne, 2004, p. 152.

70 Helleiner, 1994, pp. 58-62. Le volume total de l'aide financière fournie par le plan Marshall est inférieur à celui des capitaux européens privés s'étant enfuis aux États-Unis durant la même période.

71 Layne, 2006, pp. 84-85. Un thème récurrent chez Layne est l'idée selon laquelle les objectifs découlant de l'orientation de la « Porte Ouverte » sont le principal facteur explicatif de la politique européenne des États-Unis, l'attitude vis-à-vis l'URSS n'intervenant que dans un deuxième temps. La décision de réhabiliter l'économie allemande peut potentiellement recréer les conditions débouchant sur une guerre. Pour empêcher cela et rassurer les autres pays européens – notamment la France – les États-Unis mettent en place une politique de « double containment » (« double endiguement ») dirigée à la fois contre l'URSS et contre l'Allemagne. Geir Lundestad (1997) souligne également que l'endiguement de l'Allemagne est le facteur le plus important en termes géopolitiques de la politique européenne des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale. Klaus Schwabe (2002) insiste sur le fait que les États-Unis soutiennent la création d'institutions européennes supranationales comme un moyen d'endiguer l'Allemagne.

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Le plan Marshall repose sur ce que l'historien économique Charles S. Maier a appelé « la politique de la productivité »72. Les promoteurs du plan Marshall, essentiellement des dirigeants industriels regroupés dans le Committee for Economic Development (CED), un regroupement patronal progressiste né en 1942 et dont les membres jouent un rôle important dans les structures administrant l'économie de guerre aux États-Unis, s'inspirent en grande partie de l'expérience du New Deal des années trente. Ce groupe de dirigeants industriels est influencé par les idées keynésiennes et prône des politiques financières peu orthodoxes. Dans leur conception, le plan Marshall doit permettre d'atteindre les objectifs généraux de la politique de la « Porte Ouverte » en imposant une « révolution structurelle » à l'industrie européenne qui garantisse l'augmentation de la productivité du travail. Ceci doit permettre de pacifier les relations sociales et ainsi d'éloigner le spectre de l'arrivée au pouvoir de partis tentés de « fermer » les économies européennes à la pénétration économique américaine, voire de les faire basculer dans la sphère d'influence soviétique. Cette conception est résumée par la célèbre formule de l'administrateur central du plan Marshall Paul Hoffman (l'un des fondateurs du CED et président de la firme automobile Studebaker Corporation), selon laquelle le plan Marshall est un concours « between the American assembly line and the Communist party line »73.

A partir de 1947 les États-Unis abandonnent également la ligne orthodoxe en matière de politiques financières74. Afin d'éviter l'imposition de sévères cures d'austérité dans les pays européens, lesquelles risqueraient également de provoquer des effets déstabilisateurs, ils renoncent à obtenir la convertibilité en dollars des monnaies européennes dans le court terme et acquiescent à la mise en place de mesures de libéralisation des échanges européens discriminantes à l'égard des exportateurs américains75. Ils acceptent l'élimination des mesures protectionnistes quantitatives entre pays européens dans le cadre de l'Organisation Européenne de Coopération Économique (OECE), ainsi que la mise en place de l'Union Européenne des Paiements (UEP) en 1950, qui favorise le rétablissement de l'équilibre des balances des paiements des pays européens en permettant de substituer aux importations américaines des importations en provenance d'autres pays européens. Enfin, les États-Unis acceptent, malgré les craintes de leurs sidérurgistes, la mise en place de la CECA, puisqu'ils voient en elle le moyen de faire accepter par la France la réhabilitation de l'économie allemande76.

Le plan Marshall place ainsi la politique économique internationale des États-Unis en Europe

72 Maier, 1978. Voir aussi van der Pijl, 2006, pp. 33-38.

73 Cité in van der Pijl, 2006, p. 38.

74 Helleiner, 1994, pp. 62-72.

75 Dür, 2010, pp. 83-100.

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occidentale à partir de 1947, et jusqu'à la fin des années cinquante, entre les mains d'un groupe de dirigeants industriels clairement associés avec les traits caractéristiques de l'industrie américaine, au détriment des banquiers de Wall Street qui avaient l'ascendant sur cette politique durant la période 1945/47. Ces dirigeants industriels s'emploient à faire du plan Marshall un levier pour favoriser la transformation de l'industrie européenne77. Ils cherchent à libéraliser les échanges entre pays européens, en conditionnant l'aide financière américaine à une coopération entre pays européens au sein de l'OECE, à promouvoir la mise en place de politiques antitrust européennes, à importer les pratiques tayloriennes de gestion des procès de travail, à promouvoir l'association du mouvement ouvrier à l'effort de productivité et à stimuler la réalisation d'économies d'échelle et de gamme à travers la rationalisa tion de la production au sein de grandes firmes. De façon cruciale, ils perçoivent les avantages d'un grand marché continental intégré et appuient donc toutes les initiatives qui vont dans ce sens.

Cette politique américaine révisée à partir de 1947 conditionne fortement les marges de manœuvre des dirigeants français en même temps qu'elle renforce la position de ceux dont les objectifs sont les plus proches de la politique américaine. Leur chef de file est Jean Monnet, ancien négociant en spiritueux devenu après un passage par la Société des Nations banquier d'affaires à Wall Street durant l'entre-deux-guerres puis commissaire au ravitaillement du Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF) à Alger à partir de 1943. Avant de se retrouver à Alger, Monnet est à Washington où il est associé à la planification de l'effort de guerre américain et côtoie à ce titre les dirigeants industriels regroupés au sein du CED. Il entretient par la suite des relations personnelles avec bon nombre des membres de l'establishment américain et son expérience américaine transparaît comme une influence évidente sur ses idées et objectifs78.

1.2 Les conséquences de la politique européenne des États-Unis sur les choix de la France

La politique européenne des États-Unis, telle qu'elle est révisée à partir de 1947 et mise en œuvre à travers le plan Marshall et les pressions exercées en faveur de la réhabilitation économique, politique et militaire de l'Allemagne, détermine de façon cruciale la gamme des choix qui se présentent aux

77 C'est le thème de l'ouvrage de Djelic, 1998.

78 La lecture des mémoires de Monnet (1976) en fournit une illustration claire. Les références à la politique antitrust américaine ou l'idée de la création d'un district fédéral autonome des États-membres pour héberger les institutions supranationales européennes, pour ne pas parler du terme « États-Unis d'Europe », rendent manifeste l'inspiration américaine des idées de Monnet.

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dirigeants français. D'une part, la « politique de la productivité » menée par les dirigeants de l'Economic Cooperation Administration (ECA – l'administration américaine chargée de l'exécution du plan Marshall) renforce la position des « modernisateurs » français face aux élites économiques traditionalistes ; d'autre part, la décision de réhabiliter l'Allemagne oblige la France à abandonner sa politique traditionnelle vis-à-vis de l'Allemagne et de formuler une nouvelle politique allemande.

1.2.1 La situation du capitalisme français à la fin de la guerre et le clivage entre « modernisateurs » et « malthusiens »

A la fin de la guerre, la légitimité et l'initiative politiques en France sont du côté des forces politiques et sociales impliquées dans la résistance, lesquelles sont très majoritairement situées à gauche et au centre de l'échiquier politique79. Ces forces s'appuient sur une couche de hauts fonctionnaires issus en partie de la résistance. Ceux-ci sont concentrés au Commissariat Général au Plan sous la direction de Jean Monnet, au Trésor sous celle de François Bloch-Lainé et à la tête d'une série de grandes firmes nationalisées à la Libération. Leur expertise et la grande influence dont ils jouissent leur valent rapidement la désignation de « technocrates »80.

La première des tâches des nouveaux dirigeants français est de dresser un diagnostic des raisons ayant conduit à la défaite en 1940 et d'attribuer les responsabilités pour ce résultat. Le diagnostic est relativement aisé à dresser : il se résume pour l'essentiel au retard accumulé par l'économie française

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