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Les approches théoriques les plus répandues de l'intégration européenne en science politique sont, d'abord, le néo-fonctionnalisme et, ensuite, l'intergouvernementalisme libéral. L'ouvrage fondateur du courant néo-fonctionnaliste remonte à 195824. Après un déclin dans les années soixante-dix et quatre-vingt, il est ressuscité en 1989 par Wayne Sandholtz et John Zysman dans un article sur l'Acte Unique25 et il connaît par la suite une renaissance26. Le propre du courant néo-fonctionnaliste est d'insister sur le rôle central et autonome joué par les institutions supranationales (la Commission et la Cour de Justice Européennes sont leurs deux principaux objets d'investigation) dans le processus d'intégration. Une fois que de telles institutions sont créées avec l'objectif de résoudre à l'échelle régionale des problèmes générés par des interactions internationales ne pouvant être réglés à l'échelle nationale, les différents acteurs politiques (les élites politiques, les organisations patronales et les bureaucraties des organisations syndicales) se tournent de plus en plus vers elles. De même, le processus s'approfondit par le mécanisme de l'« engrenage »27 ; lorsque la supranationalisation dans un domaine particulier (le domaine monétaire par exemple) nécessite, pour atteindre pleinement ses objectifs, que d'autres domaines fonctionnellement liés au premier (la politique fiscale) soient supranationalisés aussi, alors les acteurs décident d'accorder de nouvelles compétences et de nouveaux pouvoirs aux institutions supranationales. Il est évident, même à en juger de cette présentation fort sommaire de la théorie, qu'on a affaire là à quelque chose qui ressemble à une systématisation théorique des idées de Jean Monnet et du point de vue prévalent au sein des institutions les plus étroitement associées au supranationalisme (Commission, Cour, Parlement Européen). C'est, d'ailleurs, en contact et avec le soutien de Monnet que le professeur de science politique à l'université de Californie Ernst Haas développe dans les années cinquante dans une étude de cas sur la

24 Haas, 1958.

25 Sandholtz and Zysman, 1989.

26 Wayne Sandholtz et Alec Stone-Sweet (2014), les deux principaux représentants contemporains du néo-fonctionnalisme, fournissent une présentation succincte de son histoire, de ses paramètres théoriques et de ses principales réalisations. Ce courant est surtout présent aux États-Unis (Ernst Haas était professeur à l'Université de Californie, où Wayne Sandholtz est toujours en poste). En Europe, le principal représentant de ce courant est Philippe Schmitter (cf. l'ouvrage de référence des néo-fonctionnalistes européens Marks, Scharpf, Schmitter and Streeck, 1996).

21 CECA la théorie fonctionnaliste28.

L'intergouvernementalisme libéral, dont le principal représentant est Andrew Moravcsik29, insiste, au contraire, sur le rôle moteur joué par les gouvernements nationaux et nie l'influence autonome que pourraient exercer à la fois des institutions comme la Commission et la Cour et des groupements politiques transnationaux comme des associations patronales ou des partis politiques paneuropéens. Le développement institutionnel de la Communauté est le résultat d'une négociation entre États-membres ; chaque État centralise et exprime une synthèse des préférences des acteurs politiques et économiques domestiques en fonction de leur poids politique relatif ; les institutions supranationales ne détiennent que des pouvoirs strictement délimités qui leur ont été délégués par les États-membres, à l'instar des secrétariats permanents que l'on retrouve dans une organisation internationale typique comme les Nations Unies. L'intergouvernementalisme libéral plonge ses racines théoriques dans la théorie néoréaliste des relations internationales d'une part30 et dans la théorie libérale de la politique domestique de l'autre31. La théorie exprime, on pourrait dire, le point de vue des gouvernements des États-membres et des institutions communautaires les plus directement sous leur influence (Conseil Européen et Conseil des ministres). Elle jouit également d'une force intuitive indéniable étant donné l'histoire d'affrontements nationaux qui émaille la première moitié du vingtième siècle en Europe et qui lègue une structure économico-politique constituée par des États nationaux indépendants qui constitue la donnée de départ du processus d'intégration. De même, elle permet de comprendre certains épisodes de l'histoire de l'intégration européenne qui avaient, justement, plongé dans l'embarras la théorie fonctionnaliste dans les années soixante et soixante-dix – la crise de la chaise vide en 1965 ou l'institution du Conseil Européen en 1974 par exemple.

La querelle fondamentale entre ces deux courants concerne donc le fait de savoir quelles institutions sont les moteurs du processus, comment sont formulées les solutions européennes aux problèmes générés par l'approfondissement des interactions (notamment économiques) entre sociétés

28 Gillingham, 2003, p. 26. Le terme néo-fonctionnalisme désigne le courant théorique tel qu'il ré-émerge dans les années quatre-vingt-dix.

29 Moravcsik, 1998, est l'ouvrage de référence.

30 Le néoréalisme postule qu'il n'existe dans le champ international que des États interagissant entre eux sur la base de leurs intérêts strictement déterminés par leurs positions respectives dans le système interétatique lequel n'est régi par aucun principe supérieur (il est, donc, dit « anarchique »). Ces interactions ressemblent à un jeu à somme nulle où le gain de l'un est la perte de l'autre. Des représentants contemporains de ce courant sont Kenneth Waltz ou John Mearsheimer.

31 Selon laquelle la politique internationale des États est déterminée par l'agencement des intérêts socio-économiques domestiques et le poids politique relatif de chaque groupe domestique. Le propre d'Andrew Moravcsik est précisément d'introduire ce postulat dans sa théorie de l'intégration européenne, ce qui l'éloigne de l'école néoréaliste. L'auteur est depuis quelques années professeur au Woodrow Wilson School of Public and International Affairs, qui, comme son nom l'indique, défend l'héritage intellectuel de l'internationalisme libéral – l'école de pensée en relations internationales qui s'oppose au néoréalisme.

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nationales et quelle est la substance du pouvoir détenu par les institutions supranationales. En fonction de la réponse à ces questions, chaque courant théorique attribue une importance plus ou moins grande à la formation d'un espace et des acteurs politiques paneuropéens. Ainsi, les néo-fonctionnalistes insistent sur la formation de coalitions d'acteurs au niveau transnational qui tissent des liens étroits avec les institutions supranationales dans une dynamique qui échappe au contrôle des États-membres de l'Union. En revanche, les intergouvernementalistes rejettent l'importance de telles coalitions et leur influence sur la formulation du contenu concret des politiques publiques supranationales et excluent quasiment a priori la possibilité que puisse se former un espace politique transnational européen.

Cependant, comme le reconnaissent Wayne Sandholtz et Alec Stone-Sweet32, le point de départ fondamental des deux courants est le même, à savoir la montée en puissance de l'interdépendance économique dans le cadre régional européen. A partir d'un tel point de départ, il paraît difficile d'invalider soit l'un soit l'autre des principaux postulats des deux courants : que les institutions supranationales disposent d'une mesure d'autonomie d'action importante qu'elles s'emploient à accroître, dynamique qui s'appuie sur la constitution et l'élargissement progressifs d'un espace public et politique spécifiquement européen (néo-fonctionnalisme) et qu'à chaque nouvelle étape de l'intégration les contours de celle-ci représentent le résultat des négociations entre États-membres et des préférences que ceux-ci expriment, préférences qui sont la synthèse de celles des groupes socio-économiques domestiques en fonction de leur poids politique relatif au sein de l'espace national (intergouvernementalisme libéral). Si l'interdépendance économique génère un intérêt commun qui appelle une cristallisation institutionnelle, alors le néo-fonctionnalisme est pertinent ; de même, l'interdépendance est par définition la dépendance mutuelle entre deux ou plusieurs parties prenantes (ici, les économies nationales et les États-membres), ce qui implique que chacune aborde le processus d'intégration en fonction de sa propre réalité et intérêts et qu'elle ne se dissolve pas dans le nouvel ensemble ainsi formé.

Les limites des approches néo-fonctionnaliste et intergouvernementaliste libérale peuvent être dépassées au moyen d'approches qui n'envisagent pas leurs postulats respectifs comme nécessairement antagoniques et donc mutuellement exclusifs, mais qui tentent de les intégrer dans un cadre théorique unique qui accepte la contradiction potentielle entre ces postulats comme un élément constitutif du cadre théorique à développer.

Une telle approche concernant le paramètre institutionnel du processus de l'intégration européenne est celle que l'on pourrait appeler « fédéraliste ». Le terme ne désigne pas la théorie développée par des partisans d'un régime politique particulier pour l'Union, mais des théories qui

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mobilisent le « principe fédéral » comme concept central servant à analyser le développement institutionnel de l'Union33. Le « principe fédéral » postule qu'à l'opposé des ordres politiques reposant sur les États unitaires, il existe des dispositifs étatiques fédéraux dont le propre est la multiplicité des institutions étatiques interagissant entre elles selon un principe qui leur est supérieur et qui est codifié dans les textes constitutionnels. Les ordres politiques fédéraux sont régis par la tension permanente et structurelle entre l'élément « territorial » (« national » dans le cas de l'Union selon Alberta Sbragia) et l'élément « fonctionnel » (« supranational »). Le premier fait référence à tous les paramètres de l'architecture institutionnelle qui permettent l'expression des intérêts véhiculés par les composantes sub-fédérales de l'ensemble – les États-membres dans le cas de l'Union – ; le deuxième fait référence aux paramètres qui permettent l'expression de ce que Jean Monnet et les fondateurs de la Communauté auraient appelé l'« intérêt communautaire » (par exemple la préservation du marché unique). Il est important de saisir le fait que la distinction entre ces deux éléments est analytique et non pas institutionnelle : « The representation of 'national' or 'territorial' interests, when viewed from a federalist perspective, is not necessarily mutually exclusive with 'supranationality'. A political institution can simultaneously be superior to its constituent units – 'supranational' in the EU context – and represent territorially defined interests »34. Cela explique pourquoi les fédéralistes s'intéressent particulièrement au fonctionnement du Conseil des ministres suite au passage avec l'Acte Unique à la modalité de prise de décision à la majorité qualifiée et non plus à l'unanimité. Le monopole de l'initiative législative dont dispose la Commission ainsi que la dynamique de constitution de coalitions gagnantes entre les représentants des États-membres représentent l'élément supranational ; la structure des négociations entre ces mêmes représentants reste, cependant, marquée par l'expression des intérêts territoriaux/nationaux. La même illustration peut être faite pour toutes les institutions de l'Union, du Conseil Européen35 au Parlement Européen en passant par la Cour de Justice Européenne, l'institution considérée généralement comme la plus « supranationale » de toutes les institutions communautaires.

33 Une exposition synthétique de cette approche est dans Sbragia, 1993. Dans le cadre français, voir Dehove et Théret, 2000 pour un article « programmatique » proposant une théorie de l'intégration européenne fortement influencée par le « principe fédéral ». Une application de cette théorie dans le cas des politiques sociales est Théret, 2002. Paul Magnette (2009) propose une conceptualisation du régime politique de l'Union qui s'inspire de l'approche fédéraliste. Il définit l'Union comme une « Union d’États », un terme qui s'inspire manifestement des conceptions de Jacques Delors lui-même pour qui l'Union est une « fédération d’États-nations ». Ce terme est très proche de celui mis en avant par Mario Dehove et Bruno Théret, à savoir le « fédéralisme interétatique » (p. 19) pour caractériser l'Union Européenne.

34 Sbragia, 1993, p. 30.

35 La nomination en juin 2014 de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission par le Conseil Européen malgré

l'opposition de deux chefs de gouvernement parmi les vingt-huit qui composent cette instance constitue, par ailleurs, un pas dans la direction du renforcement du caractère supranational de ce Conseil jusque là considéré comme l'antre de l'élément intergouvernemental dans l'Union.

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Deux exemples peuvent illustrer plus concrètement cette dynamique que l'on peut résumer par l e terme d'« unité contradictoire » entre élément territorial/national et élément supranational. Comme analysé dans le chapitre 4 à propos des politiques de promotion de l'industrie européenne, la Commission Européenne peut, dans son ensemble, militer pour accroître ses propres pouvoirs et l'étendue des politiques publiques qui sont de son ressort tout en étant traversée par des orientations contradictoires quant au contenu concret à donner à ces nouveaux pouvoirs et à leur exercice, des contradictions reproduisant les clivages entre États-membres et portées par des individus qui sont vecteurs au sein de la Commission des mêmes préférences que celles portées dans les négociations intergouvernementales par les États-membres dont ils sont issus. La lecture croisée de deux récents ouvrages de sociologie politique sur les fonctionnaires de la Commission et les eurodéputés étaye, d'ailleurs, cette interprétation. George Ross montre comment les élites européennes (fonctionnaires de la Commission, eurodéputés, personnels des partis paneuropéens) perçoivent l'Union comme étant traversée par des contradictions nationales36. Antonis Ellinas et Ezra Suleiman, eux, montrent en revanche comment les fonctionnaires de la Commission partagent une culture supranationale commune et comment ils s'évertuent à préserver l'autonomie dont jouit l'institution au sein de laquelle ils travaillent37.

Le cas de la Banque Centrale Européenne (BCE) peut aussi être abordé de cette façon. Les contours précis de cette institution (son mandat, sa structure fédérale, les modalités de désignation des membres de son comité exécutif et ainsi de suite) sont le résultat d'une négociation entre États-membres qui reflète le rapport de forces macroéconomique franco-allemand et la façon dont ce rapport de forces se traduit en une cristallisation institutionnelle des préférences respectives de ces deux États-membres, selon le schéma intergouvernementaliste libéral (cf. chapitre 7). Or, dans la crise de la zone euro, la BCE joue un rôle entièrement indépendant de ces deux États, à qui elle s'oppose à tour de rôle sur tel ou tel aspect de la gestion de la crise. En s'opposant à l'orientation allemande consistant à organiser des défauts souverains ordonnés afin de faire contribuer les investisseurs privés aux plans de sauvetage des pays secourus, la BCE se range du côté de la France (et de la Commission). Mais en se faisant la garante infatigable de la discipline macroéconomique à laquelle les États secourus doivent se conformer, elle se range du côté de l'Allemagne, contre les orientations françaises traditionnelles en matière macroéconomique38. Les contradictions en son sein entre les perspectives française et allemande ne

36 Ross, 2011.

37 Ellinas and Suleiman, 2012.

38 Sur le débat entre BCE, gouvernements français et allemand et Commission à propos de la gestion de la crise de la zone euro, voir Leparmentier, 2013 et Bastasin, 2012 (probablement l'étude la plus complète à ce jour des deux premières années de la crise de la zone euro).

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disparaissent d'ailleurs pas, comme en témoigne la position minoritaire dans laquelle se retrouve le gouverneur de la Bundesbank au sein du conseil des gouverneurs de la Banque (l'instance qui décide de la politique monétaire de la BCE) depuis le début de la crise de la zone euro. Enfin, en militant activement très tôt en faveur de l'« union bancaire » qui verra la centralisation du contrôle prudentiel des établissements de crédit de la zone euro sous sa houlette, la BCE s'oppose directement à la position franco-allemande commune lors de Maastricht sur cette question et agit dans un sens conforme à la théorie néo-fonctionnaliste en cherchant à profiter de la crise pour renforcer ses propres pouvoirs en arguant de la nécessité fonctionnelle de cette réforme institutionnelle.

Si l'approche fédéraliste réussit à fournir un cadre théorique qui dépasse les limites des théories néo-fonctionnaliste et intergouvernementaliste libérale sur le plan de l'analyse du développement institutionnel de l'Union, la perspective développée par le courant néo-gramscien d'Amsterdam indique qu'il est possible d'en faire autant sur le plan des acteurs. Le propre de l'approche néo-gramscienne est de faire de l'émergence d'une classe capitaliste transnationale européenne, composée par les représentants des plus grandes firmes européennes, la force motrice du processus d'intégration39. En effet, le concept central de la théorie néo-gramscienne (aussi bien pour le courant nord-américain que pour celui d'Amsterdam) est celui de « classes transnationales »40. L'ouvrage fondateur du courant d'Amsterdam est une étude des relations transatlantiques entre la première guerre mondiale et les années soixante-dix qui s'appuie précisément sur le concept d'une classe dirigeante « atlantique »41. Par conséquent, van der Pijl insiste sur les liens tissés entre les élites américaines et les élites européennes, notamment des liens tissés entre groupes (des « fractions ») d'élites. Il fait donc souvent référence à des réseaux élitaires transatlantiques, comme par exemple la Commission Trilatérale. C'est à la fin des années quatre-vingt-dix que le courant néo-gramscien se penche à nouveau et plus spécifiquement sur la question de l'intégration européenne, c'est-à-dire une fois que la période post-champions nationaux et les restructurations qu'elle implique sont bien avancées. Bastiaan van Apeldoorn produit une étude dont l'objet est le lobby patronal Table Ronde des Industriels Européens (ERT)42. La différence avec l'étude de van der Pijl est importante : ici, la classe capitaliste transnationale est envisagée à travers un examen de l'étendue géographique des activités des grandes firmes européennes qui composent l'ERT ainsi que de l'activisme paneuropéen qu'elles déploient depuis 1983 à travers l'ERT en faveur de

39 Van Apeldoorn, 2002 ; Van Apeldoorn, Drahokoupil and Horn, 2009. Une discussion plus détaillée de la théorie néo-gramscienne de l'intégration européenne est dans Georgiou, 2010.

40 Van der Pijl, 1998, fait le point sur la question. Cf. aussi van der Pijl, 2009, pp. 225-252. Une étude illustrative de cette approche produite par un représentant du courant néo-gramscien nord-américain est Gill, 1991.

41 Van der Pijl, 1984.

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l'approfondissement de l'intégration. On est dans quelque chose de bien plus substantiel que les réseaux transatlantiques analysés par van der Pijl. Van Apeldoorn, en faisant de l'émergence d'un ensemble de grandes firmes européennes et de la formulation de projets politiques communs à ces firmes au sein d'organisations paneuropéennes le moteur du processus d'intégration européenne, rejoint en effet la prémisse fondamentale commune au néo-fonctionnalisme et à l'intergouvernementalisme libéral selon laquelle c'est l'approfondissement de l'interdépendance économique entre économies et États européens qui constitue la variable indépendante du processus.

Mais l'approche néo-gramscienne va au-delà. Dans diverses études empiriques, que ce soit sur l'ERT et son rôle dans la formulation d'une politique industrielle paneuropéenne ou sur les grandes firmes financières et leur rôle dans la deuxième étape de l'intégration des systèmes financiers au début des années deux mille43, les néo-gramsciens mettent en évidence des conflits reproduisant des clivages nationaux qui traversent les grandes firmes européennes quant aux contours à tracer pour le capitalisme européen intégré en faveur duquel elles militent collectivement. Ainsi, les deux logiques que défendent séparément l'intergouvernementalisme libéral et le néo-fonctionnalisme – respectivement, le rôle crucial de l'échelon national et celui de l'échelon supranational – peuvent parfaitement être présentes dans le même processus et constituer une unité contradictoire opérante également au niveau des acteurs.

Je retiens, donc, de ces différentes théories en offre les éléments suivants. Le premier élément est celui du primat de l'interdépendance économique et de ses principales conséquences. Pour ce qui concerne le présent travail, la plus importante de ces conséquences est la constitution d'une communauté paneuropéenne de grandes firmes (industrielles, commerciales et financières) partageant un intérêt commun à la constitution d'un capitalisme européen intégré – l'émergence, autrement dit, d'un « big business » européen. Celui-ci s'affirme et se développe d'autant plus que l'interdépendance économique s'approfondit.

Le deuxième élément est que ce capitalisme européen intégré constitue une unité contradictoire du point de vue des grandes firmes : il se développe des politiques communes macroéconomiques et microéconomiques, qui sont conduites par des institutions supranationales sans pour autant que ces politiques communes ne reflètent des préférences parfaitement homogènes au sein des grandes firmes. Même après la mise en place de ces politiques et institutions supranationales, les grandes firmes peuvent

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