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La désindustrialisation dans les pays développés symbolise l'effondrement d'un système économique et territorial et l'avènement d'un nouveau mode de développement (ou régime de croissance), révélé depuis les années 80' par le paradigme de l'économie de la connaissance60. C'est une véritable rupture des modes de production et de gestion des économies avec des politiques de développement qui sont plus des stratégies à court terme et qui auraient tendance à s'adapter aux nouveaux impératifs de flexibilité et de spécialisation des firmes.

L' "industrie de connaissance" remplace l'autre. Elle préconise une organisation à la fois des structures et des territoires et une approche centrée sur l'innovation, et sur des modes collectifs de production et de diffusion de la connaissance codifiée (information) ou tacite.

Ce qui caractérise, par ailleurs, cette nouvelle économie c'est qu'elle reste conditionnée par un double phénomène lié à l’augmentation des investissements dans la connaissance d’une part et la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication d’autre part (Foray, 2000).

L'économie mondiale fondée sur la connaissance va ainsi plus profiter aux pays novateurs qui investissent dans les moyens d'acquisition des compétences et des qualifications, et dans les technologies les plus récentes; ces dernières leur permettant de transformer la base du savoir, le codifiant pour être utilisable sous la forme "information" et de manière performante. A la différence des dynamiques industrielles qui ont précédé (déconcentration et délocalisation), le nouveau régime de croissance sera marqué par le développement et la concentration de grandes et petites entreprises.

Cette concentration territoriale, "due à l’effet de proximité, et répondant davantage à un processus d’homogénéisation de l’espace de production, va créer un effet d’agglomération qui révèlera des incohérences territoriales et ce qu'il est convenu d’appeler "le paradoxe géographique", discordance constatée "entre le développement d’une technologie et ses caractéristiques

décentralisatrices d’une part, et les conséquences géographiques de son adoption collective d’autre part"61.

60 FORAY, Dominique. "L’économie de la connaissance et sa mesure". OCDE/CERI- Séminaire R.E.PE.R.E.S, 12-17décembre 2001[Enligne].http://cisad.adc.education.fr/reperes/telechar/semdoc/sem1/sldforay.pdf (page consultée le 18/11/2002 ).

61 SUIRE, Raphaël. VICENTE, Jérôme. "Le paradoxe géographique de la nouvelle économie ".Octobre 2001 [Enligne].http://www.univ-tlse1.fr/lereps/publi/teleload/vicenteeconomica.pdf (page consultée le 09/10/2002).

La concentration spatiale des activités économiques est un phénomène ancien, celui là même décrit à ses débuts par Von Thünen puis repris par W. Christaller et A.Lösch dans les années 60'. Il sera approfondi en corrélation avec la croissance industrielle par P. Krugman(1991)62.

Les répercussions seront très diverses selon les secteurs de l'industrie et les régions concernées par ces mêmes secteurs. De nouveaux pôles industriels se constituent.

C'est ainsi que les effets d’agglomération des activités économiques participent de la régionalisation économique qui devient, comme le décrit Henry Bakis, sélective63 et engendre des inégalités spatiales à grande échelle. C'est le cas des nouvelles technologies de l'information (NTIC) qui produisent l'effet contraire à celui attendu bien que le système numérique soit décentralisé et en réseaux (information et communication via internet). A un niveau local, l’effet d’agglomération se traduit par une localisation en cascade (A.V.Banerjee, 1992, A.Caplin, J.Leahy, 1998) des entreprises, créant la "labélisation du site"64, site qui devient attractif pour de nouvelles entreprises.

Avec la technologie de l'informatique par exemple, l'industrie naissante celle du multimédia "nécessite un matériel relativement réduit et une dose de créativité"65. Elle entraîne un changement des structures et infrastructures (réseaux de fibres optiques, laboratoires de haute sécurité, cité du multimédia etc.), des modes d'organisation et de gestion qui conjuguent innovation, coopération et apprentissage, et par conséquent divers champs de compétences et d'intérêt. La prospection de nouveaux domaines de la R&D (Recherche Développement) et l'appel en permanence à de nouvelles qualifications professionnelles changent les modalités de travail et, particulièrement celles de la formation.

Avec l'industrie du "High Tech" de nouveaux paysages industriels renvoient une image plus propre et moins laide (que celle des bassins ou régions industriels classiques), et en donne une représentation virtuelle, cognitive et "artificialisée", celle des industries de haute technologie dans des technopoles ou parcs technologiques (Silicon valley aux États-Unis, Sophia Antipolis en France, par exemple). Les espaces péricentraux et friches industrielles peuvent être investis par le "High Tech" et ainsi être recyclés (exemple de San Francisco et de ses aires périurbaines dynamisées par le multimédia).

Relativement au développement des nouvelles technologies, les nouvelles régions industrielles sont tout d'abord situées dans des pays en pleine croissance. Et ce sont les grandes villes qui concentrent les industries de l'information dominantes et en deviennent même les lieux de production (Saskia Sassen)66. Elles s'affirment, à travers une plus grande tertiairisation (services complexes et hautement spécialisés), comme " les noeuds d'un vaste système de communications et

de marchés"67.

62 Cité par Michel Dimou. « De l’économie géographique à la croissance endogène localisée. Historique d’une évolution »- ( original PDF 19p.)- CE.R.E.S.U.R. Université de la Réunion Août 2002.

63 BAKIS, Henry. "Territoire et Télécommunications. Déplacement de l'axe problématique: de l'effet structurant aux potentialités d'interactions". Netcom, octobre 1994 vol. VIII, n° 2, 367-400 [Enligne]. http:www.serinf2.univ_monpt3. fr/net.com-labo/volumes/articles/v8-367.html#fn0 (page consultée le 25/02/2001).

64 SUIRE, Raphaël. VICENTE, Jérôme. "Le paradoxe géographique de la nouvelle économie" op. cit.

65ROBITAILLE, Eric. ROY, Philippe. "Analyse de l’industrie du multimédia à Montréal et à Paris" [Enligne]. http:// www3. sympatico.ca/eranho.rob/multimed.htm (page consultée le 25/02/2001).

66 SASSEN, Saskia. "L'État et la ville globale : notes pour penser l'inscription spatiale de la gouvernance"[Enligne]. http://multitudes.samizdat.net/article.php3?id_article=702 (page consultée 02/07/2004).

Ailleurs, dans les pays non développés, la restructuration touche tous les domaines de l'activité économique. La privatisation et l’ouverture au capital privé étranger entraînent le renouvellement des industries (cas de la Sidérurgie en Algérie ) et la mise à niveau de l’entreprise par la fermeture des moins performantes (400 entreprises publiques algériennes entre 1995 et 1997).

L’application de réformes structurelles successives et la course à l’Investissement Direct Etranger (IDE) pour transformer le paysage économique et en combler les différents retards (financier et bancaire, de la réglementation fiscale et douanière, technologique etc.……) sont à l’origine de l’ensemble des plans et programmes auxquels les pays sont soumis continuellement à des fins de mises à niveau financière et fiscale, économique, institutionnelle et culturelle.

Pour les trois pays du Maghreb, le niveau de relance économique n’est pas le même. Il est différé pour l’Algérie qui entame tardivement son plan d’ajustement structurel (1994) par rapport à la Tunisie (1986) et au Maroc (1987). Ces derniers s’ouvrent très tôt aux capitaux étrangers et ont été, de par unelégislation sur l’investissement plus libérale, avantagés auprès des firmes multinationales pour bénéficier des IDE.

A titre d’exemple, la Tunisie et le Maroc, recevaient respectivement 3 et 2,8 milliards de dollars entre 1992 et 1998 quand l’Algérie n’en obtenait que 60 millions hors hydrocarbures68.

Comparées aux évènements qui ont participé de la régionalisation de l’Europe dans les années 80, les mutations techniques et sociales dans les pays moins développés semblent cependant plus lentes, et les crises plus graves qu’elles soient économiques (inflation et chômage) ou politiques (conflits et insécurité).

Le nouveau mode de production du savoir n'a pas a priori les conditions ou le contexte propres à son épanouissement. L’industrie n’est pas entièrement renouvelée et en partie traditionnelle. Les mises à niveau sont apparentes et loin de provoquer les changements structurels et de mentalité attendus pour une reconfiguration du système productif antérieur.

De manière générale, les avancées technologiques d’une région à l’autre sont décalées dans le temps. Elles le furent entre les Etats Unis (années 60) et l’Europe (années 80). Elles le sont aujourd’hui entre les pays au sud de la Méditerranée et l’Europe, de même que les pays du Maghreb entre eux (Tunisie et Maroc en avance dans le processus de libéralisation par rapport à l’Algérie).

Quoiqu’il en soit, les pays moins développés apparaissent comme le miroir où se reflète le passé à la fois industriel, économique et territorial des pays développés. Ces derniers, à leur tour, seraient le modèle ou les représentants d'une économie à grande productivité et de technologies performantes, à laquelle les premiers seraient conviés, non pas en tant que producteurs concurrentiels, mais en tant que consommateurs de produits résultant de l’innovation constante. Ainsi le retard pris dans le domaine de l’information et de la communication est communément "comblé" par l’application de programmes dont l’objectif affiché est l’insertion et l’arrimage des pays non développés dans la société de l’information, à l’image de cette "initiative spéciale" définie en mars 1996 par la CEA (Commission économique pour l’Afrique) et qui mobilisa beaucoup de pays africains pour l’adoption et le développement des NTIC sur l’ensemble de leur territoire.

68 "Conférence des Cadres de la Nation ". Discours du Président de la République. Palais des Nations, Alger, le 26 Avril 2001 [Enligne].http://www.el-mouradia.dz/francais/discours/2001/04/d260401.htm (page consultée le 28/08/ 2004).

La mise en place de réseaux de communication (fixe et téléphonie mobile) et de réseaux interconnectés (par câblage par fibres optiques) ainsi que l’installation d’infrastructures et de services pour l’utilisation d’Internet, et l’acquisition d’équipements pour encadrement et de logiciels nécessaires, s’avèreront insuffisants pour accéder au niveau culturel et économique que le discours sur les nouvelles technologies voudrait le laisser croire.

Ces tentatives d’intégration sont loin de répondre aux nouveaux modes de gestion, d’échanges, et de représentation auxquels se conforment les pays développés. Le déploiement de réseaux de communication révèle parfois un processus de reconstruction ou de réaffirmation de l’Etat territorial (au Mali) ou l’exercice de monopole sur un nouveau secteur d’économie comme au Sénégal69 ou en Algérie (2 millions de dollars de recettes par mois -El Watan 28/06/2004 ).

Les projets de communication ou de connexion, malgré l’étendue des réseaux ne profitent finalement qu’à des catégories sociales bien déterminées du fait des prix pratiqués à la hausse pour la téléphonie fixe ou mobile, et pour l’Internet (pays du Maghreb). Ils sont souvent la propriété de l’Etat qui limite le nombre de fournisseurs d'accès à Internet (provider) et au réseau satellitaire (cas de l'Algérie).

L’Algérie, dans le domaine de la téléphonie comptabilise 2.517.000 lignes fixes en 200670 pour deux opérateurs en concurrence. Cependant, 700.000 lignes de téléphone fixe sans fil (WLL)71

sont disponibles dont 300.000 ont déjà leurs abonnés.

La numérisation totale a été achevée en 2001 et le réseau de télécommunication moderne ne le sera qu’à partir de 2006 avec le câblage par fibres optiques dont 24.000 kilomètres sont en service. L'introduction de la technologie WDM (Wavelength Division Multiplexing)72 va, par ailleurs, accroître la capacité du réseau multiservice en la faisant passer de10 Giga bits/s à 80 Giga bits/s et permettre ainsi l'accès aux options multimédias.

Avec trois opérateurs de la téléphonie mobile qui cumulent jusqu'à 16,5 millions d'abonnés73, l'Algérie, reste compétitive au sein d'un Maghreb dont le marché, fin 2005, a été estimé à 26,4 millions d'abonnés.

Au total, entre le fixe et le mobile, la densité téléphonique en Algérie est de 61% en 2006. L'Etat prévoit également d'accroître celle-ci à 83% pour 2010 et de réaliser, entre autres projets, un cyber-parc sur 86 kilomètres dans la nouvelle ville de Sidi-Abdellah (Alger).

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication, sans pousser vers de nouvelles structures industrielles et régionales, introduisent de nouveaux produits à la consommation dont on ne pourrait dire aujourd’hui s’ils rationalisent plus les processus de travail dans les pays non développés. Leur "intrusion" ne peut certes qu’augmenter la performance, mais sans les objectifs de l’apprentissage et de l’innovation, elle serait à l’origine d’une nouvelle dépendance technologique.

69 Anne CHENEAU-LOCQUAY. "Entre local et global, quel rôle de l’Etat africain face aux déploiements des réseaux de communications-Exemple du Mali et du Sénégal". Afrique Contemporaine, numéro spécial, 199,juillet-septembre 2001, page 36-46.

70 Avec 2 opérateurs Algérie Télecom et CAT (Lacom) dont les abonnés sont respectivement de l'ordre 2.500.000 et 17.000.

71 Le WLL (Wireless Local Loop), une technologie du téléphone fixe sans fil, qui utilise une boucle locale radio pour relier l’abonné au central téléphonique de sa région, couvre aujourd'hui l'ensemble des wilaya(s) (48) du territoire national.

72 La technologie WDM (Wavelengh Division Multiplexing) permet de mettre en œuvre un multiplexage de longueurs d'onde et de transmettre sur un seul support physique (en l'occurrence la fibre optique) des données ou signaux numériques sur des longueurs d'ondes distinctes.

73 Le quotidien "Liberté" du 31/05/2006 [Enligne].http://www.africatime.com/algerie/nouvelle.asp?no_nouvelle =259789 & no_categorie (page consultée le 20/09/2006).

L’homogénéisation des principes économiques et culturels n’aura pas l’impact programmé. Les systèmes productifs à la fois traditionnels et issus de la mondialisation, dans les pays non développés, se superposent et fonctionnent en étant inachevés. Dans le même temps la rationalisation et l’aménagement en conséquence de l’espace, continue à préoccuper les pays développés qui procèderont à une patrimonialisation rentable de leurs structures traditionnelles dans le domaine industriel et agricole.