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La « SS » est corrélée positivement aux besoins d’autonomie, de changement, d’indépendance à l’égard du champ et négativement à la discipline et à l’éducation. Les résultats des études sur le lien entre l’anxiété et la recherche de sensations ne sont pas consensuels. Smith indique que les amateurs de sensations fortes sont moins affectés par les événements stressants alors que Wills précise que l’engagement dans les conduites à risque est un mécanisme adaptatif de réduction de l’anxiété (Smith, Ptacek et al. 1992; Wills, Vaccaro et al. 1992). Ces deux représentations du concept ne sont pas nécessairement exclusives mais complémentaires ; ces auteurs abordent un même problème sous deux angles d’approche différents.

On distingue deux grands groupes de preneurs de risque pour lesquels la recherche de sensations diffère. Le premier groupe possède un ajustement psychologique défaillant (anxiété, dépression, pessimisme, faible estime de soi) et favorise la recherche de sensations, en particulier dans des activités de désinhibition (alcool, drogue, sexualité débridée…). Ce groupe se compose d’individus qui tendent à ne plus penser à leur mal-être et à leurs problèmes, en s’adonnant à des activités qui captent l’attention. Il s’agit d’une «fuite» de la conscience de soi.

Les individus de l’autre groupe sont relativement bien équilibrés psychologiquement, avec une meilleure estime de soi. Dans les activités à sensations, ils recherchent une valorisation qu’ils n’ont pas forcément ailleurs ou pas assez en fonction de leurs besoins. Ils sont dans une logique de compensation, nécessaire à la préservation d’une bonne image de soi. Ici le registre relève de la maîtrise de l’activité, de la construction de soi.

La recherche de sensations (contrairement à l’acceptation de Zuckerman) serait liée à la perception de ses propres aptitudes. L’individu performant prend plus de risque qu’un individu moyen, du fait de la représentation qu’il a de son propre potentiel, renforcé par les situations vécues (théories du renforcement). Les sujets dont le score « SS » est élevé roulent plus vite mais percutent moins souvent que ceux dont le score « SS » est faible. L’équipe de Rimmo précise que les jeunes les plus fréquemment impliqués dans un accident de la route, dans la tranche des 18- 21 ans sont étonnamment ceux qui sont le plus expérimentés. On peut émettre l’hypothèse d’une interaction entre l’appréciation individuelle des aptitudes et les émotions négatives (Trull and Sher 1994) développées dans le chapitre 3.3.1 de la prise de risques. Les émotions négatives apparaissent alors comme un facteur de confusion lors de la mesure de l’interaction entre recherche de sensations et appréciation des aptitudes individuelles.

Quel que soit le groupe de sujets, la recherche de sensations relève d’autant plus d’un moyen d’adaptation d’un moi fragile que l’opposition et la destruction prennent une part importante dans cette quête.

Pour conclure, les différences individuelles se fondent sur un terrain biologique. Dans toutes les études consultées, la «SS» est plus élevée chez les hommes que chez les femmes ; elle croît jusqu’à 16 ans, pour diminuer ensuite. En outre, elle augmente avec le niveau d’éducation et le statut social.

3.6.1

Application à la conduite automobile

Burns confirme la fiabilité des études rétrospectives des comportements au volant en lien avec la recherche de sensations et affirme qu’elles sont des sources fiables sur lesquelles il est possible d’ancrer des conseils didactiques. La recherche de sensations est un facteur prédictif d’accident (Beirness 1995; Burns and Wilde 1995; Jonah 1997).

L’étude de synthèse de la littérature mondiale de Jonah donne un bon aperçu du lien entre les deux dimensions. Sur 36 des 40 études mondiales retenues, une corrélation systématique de 0,30 à 0,40 entre « SS » et conduite dangereuse est relevée, avec néanmoins un manque d’uniformité

dans la mesure du facteur « SS » (Jonah 1997). Plusieurs auteurs dans la lignée de ce dernier confirment l’existence d’un lien entre « SS » et accident sur un public de jeunes (Arnett, Offer et al. 1997; Jonah 1997; Rimmo and Aberg 1999; Michel, Heuzey le et al. 2001). Ils précisent que les individus avec un score élevé au facteur « SS » sont plus enclins aux infractions du type « violation » alors que le lien ne ressort pas sur les fautes, erreurs et inattentions. L’infraction est utilisée comme une variable intermédiaire fiable pour mesurer la conduite dangereuse (Donovan, Umlauf et al. 1988; Gregersen and Berg 1994; Beirness 1995; Burns and Wilde 1995). Arnett précise que les jeunes de 18-25 ans sont plus enclins à enfreindre les limitations de vitesse, à faire la course, franchir les lignes blanches et ils affichent un score de recherche de sensations plus élevé que les sujets des autres tranches d’âge (Arnett, Offer et al. 1997). Selon lui, un score élevé en « SS » peut relever en partie d’une moindre perception du risque (par manque d’expérience) qui donne lieu à une prise de risque plus importante. Le non respect des distances de sécurité, qui peut résulter d’une distance inter-véhicules ressentie pour les uns comme confortable et pour les autres comme dangereuse, illustre la différence de perception du risque. Sur une population de chauffeurs de taxis une corrélation entre le score « SS » et les infractions se confirme (Burns and Wilde 1995). Ces auteurs ne trouvent pas de lien entre la recherche de sensations et le nombre de points sur le permis de conduire. Pour beaucoup d’auteurs, la corrélation s’avère plus forte sur les comportements déclarés que sur les infractions ou accidents constatés. S’agissant d’un événement rare et multifactoriel, l’accident est la variable la moins corrélée au facteur «SS».

Enfin, nous citerons les résultats des travaux contradictoires de l’équipe de Wilson, menés en 1988 et 1992. La première étude comparative entre trois groupes de sujets (le premier caractérisé par l’infraction « alcool », le second par l’accident répété, le troisième étant le groupe témoin) n’a pas permis de différencier les sujets multi-accidentés des témoins du point de vue de la SS. La seconde étude comparative entre : (1) des multi-accidentés en perte de points sur leur permis, (2) des sujets en perte de points, (3) des témoins, avec un ajustement sur l’âge et sur les variables socioculturelles a démontré que les plus hauts scores en « SS » étaient associés au groupe (1) puis viennent dans l’ordre ceux des groupes (2) et (3). Pour l’étude de 1992 Wilson conclut néanmoins que l’analyse discriminante contribue de façon significative à différencier les groupes (Wilson 1992).

La plupart des travaux concluent à l’existence d’un lien entre la recherche de sensations et l’accident mais peu prennent en compte le facteur de responsabilité et le nombre de points sur le permis.

Nous avons défini les traits et types de personnalité puis, les émotions et les représentations mentales et enfin la prise de risques et la recherche de sensations. Ces facteurs tendent à rendre compte d’un point de vue pragmatique de ce qui se joue en amont du comportement. Ces fondations nous permettent maintenant d’aborder la partie visible du sujet dans son milieu : le comportement. Rappelons que ce dernier est la résultante d’un ensemble de dimensions. L’approche de l’accidentologie sous ce seul angle demeure une simplification réductrice.

Après avoir abordé la recherche de sensation (développementale et émotionnelle) comme un marqueur social d’appartenance, nous apportons une précision sur l’outil de mesure approprié le plus fréquemment mentionné dans la littérature.

3.6.2

Outil de mesure

L’Echelle de Recherche de Sensations de Zuckerman, Sensation Seeking Scale « SSS » est l’outil de mesure de référence. Elle existe sous deux formes : la forme V, la plus ancienne est à choix forcés alors que la forme VI (1984) comporte une échelle de Likert en trois points pour les réponses (la plupart des études s’appuient sur la première forme). L’outil a été développé sur une période de trente ans de 1964 à 1994, validé par des études parallèles notamment en Angleterre, en France, au Canada. Il existe une forme spécifique pour les adolescents (Michel, Mouren- Siméoni et al. 1999). Quatre dimensions fondamentales composent l’échelle : la recherche de sensations fortes et d’aventures Thrill and Adventure Seeking (TAS), la recherche d’expériences sensorielles Experience Seeking (ES), la désinhibition à travers la recherche de stimulations sociales (désinhibition DIS), la susceptibilité à l’ennui Boredom susceptibility (BS). Les scores par sexe diffèrent sur chacune des dimensions. Les scores « recherche de danger et d’aventure » sont en moyenne plus élevés chez les garçons et les scores « recherche d’expériences sensorielles » qui comportent la non-conformité, sont plus élevés chez les filles. La recherche de stimulation chez les filles se définit autant par la contestation des valeurs sociales que par l’établissement de valeurs marginales. Pour ce qui est de l’âge, plusieurs études avancent que les scores « SS » baissent significativement après la puberté (Zuckerman and Neeb 1980; Ball, Farnill et al. 1984; Trimpop, Kerr et al. 1999).

L’équipe de Carton, à l’origine de la validation de l’échelle française, souligne que l’auto- questionnaire n’est pas une échelle de comportement mais une échelle de mesure de la recherche de stimulations à travers la subjectivité du sujet. Elle mesure une représentation de soi, et par projection, elle prédit les comportements à risque. De ce fait, des écarts peuvent apparaître entre

la représentation qu’a le sujet de lui-même et de sa vie réelle1. L’échelle apprécie fidèlement les attitudes du sujet mais ne rend pas compte du degré de réactivité interne (précisément les sensations) c’est pourquoi l’appellation, Echelle de recherche de stimulations paraît plus appropriée. La recherche de sensations (du domaine du faire), complète la recherche d’émotions (du domaine du ressenti). Dans un contexte social lié aux moyens financiers et à la culture d’appartenance. L’échelle de Zuckerman permet difficilement la distinction entre les deux composantes. Pour palier ce manque, Arnett propose un outil alternatif : le Arnett Inventory of

Sensation Seeking (AISS) en vingt items sur un score de 20 à 80 avec un gradiant de quatre sur

une échelle de Likert pour les réponses. Dix items explorent la recherche d’intensité et dix la recherche de nouveauté (Arnett 1994; Arnett, Offer et al. 1997). L’outil d’Arnett repose sur la mesure des besoins de nouveauté et d’intensité de la stimulation. Pour lui, la «SS» est une interaction entre l’environnement social et les processus biologiques (alors que pour Zuckerman le concept est lié à un trait de personnalité, inné). Jusqu’alors, les études sur le concept de quête de sensations ont assez rarement porté sur des populations occasionnellement engagées dans des activités à risque et la plupart du temps elles font état de cas extrêmes.

L’échelle de Zuckerman, malgré ses imperfections reste l’outil le plus intéressant pour identifier les sujets ayant des comportements de recherche de stimulations. Le mélange entre plusieurs niveaux dans sa construction : subjectif/comportemental/hédonique, sensations/stimulation, rend souhaitable une évolution qui pourrait consister à adjoindre un outil de mesure de l’état de conscience émotionnel, celui de l’équipe de Lane par exemple (Lane and Schwartz 1987). Néanmoins l’utilisation de l’AISS d’Arnett dont les items n’ont pas été sélectionnés sur la base d’une analyse psychométrique et dont les alphas de Cronbach2 sont faibles et dénotent une faible consistance interne ne détrone pas l’échelle de Zuckermann.

Nous envisageons l’utilisation de l’échelle de Zuckerman chez les stagiaires PAP. Notamment, chez les « redoublants » (ceux qui font plusieurs stages et qui sont dans la gestion de leur permis de conduire), elle pourrait donner du sens à leur mode de vie et, en l’occurrence les éclairer sur leur façon de se déplacer.

1 Marque d’un désir : J’aimerais bien faire plein de nouvelles choses mais, au quotidien de façon réelle et pratique,

je reste dans ce que je connais.

2 L’alpha de Cronbach est un indicateur qui permet de mesurer la fiabilité d’un ensemble de questions (items)

censés mesurer un même phénomène. Plus il est proche de 1, plus les items sont corrélés et plus l’échelle de mesure du concept est fiable.

4

COMPORTEMENT ET PROPENSION A

L’ACCIDENT

Le comportement se définit par ce que donne à voir le sujet dans son environnement. Pléthore de théories le modélise. Traditionnellement, il est expliqué à travers un système de causalité binaire unidirectionnel. Il est sous l’emprise de la situation (behaviorisme) ou piloté par des dispositions internes (courant psychanalytique). Nous envisageons le comportement dans une perspective socio-cognitive fonctionnaliste dans la lignée de Reuchlin, Bandura et Ajzen. Pour Reuchlin, les comportements ont une fonction adaptative qui en explique l’organisation. Le comportement se définit comme une fonctionnalité et, dans la mesure où plusieurs comportements ont une même fonction, ils peuvent être considérés comme équivalents : caractère adaptatif des conduites avec le principe de la vicariance1 (Reuchlin 1978). Un sujet donné évoque préférentiellement un processus particulier qui devient « la tête » de son catalogue d’actions possibles. En formation, nous nous interrogeons donc moins sur le comment que sur le pourquoi. Pour Bandura, le comportement résulte d’une causalité réciproque triple en interaction deux à deux : les facteurs internes à la personne (événenements cognitifs, affectifs, biologiques, perception d’efficacité et de compétence), les déterminants du comportement (schèmes comportementaux préexistants), les propriétés de l’environnement social et organisationnel (Bandura 1977). Les trois séries de déterminants sont en interaction permanente avec une importance respective variable et contingente. Nous soulignons l’importance de l’anticipation2 dans cette triangulation. En effet, en agissant, le sujet se crée des représentations anticipatrices des conséquences de l’action qui déterminent la réponse finale. Par exemple dans le cadre de la formation, un sujet réagit ou non à une sollicitation en fonction de la probabilité qu’il accorde à la réaction anticipée d’aboutir à une issue favorable et satisfaisante pour lui, en particulier sur le plan de l’estime de soi.

La théorie du comportement planifié d’Ajzen et Fishbein, extension de leur première théorie de l’action raisonnée, [Ajzen et Fishbein, 1980; citée (Mc Cormack Brown 1999),] est l’une des théories largement partagées aujourd’hui dans notre style de vie cartésien. Le comportement planifié postule que le comportement à prédire est volitif et « complètement sous le contrôle de

1 La notion de vicariance est, a priori, la compensation d’un organe déficient par un autre. Dans l’acception de

Reuchlin, l’accent est mis sur le fait qu’une même fonction peut être remplie par plusieurs processus différents qui sont de ce fait substituables les uns aux autres. La probabilité d’activer l’un ou l’autre varie en fonction des sujets et du contexte (variabilité intra-individuelle et inter-individuelle).

2 L’anticipation est une médiation cognitive entre le comportement personnel et l’environnement qui peut

la personne qui doit pendre la décision d’adopter ou non le comportement ». Cette théorie intégratrice s’applique à une très grande variété de situations : abandon scolaire, absentéisme, port du préservatif, sécurité routière, tabagisme (Ajzen 1991). Au cours de ses recherches Ajzen a constaté que plusieurs comportements n’étaient pas exclusivement sous le contrôle du sujet mais également sous influence d’un contrôle social ; il ajoute donc une nouvelle dimension au modèle de l’action raisonnée : celle de la perception de contrôle sur l’action. Cette modification permet de se rapprocher de la réalité et de prédire plus précisément les comportements qui, pour la plupart, ne sont pas adoptés de façon totalement volontaire. La modélisation du comportement avec la variable de volition repose sur un ensemble de théories qui se sont enrichies les unes des autres. Avant de faire une présentation chronologique brève de l’étude du comportement nous schématiserons les mécanismes en amont puis nous aborderons succinctement les composantes cognitives identifiées actuellement comme impliquées dans la conduite automobile.

4.1 Modélisation des mécanismes en amont du