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Ève Caroli, Jérôme Gautié et Annie Lamanthe

L’étude du travail peu qualifié et à bas salaire dans le secteur agroalimentaire présente plusieurs intérêts.

D’une part, avec 593 000 salariés en 2006, ce secteur est un pourvoyeur d’emplois important au sein des industries manufacturières. Malgré une tendance générale à l’élévation des niveaux de qualification, la part des salariés peu qualifiés y reste élevée : les ouvriers non qualifiés représentent 44 % du total des effectifs, pour seulement 32 % en moyenne nationale, pour l’ensemble du secteur manufacturier. Malgré une automatisation crois- sante, de nombreuses tâches restent manuelles dans la production comme dans le conditionnement. Les salaires y sont plus bas que dans le reste de l’industrie et la part du travail à bas salaire, tel qu’entendu dans ce livre (c’est-à-dire dont la rémunération horaire est inférieure à deux tiers de la rémunération horaire médiane), se situe un peu au-dessus de la moyenne nationale : 11,6 % en 2003 dans les industries agroalimentaires (IAA) pour

1. Nous remercions Bertrand Réau, Christine Erhel, Gilbert Lefèvre et François Michon pour leur participation à certaines enquêtes de terrain.

10,4 % dans l’ensemble de l’économie1. Cependant, dans les deux branches plus particulièrement étudiées dans ce chapitre, les industries charcutières et la chocolaterie-confiserie (encadré 3), ce taux est nettement inférieur à la moyenne et plus proche de celle de l’industrie dans son ensemble : 7,2 % dans les industries charcutières et 6,2 % dans la chocolaterie-confiserie, pour 6,2 % dans l’industrie2. Contrairement à certains autres secteurs étudiés (l’hôtellerie et le commerce de détail, notamment) et à ce qui a pu être observé dans la plupart des autres pays européens qui ont participé à la recherche3, ces branches ne peuvent être considérées comme des activités à bas salaire stricto sensu et, ce, malgré le fait que la part des non- qualifiés y est particulièrement importante : les ouvriers non qualifiés repré- sentaient 60 % de l’ensemble des ouvriers dans les industries charcutières et 46 % dans la chocolaterie-confiserie, au début des années 20004. Nous

1. Taux calculé sur la base DADS qui permet une désagrégation sectorielle fine mais ne prend pas en compte le secteur public marchand et les emplois domestiques. Ce taux est donc normalement inférieur à celui calculé sur l’enquête « Emploi » (voir chapitre 1) dans la mesure où il exclut les services aux particuliers traditionnellement très chargés en travail à bas salaire.

2. Source : DADS, 2003.

3. Rappelons que le programme porte sur l’Allemagne, le Danemark, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, ainsi que les États-Unis étudiés dans un précédent travail (voir Czommer [5] pour l’Allemagne, Esbjerg et Grunert [7] pour le Danemark, Van Halem [13] pour les Pays-Bas, James et Lloyd [8] pour le Royaume-Uni, et Lane et al. [11] pour les États-Unis. Parmi ces pays, seul le Danemark compte, dans les branches étudiées, un pourcentage inférieur de salariés à bas salaire à celui constaté en France, alors qu’à l’opposé, le Royaume-Uni et l’Allemagne connaissent des taux beaucoup plus élevés (parmi les travailleurs allemands à temps plein, la proportion de ceux à bas salaire s’élevait ainsi par exemple, en 2003, à près de 50 % dans le secteur de la viande et 29 % dans la confiserie-chocolaterie).

le verrons, les caractéristiques du modèle d’emploi français, dont le secteur des IAA est assez représentatif, permettent d’expliquer pour partie cette situation.

D’autre part, les spécificités françaises du travail peu qualifié et à bas salaire peuvent être éclairées par les dynamiques du secteur. Dans les cinq pays européens de notre comparaison, on observe que toutes les entre- prises agroalimentaires enquêtées sont confrontées aux mêmes pressions concurrentielles : montée de la concurrence internationale, pressions de la grande distribution, transformation de la demande, durcissement des critères de qualité, d’hygiène et de sécurité alimentaires. De même, d’un point de vue global, elles développent des stratégies assez similaires : recherche simultanée de flexibilité et de gains de productivité, réduction des coûts. Ces stratégies se traduisent notamment par une automatisation croissante, une tendance à la réduction des effectifs, la recherche d’une plus grande valeur ajoutée et des pressions sur le coût du travail. Pourtant, des variations notables existent entre les pays. Ces variations tiennent en grande partie aux institutions nationales du marché du travail qui ont une influence assez forte sur les modalités de mise en œuvre de ces stratégies. Ces institutions ont donc une incidence directe sur les stratégies des entreprises et sur les conséquences qui en découlent pour les emplois à bas salaire et peu qualifiés, et pour les travailleurs occupant ces emplois, tant en termes quantitatifs (accroissement ou réduction de leur nombre) que qualitatifs (conditions d’emploi et de travail des salariés concernés).

Des variations peuvent être bien évidemment aussi observées entre les entreprises d’une même branche au sein d’un même pays. Celles-ci peuvent notamment être mises en relation avec certains choix stratégiques des entreprises et avec leur positionnement dans la chaîne de valeur. En ce qui concerne la France, nos études de cas montrent que des tensions croissantes se font jour au sein du modèle traditionnel d’emploi, qui repose sur une

forte différenciation entre salariés permanents et salariés temporaires. Les entreprises agroalimentaires françaises semblent ainsi aujourd’hui confrontées à un double enjeu concernant la gestion de l’emploi peu qualifié, qu’il s’agisse des permanents (assurer de meilleures compensations salariales pour des emplois réputés difficiles) ou des temporaires (fidéliser et motiver). Notre enquête montre qu’elles choisissent des voies différenciées pour y faire face.

Fondé sur une analyse sectorielle, et plus particulièrement de deux branches, et sur des études de cas approfondies (voir l’encadré 3 pour la présentation de la méthodologie de la recherche), ce chapitre développe cette problématique générale en quatre parties. Dans une première partie, sont présentées les caractéristiques du secteur des IAA et celle des deux branches étudiées, en insistant sur les spécificités et les contrastes. La deuxième partie analyse les pressions concurrentielles auxquelles les firmes ont eu à faire face dans les années récentes et présente les stratégies commerciales développées par les entreprises enquêtées en montrant en quoi elles sont reliées à leurs positionnements dans la chaîne de valeur. La troisième partie s’intéresse aux stratégies déployées par les entreprises en matière de gestion de l’emploi et aux choix organisationnels qu’elles font en réponse aux pressions concurrentielles accrues. Enfin, la quatrième partie est consacrée à l’impact de ces stratégies sur les opérateurs peu qualifiés, selon une ligne de clivage qui conduit à distinguer les permanents et les temporaires.

ENCADRÉ 3

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