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Le risque n’est pas une entité isolée, il est orienté vers un but et se manifeste sous la forme d’un étayage. Il est plus ou moins admis dans nos sociétés parce que l’activité qui le crée permet d’atteindre des objectifs positifs ou souhaités.

Quatre modèles principaux de la prise de risque qui diffèrent sur ce qui pousse à agir et plus généralement, sur la conception même de l’humain se distinguent.

- Modèle de l’homéostasie du risque de Wilde (Wilde 1982).

- Modèle du risque zéro de Näätänen et Summala (Naatanen and Summala 1974) - Modèle de l’évitement de la menace de Fuller (Fuller 1984).

- Modèle hiérarchique du risque de Van der Molen (Van der Molen and Bötticher 1988). Dans le modèle de Wilde, le sujet vise à maintenir un niveau constant de risque subjectif alors que les trois autres modèles optent pour le risque que le sujet cherche à éviter (risque proche de zéro).

-Le modèle de Wilde suggère qu’à tout instant l’opérateur (en conduite le conducteur) réalise des ajustements pour que l’évaluation du risque d’accident soit égale à un niveau-cible qui permette l’équilibre. Le niveau cible de risque est généralement supérieur à zéro. Les actions du conducteur ont pour objet de maintenir un niveau constant de risque, quelles que soient les modifications introduites dans le système de circulation. Le fonctionnement est du type « feed- back comportemental ». Les gains en sécurité sont ainsi compensés par une modification du comportement de sorte que le conducteur se trouve au même niveau de risque objectif à plus ou moins long terme. Pour Wilde, le risque que l’individu est prêt à accepter est le facteur déterminant de l’implication dans un accident.

- Le modèle du risque zéro part du principe que la perception du risque est égale à zéro dans la majorité des situations de la vie courante (protection). La sécurité n’est pas une préoccupation individuelle mais un droit du citoyen. L’accident est le résultat d’un différentiel entre le risque perçu et le risque réel. L’écart entre le risque subjectif et objectif est explicatif de l’occurrence de l’accident. Les facteurs susceptibles de modifier le seuil de risque peuvent être antagonistes avec la motivation sécuritaire, avec l’extinction de la sensation de risque par manque de renforcement négatif, en relation avec des situations vécues… La prise de risque est assez rarement envisagée comme délibérée et visant à satisfaire un équilibre, elle est souvent le résultat d’une mauvaise appréciation de la situation ou d’une variation temporaire du seuil de risque sous la pression d’autres motivations.

- Le modèle de l’évitement de la menace prolonge le modèle précédent. L’évitement de la menace, par anticipation, constitue le point de départ de la formulation de ce modèle comportemental. Le risque subjectif détermine la prise de risque alors que la plupart du temps, il est égal à zéro. Par nature, l’expérience du risque serait aversive et ainsi les conducteurs seraient motivés pour en éviter les situations déclenchantes. Le risque (du moins sa perception), est alors déterminant du comportement sécuritaire du conducteur, dans l’hypothèse où celui-ci est capable d’anticiper et de faire les ajustements appropriés face aux dangers réels à venir. Si une grande part de la conduite consiste en réponses et actions d’évitement par anticipation, alors,

effectivement, le conducteur a rarement l’expérience d’un risque d’accident. Les actions d’évitement sont renforcées quand elles sont suivies d’un feed-back indiquant qu’elles étaient nécessaires et justifiées. Si ce n’est pas le cas, elles disparaissent. Ces mécanismes oscillatoires expliquent le risque constant apparent sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours à l’idée d’un niveau de risque-cible visé par le conducteur. Le renforcement négatif (accident) est relativement rare en conduite (la route pardonne), ce qui donne lieu à un abandon de certaines actions d’évitement de la menace.

- Modèle hiérarchique du risque.

Van Der Molen aborde les types de comportement basés sur les savoir-faire, les règles, les connaissances avec un degré d’automatisation dégressif, sous l’angle du niveau de contrôle (Van der Molen and Bötticher 1988) et ce, en fonction de trois niveaux de contrôle du risque : opérationnel, tactique, stratégique. Chaque niveau se fonde sur le degré d’urgence temporelle et la source d’informations nécessaires pour prendre des décisions. Ces modèles ont inspiré ceux de (Keskinen 1996), et de (Groeger 2000) qui y ajoutent des composantes cognitives. Ces deux derniers modèles sont classés parmi les modèles hiérarchiques qui mixent largement les éléments extérieurs à l’individu et la subjectivité du sujet. Les modèles hiérarchiques distinguent des niveaux hiérarchiques qui sont pris en compte dans l’élaboration du comportement du conducteur. Le concept fait l’objet d’une reprise et d’un enrichissement avec JP Assailly. (Michon 1979; Michon 1980; Keskinen 1994; Assailly 2005). Pour Michon trois niveaux de risque se distinguent:

- Stratégique : concerne la planification du trajet au moment du déplacement (acception du risque).

- Tactique : concerne le choix procédural d’une action spécifique, d’une manœuvre donnée (prise de risque).

- Opérationnel : se décline en deux types de fonctionnement : le comportement opérationnel normal, qui consiste en un ajustement continu (vitesse et trajectoire) à l’environnement routier et, les réactions d’urgence qui visent à faire face à des dangers soudains.

Le modèle hiérarchique développé dans GADGET introduit le rôle de la planification et des représentations. JP Assailly le complète en intégrant la conduite dans le style de vie du sujet (niveau 4). Il est en constante évolution et aujourd’hui l’on parle d’introduire un cinquième niveau, le niveau social.

Ces modèles ont en commun la formalisation de processus psychologiques dits exécutifs en neuropsychologie qui sous-tendent l’activité. Chacun zoom sur un des éléments du système. L’analyse du phénomène se fait en fonction de plusieurs critères:

- l’objectif que se donne le sujet,

- le poids qu’il accorde aux critères de sécurité, de perception et d’évaluation du risque, - la planification de l’activité et le poids de la répression dans la planification,

- l’apprentissage personnel du risque,

- la personnalité du sujet et schéma cognitif intégratif.

La combinatoire de toutes ces approches constitue l’évaluation subjective du sujet dans une situation donnée. Le risque, dans son acception puriste, se définit par une fréquence d’occurrence d’un événement indésirable alors que la prise de risque ne revêt pas systématiquement et immuablement ce critère d’indésirabilité. La prise de risque relève du risque acceptable et non d’une connaissance en termes de « oui » « non ».

Legrand et Apter appréhendent la prise de risque sous l’angle de la théorie du renversement1 (Legrand and Apter 2004). Cette théorie centrée sur la vie mentale, ne s’isole pas du comportement observable, compris à travers la signification subjective que l’acteur assigne à ses actions. Elle se situe en amont des théories comportementalistes et constructiviste sociales. Elle se distingue du constructivisme social en spécifiant que la nature humaine est fondamentalement unitaire, partout et de tout temps, chacun étant, minute après minute, différent de l’autre et de soi-même. Une motivation et les émotions ne se réduisent pas à des phénomènes cognitifs, ils répondent à une logique propre. L’idée de base de la théorie est que les états fondamentaux du sujet vont par paires d’états opposés, le changement consiste en un basculement entre les deux. Un seul des deux états pouvant être actif au même moment.

La « Reversal Theory » d’Apter est une théorie de la structure de la vie mentale qui permet de concevoir que l’individu est non seulement changeant au cours du temps et qu’il peut se comporter de façon contradictoire ; les deux états de l’individu étant l’état télique et paratélique2. Dans l’état télique le sujet devient anxieux lorsqu’un événement exigeant ou menaçant entraîne une élévation du niveau d’activation alors qu’il sera détendu lorsque la tâche est terminée. Dans l’état paratélique, le sujet est agréablement excité lorsqu’il est impliqué émotionnellement alors

1 C’est une théorie psychologique intégrative de la motivation, de l’émotion, de la personnalité, du stress, de

l’addiction considérée comme une base générale de la connaissance du comportement et de l’expérience humaine, construite à partir d’une analyse de la façon dont les sujets vivent l’expérience de leurs motivations.

2 L’état télique du grec ancien telos signifie but. Par contraste, l’état paratélique est un état d’enjouement où

qu’il est plongé dans l’ennui lors d’un manque de stimulation. Selon cette approche, la prise de risque répond à un besoin élevé d’activation. Le danger, par le niveau élevé d’activation de l’état télique qu’il suscite, génère de l’anxiété mais, si le danger est écarté alors il y a basculement vers la courbe paratélique qui entraîne une euphorie aussi intense que l’anxiété antérieure. Le « Tension and Effort Stress Inventory », utilisé avant et après une épreuve de prise de risque, montre que le degré d’anxiété du sujet en pré-activité est lié au degré de satisfaction en post- activité avec un effet de dose (Apter 1982; Apter 1997). L’anxiété est au plus haut, immédiatement avant le danger et la satisfaction la plus élevée intervient immédiatement après le danger. La prise de risque se manifeste alors comme un aménagement hédonique de régulation émotionnelle et psychique. Selon Apter, le sujet est, soit à dominance télique soit paratélique. Pour les premiers, plus ils subissent de stress et moins ils sont heureux alors que la situation est contraire chez les paratéliques. Une équipe Norvégienne a démontré que les deux états correspondent à des différences psychophysiologiques objectives :

[…] un gradient de tension musculaire tonique plus abrupt dans l’état télique, une accélération du rythme cardiaque plus élevée dans des conditions de menace, dans l’état télique et des « styles de processus informationnels corticaux »différents entre les deux états]. (Apter 1997).

Aux côtés de l’état télique et paratélique, la théorie du renversement propose trois autres paires d’états métamotivationnels : les états conformiste/transgressif, les états maîtrise/sympathie (opposition entre prendre et donner / donner et recevoir) et enfin les états autique/alloïque( dans l’état autique l’individu est centré sur lui-même alors que dans l’état alloïque le sujet s’identifie au groupe).

Apter apporte donc un éclairage intéressant sur les théories de la personnalité. Il explique la variabilité individuelle (dans une lignée pré-définie).

3.2.1

Économie de la prise de risques

Sur un tout autre versant, le modèle économique de la prise de risque propose un autre cadre de références. Rachlin l’illustre avec le concept de « mélioration »1 et de maximisation2(Rachlin 1997). Dans cette approche, les forces de motivation ultime résident dans le contexte environnemental et la théorie du choix est mise en avant. Cette approche consiste à évaluer le risque sous l’angle de son efficacité. Bernouilli dès 1738 l’envisage sous l’angle de l’utilité espérée qui repose non pas sur sa valeur absolue mais sur les bénéfices estimés (Bernouilli 1738). Le risque tend vers un objet but et la principale variable associée à la prise de risque est

1 Tendance à privilégier l’utilité locale et immédiate « paratélique de APTER » 2 Privilégiant l’utilité globale « télique de APTER »

l’efficacité. Ainsi, la personne qui aurait une propension à la prise de risque (« facultés/dispositions ») tendrait à vérifier régulièrement sa capacité à tirer son épingle du jeu. Le modèle économique présente un intérêt certain car il souligne une dialectique assez fondamentale du comportement humain, entre mélioration et maximisation. Cette dialectique se retrouve de façon plus ou moins équivalente, dans de nombreux modèles dérivés (voir Tableau 2 ci-dessous), qu’il s’agisse des deux principes du fonctionnement mental de Freud (Freud 1911), des jeux internes de (Franck 1996) qui, finalement, reprennent ceux de Platon, de l’addiction rationnelle (Becker and Murphy 1990), de la dialectique comportementale (Loonis 1997) de la recherche de sensations (Zuckerman 1994) ou des états méta-motivationnels de la théorie d’inversion (Apter 1982).

Cazenave, dans sa thèse sur un public de femmes, précise que plus le score d’efficacité est haut au test (Generalised self-Efficacy Scale), plus le sujet est enclin à prendre des risques (Cazenave 2006). L’équipe de Gullone associe une faible perception du risque à un score en extraversion élevé (Gullone and Moore 2000).

Une relation directe entre la perception des risques et la fréquence des comportements dangereux est difficile à démontrer, à priori ; des variables intermédiaires comme le sentiment d’efficacité personnelle et la recherche de sensations sont susceptibles d’en modifier l’impact (Slanger and Rudestam 1997; Llewellyn 2003)

3.2.2

Eléments de synthèse des modèles de comportement

Tableau 2 : modèles du comportement humain

Dialectique fondamentale du comportement humain (Mélioration-Maximisation)

Modèles Mélioration :

utilité locale et immédiate Maximisation : privilégiant l’utilité globale

Principe du fonctionnement mental FREUD (1911)

Principe de plaisir Principe de Réalité

Principe de la recherche de frissons ou de sécurité

Balint (1959)

Personnalité Philobate Personnalité Ocnophile

Théorie du renversement d’états psychologiques

APTER (1982)

Etat paratélique Etat télique

Théorie de l’addiction rationnelle BECKER, MURPHY (1990)

Consommateur « Myope » Consommateur « Prévoyant » Théorie de la recherche de

sensations

ZUCKERMAN (1994)

Grand chercheur de sensation

(HSS) Petit chercheur de sensation (LSS) Théorie des jeux internes

FRANK (1996)

Agent « Appétit » Agent « Raison » Dialectique comportementale

LOONIS (1997)

Motivation Antimotivation

Ces modèles soulignent le caractère volontaire ou involontaire de la prise de risque. Nous partageons la vision d’Heyman, pour lequel, les conditions dans lesquelles se trouve un individu favorisent l’exposition mais non l’usage (Heyman 1996). L’usage serait alors du ressort de la personnalité.

Le modèle médical déterministe réduit les conduites addictives au pôle irrépressible du plus fort que soi, alors que la volonté reste présente. Il adopte le découpage platonicien entre « appétit » et « raison » et abandonne la dimension de la « passion ».

La psychanalyse comble le manque de l’approche médicale et nous renseigne sur la faculté individuelle à se mettre en danger. L’accident inconsciemment et/ou pré consciemment provoqué peut être l’expression d’un ressentiment ou d’une revanche, le sujet recherche alors la blessure comme monnaie d’échange, pour se réconcilier avec lui-même ou/et avec les autres. L’éclairage de la psychanalyse permet d’accepter l’hypothèse de l’inconstance temporelle de l’état dangereux au volant. Ce courant de pensée rapproche les facteurs de risque de l’estime de soi. Plusieurs « déterminismes » coexistent, le type de personnalité n’est que le reflet d’une structure. La recherche de sensations qui s’exprime à travers la prise de risque est un trait de personnalité sous influence psychobiologique et psychosociale. En tout état de cause, il existe plusieurs façons de prendre des risques en fonction des individus. Il existe des conduites à risques constructives, d’autres destructives. La prise de risque, outre les variables de personnalité et au-

delà des variables situationnelles, dépend de l’évaluation qu’en fait lui-même le sujet. La prise de risque pourrait résulter de l’association d’une faible estime de soi (du domaine de la personnalité) et de la recherche de sensations dans une optique hédonique d’autorégulation. L’équipe de Michel a montré, sur un public de jeunes, que la recherche de sensations constitue un facteur important dans les processus d’initiation et de maintien du comportement de consommation de substances psychoactives (Michel, Purper-Ouakil et al. 2001). Nous pouvons envisager une transposition à l’ensemble des comportements à risque. D’après (Moore and Gullone 1996) la représentation du risque est un facteur explicatif d’une grande part de la variance de la prise de risque. Dans la prise de risque routier, il semble que les fonctions pratiques et de prestance priment (Projet Villes – Fondation MAIF, 2002). La vitesse apparaît comme un comportement à risque récurrent et catalyseur. Plus qu’un facteur de risque, la vitesse inscrit la prise de risque dans une démarche de recherche de sensations ou « sensation seeking », (que nous dénommerons « SS »), de plaisir, d’identité. Patricia Delhomme considère non pas la vitesse plaisir mais la vitesse comme une habitude par analogie aux comportements alimentaires dont il est difficile de se détacher (Delhomme and Kreel 2008).