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A la recherche des savoirs idéologiques/rationnels de justice sociale dans le discours

 

Le cadre théorico-méthodologique d’exploitation des archives met en évidence la méthode d’analyse (le cadre analytique) des archives une fois que l’objet d’étude a pris une orientation d’analyse ou bien un « cadre d’interprétation » au moment de la consolidation du Retour Réflexif. En effet, tout projet de recherche cherchant à comprendre le mouvement antérieur de la société, la structuration politique, la mise en place d’une idéologie, la construction d’un système, doit passer par l’analyse des données de première main. Ainsi, étant donné que mener une étude sur l’histoire de l’éducation au Mexique aurait demandé beaucoup plus de temps que prévu et un équipe de travail plus élargie38 et interdisciplinaire, il a fallu visualiser un « modèle » afin de retracer les aspects discursifs de l’idéologie nationale à l’école dans les archives récoltés à l’AGN. Aspects discursifs qui font partie d’un appareil idéologique et qui indiquent les notions sur le « social » et sur le « politique » afin d’observer en quoi consiste ce processus d’idéologisation scolaire et voir, ou essayer de saisir, la procédure sur laquelle on construit des catégories de justice sociale, quels sont les enjeux pour la démocratie mexicaine et en quoi l’éducation joue un rôle.

En effet, un Protocole de Terrain39 a été établi et une fois celui-ci validé, j’ai entamé ma recherche dans les archives correspondant à la période d’analyse. Pendant la formalisation de ce protocole, des contacts avec les autorités mexicaines des archives nationales ont été établis. A partir de janvier 2013, j’ai réalisé un examen détaillé de tous ces documents issus d’une très grande quantité de boîtes, en particulier des rapports des inspecteurs éducatifs, des lettres rédigées par les membres des communautés indiennes et rurales à propos de l’éducation, des discours, des propositions pédagogiques pour le développement de l’économie en milieu rural, des propositions sur les matériaux scolaires, des codes législatives des États fédérés, etc.

        

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A savoir, du fait de particularités d’une expérience de terrain, cette sous partie-là, tout comme la première partie de la thèse, adoptent de fois un ton plus familier.

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Bien d’ailleurs, cet effort a été déjà fait au Mexique en deux volumes par Ernesto Menesses Morales avec son livre Tendencias educativas oficiales en México, 1983).

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Pourquoi, l’institution donne-t-elle des instructions précises pour la rédaction de la situation scolaire et de quelle manière les acteurs de ces archives ont-ils interprété la réalité de l’époque pour raconter une histoire. Ainsi, au fur et à mesure de l’étude de ces archives de la SEP, j’ai identifié des indications démocratiques d’organisation sociale dans les programmes scolaires et rapports pédagogiques. Ce fut donc le moment d’imaginer la situation de cette époque, au moment de la reconstruction nationale quand l’école donnait des instructions de « vie ». Comment vivre en communauté, en quoi consistait le métissage pour la nation mexicaine, comment l’Etat voulait faire passer des messages de démocratie à travers les pratiques de vote à l’intérieur de l’école (par exemple la pratique de la Flor régional40), de solidarité à travers le sens du voisinage et la coopération, la manière d’enseigner l’histoire, les pratiques économiques (par exemple la création de coopératives et de caisses d’épargne communale), etc. et à mesure de l’observation de ce processus institutionnel, une évidence est apparue. Indépendamment de la date des archives, ils portaient régulièrement une (pas la) même ligne de conduite de la part de l’Etat : « éduquer pour gouverner », « éduquer pour civiliser », « éduquer pour intégrer », « éduquer pour institutionnaliser », « éduquer pour la construction d’un ordre, d’une idéologie ». J’ai donc passé en revue les documents repérés cherchant à comprendre un même processus institutionnel afin de retracer la représentation cachée en lui. C’est ainsi que ce processus est divisé en trois vecteurs d’analyse qui se répétaient dans les archives et qui constituent les parties argumentatives de la thèse. Comment l’Etat menait sa campagne d’alphabétisation/scolarisation dans les communautés rurales et indiennes, quelles furent les idées philosophiques, pédagogiques qui ont contribué à cette intégration institutionnelle, et comment l’institution de l’école postrévolutionnaire mexicaine arrivait à travers un long processus de structuration (Giddens, 1984 ; Bourdieu, 1982) à cristalliser une idée, une idéologie, une conception d’« école » pour sa reproduction.

Guy Rocher définit l’idéologie comme « un système d’idées et de jugements, explicite et généralement organisé, qui sert à décrire, expliquer, interpréter ou justifier la situation d’un groupe ou d’une collectivité et qui, s’inspirant largement de valeurs, propose une orientation précise à l’action historique de ce groupe ou de cette collectivité » (Rocher, 1968 : 114-115). Dans l’analyse des archives, nous traiterons les savoirs idéologiques/rationnels du style éducatif (produits et reproduits par les rapports des professeurs ruraux, des inspecteurs

        

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Cette pratique démocratique identifiée dans les rapports des maîtres ruraux consistait à mettre en place des élections à l’intérieur des Casas del Pueblo pour designer la fleur (qui pouvait être aussi une plante herbacé

scolaires et par les misioneros41 et les autorités scolaires), comme l’ensemble des notions significatives de l’idéal de justice sociale et propices à l’analyse de la politique éducative étatique. Tout comme Maingueneau, à propos de la ligne d’analyse proposée par Foucault, nous cherchons à « étudier le processus de “déformation” idéologique dans le discours, [c’est- à-dire à] travailler à une œuvre de démystification, prélude à une transformation de la société » (Maingueneau 8/1993 : § 12). Cela dit, pour cette démarche, voici nos idées clefs :

Idées clefs :

« Deux concepts, tels qu’ils sont formulés par Michel Pêcheux (1975), deviennent centraux : ceux de formation discursive et d’interdiscours. L’étude des formations discursives permet alors de déterminer ce qui peut et doit être dit dans une conjoncture donnée. Le concept d’interdiscours introduit alors une approche plus dialectique, dans la mesure où il permet de dire que toute formation discursive dissimule, dans la transparence du sens propre à la linéarité du texte, une dépendance à l’égard d’un « tout complexe à dominante » selon la formule du philosophe marxiste Louis Althusser (1965), ensemble qui n’est autre que l’interdiscours, cet espace discursif et idéologique où se déploient les formations discursives en fonction de rapports de domination, de subordination et de contradiction. Cette conceptualisation « forte » rencontre alors le souci de l’historien du discours d’inscrire durablement son interrogation du côté de la tradition marxiste. Là où dominait au départ une approche taxinomique, isolant des éléments simples (discours bourgeois / discours féodal ; discours jacobin / discours sans-culotte) dans le corps complexe des discours, il devenait question en fin de compte, dans le jeu de l’interdiscours et de l’intradiscours, d’intrication de stratégies discursives, d’affrontements et d’alliances langagiers. » (Guilhaumou, Jacques, 2002).

« L’approche analytique elle-même n’est pas homogène ; elle peut correspondre à deux options divergentes que l’on dira réaliste et représentative. Lorsqu’elle est "réaliste" elle entend se légitimer par les propriétés mêmes de son objet : c’est parce que les textes sont des processus de dissimulation, l’intrication de représentations et de forces de déplacement ou de rupture qui les déstabilisent qu’il faut recourir à une analyse. En revanche, pour une approche "représentative" l’analyse est seulement une voie d’accès commode à l’identité de la formation discursive ; la délinéarisation du texte est un moyen de dégager ce que cette dernière a de significatif à travers un sous-ensemble de phénomènes considérés comme un échantillon pertinent. (DM) »

(Maingueneau, Dominique, 1993).

Accessoirement des travaux de Maingueneau et de Guilhaumou pour l’approche des archives,

L’archéologie du savoir de Foucault (1969) et Qu’est-ce que la citoyenneté ? de Dominique

Schnapper (2000) ont influencé cette recherche afin d’identifier les caractéristiques démocratiques de la citoyenneté dans cette analyse.

        

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Les misioneros ont été des maîtres bénévoles qui ont fortement participé à la mise ne place de la politique éducative au Mexique après la Révolution de 1910-1921. Le sujet sera traité plus profusément dans la deuxième partie de la thèse.