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À LA RECHERCHE DES « BONNES PRATIQUES »

Choix organisationnels et gestion de l’emploi : politiques des entreprises face aux pressions

À LA RECHERCHE DES « BONNES PRATIQUES »

Une des questions à l’origine de notre recherche consistait à s’interroger sur l’existence, au sein d’une même branche, d’un impact différencié des stratégies développées par les entreprises pour faire face aux pressions concurren- tielles sur les emplois peu qualifiés et à bas salaire. Quels en seraient alors les déterminants ? Y a-t-il, au sein d’une même branche, certaines stratégies, positions ou caractéristiques d’entreprises plus favorables que d’autres à cette catégorie de salariés, tant au plan qualitatif (salaire, conditions d’emploi et de travail) que quantitatif (effectifs employés) ?

Des politiques de salaires différenciées ?

Il n’est pas évident de corréler le niveau des salaires avec les caractéristiques des entreprises et les différents types de stratégies identifiés plus haut. Certes, la taille de l’entreprise, le fait de posséder sa propre marque et de fabriquer des produits à haute valeur ajoutée sont des facteurs qui jouent un rôle certain. Traditionnellement, dans la chocolaterie-confiserie, les salaires et les conditions de travail étaient meilleurs dans les grandes entreprises commercialisant sous leurs propres marques que chez les producteurs situés sur les plus bas segments du marché ou sur des produits de niche. Dans les premières, la négociation des salaires était largement indépendante des négociations de branche et les salaires étaient systématiquement plus élevés. Ces entreprises étaient aussi susceptibles d’offrir des avantages plus importants, comme des plans de retraite complémentaire par exemple. Cependant, comme l’ont souligné plusieurs représentants syndicaux de la branche, ce ne serait plus le cas, du fait des pressions exercées pour réduire les coûts (voir supra). À l’inverse, les entreprises de production de masse offrent traditionnellement des salaires plus bas et de plus mauvaises conditions de travail, en partie à cause des pressions des grands distributeurs. Dans le groupe des entreprises qui fabriquent des produits de niches, étant donné que la direction est souvent de type paternaliste, les conditions de

travail et les salaires sont plutôt hétérogènes et très dépendants du proprié- taire. Dans certains cas, les salaires sont plutôt bons (par exemple chez Canpat). Regsweet offre en revanche un contre-exemple car, en dépit de la haute valeur ajoutée de ses produits, les salaires sont bas et reconnus comme tels aussi bien par la direction que par les représentants des salariés.

La complexité du système salarial, le nombre de primes et l’accroissement de l’individualisation des salaires rendent très difficile la comparaison des niveaux de salaire moyen d’une entreprise à l’autre. Même si, à partir des données que nous avons pu obtenir, les différences entre les entreprises de notre échantillon semblent relativement limitées, certaines firmes paraissent verser des salaires plus élevés. Le fort taux de syndicalisation (et d’impor- tantes grèves dans un passé récent) semble jouer un rôle important dans le cas de Hambac, tandis que, pour Multiprod, la position dans la chaîne de valeur (haute valeur ajoutée des produits, moindre dépendance par rapport aux grands distributeurs) et la relative tension sur le marché local du travail sont des facteurs importants.

Il faut aussi noter que ces deux mêmes entreprises se sentent concernées par le thème des différences de salaire entre hommes et femmes, Hambac ayant même participé à un programme d’égalité sur ce thème, financé par l’Union européenne. Mais les tentatives pour attirer des femmes sur certains postes traditionnellement masculins (comme dans le désossage) peuvent aussi être perçues comme des stratégies de résistance à la pression sur les salaires induites par les difficultés de recrutement des hommes dans certaines zones.

Stratégies « hautes » versus « stratégies basses » ?

Nous avons souligné plus haut qu’aucune entreprise de notre échantillon ne pratique de stratégie de dumping social. Certaines d’entre elles semblent plutôt se rapprocher de la stratégie inverse, que l’on pourrait résumer par le triptyque « gain de productivité par la formation-haut salaires-bonnes conditions de travail ». Chez Canpat et Multiprod, l’automatisation s’est

accompagnée d’une politique de formation très active (fondée notamment sur les CQP de la branche, voir supra). Ces deux entreprises ont aussi mis en place des méthodes de management et des formes d’organisation du travail plus participatives, – réunions régulières de concertation sur l’organi- sation et les conditions de travail dans le cadre de « groupes de méthode » chez Canpat ; récente introduction d’équipes « semi-autonomes » chez Multiprod. Elles ont aussi collaboré avec des institutions telles que les ARACT et les CRAM, en vue d’améliorer les conditions de travail. Enfin, dans ces deux entreprises (comme d’ailleurs dans pratiquement tout notre échantillon), on constate un effort pour mieux tenir compte, dans la fixation des salaires, des compétences acquises par les salariés dans le cadre de la mise en place de la polyvalence. Cela vise aussi à favoriser la mobilité salariale, qui, comme on l’a vu, est très limitée dans le système traditionnel.

Plusieurs facteurs contribuent à expliquer ce type de stratégies « hautes ». La position dans la chaîne de valeur (produits de marque propre, plus grande diversification des circuits de distribution, surtout pour Multiprod) et le type de propriété (entreprises familiales avec une certaine tradition de paternalisme social) semblent jouer un rôle. L’insertion dans le marché du travail local compte aussi. Dans un cas (celui de Canpat), l’entreprise est le plus gros employeur de la zone. Il s’agit donc d’adapter et de motiver des travailleurs qui vont faire toute leur carrière dans l’entreprise. Dans l’autre cas (celui de Multiprod), l’enjeu est d’attirer et de fidéliser, dans un marché du travail urbain (mais dans une région rurale, la Bretagne), des jeunes qui sont de plus en plus exigeants. De fait, « toute notre politique est tournée vers les jeunes », nous a déclaré le directeur des ressources humaines de cette entreprise. De ce point de vue, le contraste entre les deux établissements de cette entreprise (distants de seulement 5 km) est très frappant. Dans le premier (produisant surtout de la charcuterie), la moyenne d’âge est élevée, les méthodes de production plus anciennes, les conditions de travail encore très dures. Dans le second (produisant surtout des salades composées et des plats cuisinés) se concentrent pratiquement tous les jeunes et

l’automatisation y est beaucoup plus poussée, les formes d’organisation du travail plus innovantes. Dans leurs stratégies, les entreprises sont ainsi de plus en plus conduites à tenir compte des caractéristiques de la main-d’œuvre qu’elles peuvent recruter, et qui se modifient. Comme le montrent Nicole- Drancourt et Rouleau-Berger [6], les rapports à l’emploi et au travail ont changé chez les jeunes, du fait notamment de la montée des niveaux d’éducation et de modifications dans les modes de socialisation.

C’est sans doute en termes d’organisation et de conditions de travail que les entreprises françaises semblent en moyenne accuser un certain retard par rapport à leurs homologues des pays de l’Europe du Nord. Cela découle aussi bien des règles légales que du rôle des partenaires sociaux. Au Danemark, la Work Environment Authority impose la rotation des tâches, favorisant ainsi la polyvalence et la polycompétence. Cela est également à mettre en parallèle avec un politique plus globale promouvant l’innovation de produits comme de process1. Aux Pays-Bas, dans les deux branches étudiées ici, des accords collectifs sur les conditions de travail ont été adoptés au début des années 2000, imposant aussi la rotation des tâches, en vue de prévenir les troubles musculo-squelettiques liés aux tâches répétitives.

Incidence des stratégies des entreprises

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