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1. 2 Reconfiguration de territoires et nouvelles centralités

La mondialisation économique et la libéralisation des marchés ont enclenché un processus de dérégulation des formes d’organisation en place, que ces dernières soient économiques, culturelles, institutionnelles ou territoriales. A présent un large mouvement de régulation opère par des mutations dans tous les domaines de la vie économique et sociale, intégrant de nouveaux paradigmes liés au savoir, aux technologies, et aux modes de gestion et de représentation des territoires. Et c’est finalement aux très grandes villes que sera dévolu le rôle stratégique d’homogénéiser le système mondial dans ses multiples développements.

En répondant davantage à un code de conformité (l’ensemble de normes mondiales), les villes auront la légitimité nécessaire pour, à la fois, réglementer, contrôler voire centraliser les actions et décisions mondiales et devenir ainsi la référence du système mondial tout entier. En attendant, elles sont tenues de croiser stratégies nationales et stratégies pour une mondialisation et de développer, à travers des logiques complexes (unilatérales, transversales et avec financements multiples), les capacités pour une régulation du système de production (en particulier), compétence qu’elle dispute de plus en plus aux Etats.

1 Les profits réalisés lors des jeux olympiques de Sydney en 2000 ont dépassé les estimations faites avant les jeux avec un impact très positif sur l’économie australienne (augmentation du produit intérieur brut (PIB), de l’emploi avec plus de 2%/an, et du tourisme avec 15% de visiteurs/an de plus que les années d’avant 2000).

Les villes se présentent ainsi comme les intermédiaires incontournables entre les Etats et l’économie-monde1, organisant les territoires en fonction de multinationales et de la concentration de ces dernières. Cette mise en territoires modifie en permanence le rapport à l’espace et les échelles conventionnelles de pouvoir, donnant lieu à une conception plus spatialisée de l’économie et du marché

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Les lieux de pouvoir sont désormais ceux de l’échange et de la configuration du marché dans l’espace. Et, ce sont les villes (pour l’heure) les plus désignées pour être les nœuds qui cristallisent à la fois production et échanges, et croissance économique. Elles adhèrent de façon plus effective à la mondialisation et aux logiques économiques dispensées par celle-ci et, par conséquent, affrontent l’instabilité du système mondial (localisation/délocalisation de firmes, création/précarité de l’emploi, innovation et compétition en permanence, pollution, congestion, massification des exclusions etc.).

Les concentrations de firmes et de lieux de pouvoir liés au marché, auxquels il faudrait ajouter l’inextricable flux d’interconnexions, ont finalement, en dehors d’incohérences territoriales, contribué à une "nouvelle géographie de la centralité et de la marginalité"2.

Dans ce processus de territorialisation, les villes apparaissent comme les lieux stratégiques pour plusieurs formes de centralité (du moins pour les trois premières selon Saskia. Sassen).

La centralité avec concentration spatiale des activités économiques (comme l’ont étudiée W. Christaller et A. Losch) de même que celle représentée par le quartier d’affaires (CBD)3 et son hypercentre (modèles de croissance selon W. Burgess et R. McKenzie) demeurent, mais se transforment au gré des changements économiques et technologiques dans le monde.

Les recompositions dans la morphologie des villes montrent en général des centres urbains se vidant au profit de périphéries où s’alternent des zones plus ou moins denses et des noyaux urbains en marge (villes –lisières) sans que toutefois le rapport ville-centre/périphérie ne s’inverse. Il arrive même que le centre s’étende aux dimensions d’une aire métropolitaine et que la métropole, de ce fait, devienne un immense tissu urbain multipolaire.

L’organisation interne des métropoles montre également une fonctionnalisation de l’urbain avec dissociation entre espaces de production et espaces institutionnels ou résidentiels, avec des activités d’affaires dans les centres-villes et une périphérisation des activités industrielles et même tertiaires.

Cela n’est pas sans rappeler les schémas d’extension de modèles planifiés, à la différence que les reconfigurations spatiales d’aujourd’hui n’obéissent qu’aux lois du marché, lois qui valorisent les lieux ou procèdent à leur écart. La première couronne urbaine, par exemple, dans certaines grandes villes européennes, est toute désignée à l’installation d’entreprises de haute technologie compétitive.

Ces recompositions des espaces urbains ont, par ailleurs, augmenté la mobilité et les déplacements des populations en créant de nouveaux rapports à l’espace. La tendance est, de plus en plus, vers une reconquête par les classes aisées de quartiers bourgeois ou du centre et l’éloignement vers la périphérie de classes défavorisées (exemples Paris et Bruxelles).

1 Représentation spatiale de l'économie de marché ou du 3ème niveau du capitalisme selon Fernand Braudel,1980. 2SASSEN, Saskia. "L’Etat et la ville globale : notes pour penser l’inscription spatiale de la gouvernance", opus cité. 3Central Business District ou centre des affaires, caractéristique d'une architecture en hauteur, d'immeubles très élevés et de "gratte-ciels", sièges de grandes firmes et de trusts, de banques et d’entreprises de services (hôtellerie, restauration, commerces.. ).

A plus grande échelle, les métropoles, au nom de la centralité et du principe d’intégration de l’ensemble, continuent à offrir produits et services à leur arrière-pays respectif (ou hinterland) ainsi que l’accès aux réseaux de la globalisation (cas de Barcelone et de la Catalogne).

Elles sont à l’origine de la croissance de la région économique du fait d’investissements et de forts rendements conséquents, et du fait principal qu’elles sont au centre des régions les plus riches (cas de l’Europe); les pays les plus pauvres (du Sud de la Méditerranée) étant rejetés à la périphérie. Les grandes villes se définissent également par un " hintermonde " (P.J Taylor, 2001), un "arrière-monde", né davantage des interactions immatérielles et qui ne supplante pas forcément l’arrière-pays; ce dernier continuant à exister pour certains produits et services1.

L’hintermonde est mondial pour des villes très connectées comme Paris et Bruxelles, et régional pour des villes dont les relations sont plus déterminées par la distance (la géographie) que par leur niveau de connectivité (exemples Lyon et Anvers).

Les grandes villes peuvent toutefois s’affranchir des rapports de proximité et restructurer l’espace en fonction d’une régionalisation d’échelle territoriale internationale, et constituer un centre "transterritorial" (selon S. Sassen).

Ce réseau régional de nœuds, "constitué grâce à la télématique et aux transactions économiques

intenses", correspond à une nouvelle forme de région et s’appuie en réalité sur les formes

conventionnelles d’infrastructures de communication, celles qui toutefois ont les capacités de maximiser les bénéfices économiques dérivés de services informatiques et réseaux de télécommunication correspondants (TGV, autoroutes, grands aéroports). Il demeure pour l’auteur "le réseau le plus puissant de ces nouvelles géographies de la centralité au niveau interurbain" du fait qu’il relie les plus grands centres financiers et économiques internationaux tels que New York, Londres, Tokyo, Paris Zurich etc.

Avec ces nouvelles centralités, le modèle centre/périphérie s’avère aujourd’hui moins caractéristique de la hiérarchie des grandes villes ou de leurs fonctions de commandement. En effet, certaines villes centres en Europe connaissent une fragmentation de leur centralité et une dissociation de plus en plus discriminatoire de leurs espaces (quartiers riches et quartiers pauvres ou centre riche et périphéries pauvres), un phénomène qui semble leur échapper par ailleurs. La centralité, perçue dans sa dimension mondiale, semble aujourd’hui inséparable d’une périphérie symbole d’une société à l’écart de la mondialisation.

Le réseau, en privilégiant les rapports d’échange et ceux de la concurrence, rend finalement les références au modèle classique (hiérarchie urbaine, complémentarités entre villes) insuffisantes à analyser l’organisation et le fonctionnement des villes. Et le rééquilibrage de l’armature urbaine s’avère plus que nécessaire si l’on estime qu’une solidarité entre villes articulées à l’économie mondiale et celles qui ne le sont pas est primordiale, et que le global participerait en fin de compte au développement du local.

Ce mouvement de hiérarchisation des villes dans une logique de flux continue à se développer et de nouvelles formes de centralité sont en train de se constituer dans les espaces crées électroniquement et qui pourraient accroitre la conformité des grandes villes à la globalisation.

1Vereecken, L. Derudder, B. Witlox, F. Taylor, P.J. "Hierarchie européenne ou réseau mondial? Une analyse relationnelle de Paris et de Lyon" [Enligne]. http://www.lboro.ac.uk/gawc/rb/rb137.html (page consultée le 23/03/2006).