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Chapitre 1 : « [P]endant 25 ans, l’Office du film a œuvré seul » : la gestion et l’administration des moyens

1.3. Création de l’Office du film de la Province de Québec : passage d’une culture de gestion informelle

1.5.1. Raymond-Marie Léger à la succession d’André Guérin

À la suite de la transformation du Bureau de censure en 1967, le directeur de l’Office du film André Guérin annonçait au Secrétaire de la province Yves Gabias son intention de délaisser la majeure partie de ses fonctions à l’OFQ pour se consacrer à celles de président du nouveau Bureau de surveillance. Cette annonce se voulait la confirmation d’une démission éventuelle de façon à favoriser une succession harmonieuse et permettre à l’Office du film de ne point souffrir d’un manque de leadership à une étape cruciale de son existence. À l’été 1970 toutefois, le remplacement d’André Guérin à la direction de l’OFQ se met en marche à la demande du nouveau ministre des Affaires culturelles François Cloutier, d’une manière quelque peu hâtive et dans une relative confusion administrative.

Le 13 août 1970, André Guérin écrit une lettre à François Cloutier dans laquelle il s’étonne que le ministère ait décidé de procéder, pendant ses vacances, au recrutement immédiat d’un nouveau directeur à l’Office du film : Ce recrutement est prématuré dans le contexte actuel étant donné qu’avec la création du Centre cinématographique, même si l’OFQ conserve son statut de producteur gouvernemental, la structure administrative sera transformée et il va de soi que le poste de directeur répondra à une nouvelle définition. La décision de recruter risque de créer des ennuis sérieux pour deux raisons. Tout d’abord, si le candidat vient de l’extérieur, il sera très gênant pour les cadres actuels mobilisés par la préparation

295. Le projet de loi 109 fait l’objet d’une commission parlementaire du 15 au 18 février 1983, au cours de laquelle différents groupes et individus de l’industrie du cinéma, les mêmes que ceux qui avaient participé à la Commission d’étude sur le cinéma et l’audiovisuel, déposent des mémoires. Le projet de loi est ensuite amendé, puis adopté le 22 juin.

de la loi-cadre d’avoir à assurer en même temps la formation d’un nouveau collègue qui sera peu familier avec la vie administrative de l’Office. En second lieu, le nouveau directeur risque fort de se sentir lésé s’il vient à découvrir, après quelques semaines ou quelques mois au directorat, que l’organisme qu’il dirige et le poste qu’il occupe se voient transformés substantiellement par la mise sur pied du nouvel organisme, à savoir le Centre cinématographique. […] L’ajournement du recrutement est d’autant plus indiqué qu’il est facile d’application. Grâce au modus vivendi administratif en place actuellement à l’OFQ, cet organisme peut fonctionner efficacement avec les responsables actuels jusqu’à l’adoption de la loi et à la création du Centre.296

André Guérin enjoint le ministre Cloutier d’attendre l’adoption de la loi-cadre sur le cinéma avant de procéder à la nomination de sa succession à l’Office du film. Le gouvernement procède tout de même sans tenir compte de l’avis de Guérin et dans un relatif secret. Assurant l’intérim, le directeur-adjoint Michel Vergnes s’étonne, le 16 octobre 1970, de n’avoir pas été informé de la date officielle du départ de Guérin. Il s’étonne aussi d’apprendre qu’une date de concours pour son remplacement est prévue pour le 29 octobre de la même année. Le 30 octobre 1970, Michel Vergnes fait valoir son indignation à Cécile Rochefort, agente de la gestion du personnel à la Commission de la Fonction publique, quant à la procédure jugée inappropriée et justifie son refus de participer au concours. On observe dans sa réponse le fort sentiment de loyauté qui anime l’administration de l’OFQ :

Je tiens à vous remercier de votre démarche et à vous redire ci-après les raisons de mon refus :  Bien que remplissant depuis avril 67 les fonctions de directeur-adjoint, je n’ai jamais été

officiellement avisé que M. André Guérin n’était plus directeur général de l’OFQ. En mars 70, on m’a appris de vive voix au ministère que M. Guérin n’occuperait plus ce poste. M. Guérin en était, lui, avisé par lettre ; mais dans la même lettre on lui demandait de continuer d’assumer toutes ses charges. N’ayant pas à interpréter cette contradiction je ne peux que continuer à considérer M. Guérin comme mon directeur jusqu’à ce qu’un autre document officiel établisse le contraire.

 À la suite de la parution du concours dans les journaux, un groupe de professionnels de l’OFQ s’est inquiété des accrocs faits à la procédure de recrutement et en a fait part, dans sa lettre du 5 mai 70 au président [de la Commission de la Fonction publique] Jean Fournier. Non seulement cette démarche n’a rien changé mais les cinq signataires de la lettre ont reçu des

296. « Lettre d’André Guérin au ministre François Cloutier, 13 août 1970 », BAnQ-CAQ, fonds MCC, série Office du film du Québec, sous-série Documents audiovisuels, versement 1983-04-000, boîte 65, dossier 3.

offres répétées pour poser leur candidature à un poste qui n’a jamais été officiellement, pour autant que je sache, déclaré vacant. De plus, aucun des attachés d’administration de l’OFQ n’est éligible à ce poste. Enfin, sur les sept attachés d’administration de notre Office, cinq seulement ont été sollicités pour se présenter au concours. L’un des cinq, Gilles Boivin, n’est même pas encore employé permanent et il a refusé. Jean Gagnon et moi avons fait de même. Raymond Léger et Jacques Parent ont accepté pour que « l’Office du Film soit présent » selon l’expression même de Raymond Léger. Pourquoi les deux autres attachés d’administration de l’OFQ n’ont-ils pas été approchés ?

[…]

 En pratique, M. André Guérin continue d’assumer quotidiennement ses fonctions de directeur de l’OFQ, aucune indication valable du contraire ne m’a été transmise.

 Je considère que cette situation est pour le moins confuse, que le recrutement ne respecte pas les règlements de la Commission de la Fonction publique ; je considère de plus que la nomination d’un nouveau directeur à l’OFQ est prématurée. Sachant que tout l’ensemble cinéma-télévision-moyens audio-visuels fait l’objet d’un examen par les autorités gouvernementales, je souhaite sincèrement qu’aucune improvisation ne vienne en contradiction avec les grandes politiques du gouvernement.

Je compterai bientôt vingt-quatre ans de service. J’ai servi le directeur fondateur du Service de Ciné- Photographie, puis M. Guérin directeur de l’OFQ avec loyauté. Il ne m’appartient pas de décider si un autre directeur doit prendre la relève. S’il en était ainsi, il pourrait compter à son tour sur ma loyauté la plus totale. Mais en attendant que l’autorité compétente clarifie la situation, je n’ai pas d’autre directeur que M. Guérin. Mes collaborateurs, tout le personnel de l’OFQ et moi-même avons une réputation d’intégrité et de rigueur administrative dont peuvent témoigner, entre autres, le Conseil de la Trésorerie et le Service général des Achats. Cette réputation nous interdit à tous d’agir autrement que nous venons de le faire.297

Si cette situation engendre un élan de solidarité au sein de l’administration de l’Office du film, elle produit également une dissension. Le directeur de la Section de la distribution Alphonse Proulx, également le vétéran de l’Office du film, n’a pas été sollicité par le ministère des Affaires culturelles pour poser sa candidature à la

297. « Lettre de Michel Vergnes à Cécile Rochefort, 30 octobre 1970 », BAnQ-CAQ, fonds MCC, série Office du film du Québec, sous-série Documents audiovisuels, versement 1983-04-000, boîte 65, dossier 3.

succession d’André Guérin. Voyant là une machination pour assurer un quelconque contrôle indu de l’Office national du film sur la direction de l’OFQ298, il annonce sa retraite et quitte ses fonctions l’année suivante.

Embauché en juillet 1969 à titre d’adjoint au directeur du Secteur de la distribution, Gilles-Mathieu Boivin est nommé en remplacement d’Alphonse Proulx en 1971, lors de son départ à la retraite. Diplômé en pédagogie de l'Université Laval, Boivin a travaillé précédemment à l'Office national du film pendant sept ans, où il a occupé un poste d'agent d'éducation pour le Canada français. Il visitait le milieu enseignant et conseillait les producteurs de films éducatifs. Il a ensuite acquis une expérience intéressante en distribution cinématographique en occupant le poste de directeur de la distribution pour la région du Québec à l’ONF. Puis, comme producteur, il a participé à la réalisation de films éducatifs en biologie, en physique, en mathématiques et en psychologie. De pair avec l’embauche, l’année précédente, de Jacques Parent, lui aussi de l’Office national du film, producteur spécialisé dans les films éducatifs et scientifiques, l’Office du film entend développer son expertise en la matière299.

À la suite du concours pour la direction de l’OFQ, le ministre François Cloutier annonce finalement par communiqué, le 23 février 1971, la nomination de Raymond-Marie Léger au poste de directeur général de l’Office du film300. La direction organise alors une fête et qu’un vin d’honneur pour le départ officiel d’André

Guérin dans ses locaux. Tous les cadres et plusieurs membres du personnel de l’OFQ, dont Dorothée Brisson, sont présents pour l’occasion. Au nom de ses collègues, Raymond-Marie Léger remet à André Guérin une photographie encadrée de sa rencontre avec le président français Charles de Gaulle lors de l’inauguration de l’Exposition universelle de Montréal en 1967301. Cet événement sympathique montre l’esprit de solidarité qui

émane de la culture organisationnelle de l’OFQ.

298. André Gladu (réal.), Entrevue avec Alphonse Proulx [film], 1993, BAnQ-CAQ, fonds ANQ, série Documents audiovisuels, DFC94-084.

299. « Communiqué : Le cinéma éducatif fait son entrée à l’Office du film du Québec avec MM. Gilles Boivin et Jacques Parent, 18 décembre 1969 », BAnQ-CAQ, fonds MCC, série Office du film du Québec, sous-série Documents audiovisuels, versement 1983-04-000, boîte 32, dossier 13.

300. « Communiqué - M. Raymond-Marie Léger nommé Directeur de l’Office du film du Québec, 23 février 1971 », BAnQ-CAQ, fonds MCC, série Office du film du Québec, sous-série Documents audiovisuels, versement 1983-04-000, boîte 32, dossier 13.

301. « Photographie D693585 », BAnQ-CAVM, fonds MCC, série Office du film du Québec, sous-série Documents iconographiques, versement 1982-01-003, boîte 83.

Graphique 5 — Crédits et dépenses annuels d'opérations de l'OFQ, 1968-1976

Sous la direction de Raymond-Marie Léger, la situation à l’Office du film s’atrophie progressivement au point de faire chuter les dépenses d’opération à moins de 350 mille dollars en 1971-72 [Graphique 5], soit une diminution de près de 20 pour cent par rapport au budget des opérations de 1967-68. Tant et si bien qu’on observe, pour la première fois dans l’histoire de l’Office du film, un solde déficitaire aux années fiscales 1971-72 et 1972-73. Cependant, l’instauration d’une politique de vente de copies de films et d’audio-visions en 1971 redonne à l’OFQ sa rentabilité. Pour l’année 1971-72, les ventes totalisent près de 138 mille dollars ; pour l’année 1972-73, un peu plus de 134 mille dollars.

Par ailleurs, comme Raymond-Marie Léger le précise, il faut noter entre 1970 et 1975 que

le pouvoir d’achat [de l’OFQ] a considérablement décru. Ce serait oublier que l’indice général des prix a considérablement augmenté durant la même période et, plus encore que la moyenne, dans l’industrie cinématographique. Il faut en effet bien tenir compte de ceci : une partie importante des coûts, dans l’industrie cinématographique, est fonction de l’évolution de l’industrie pétro-chimique. Point n’est besoin de réécrire ici l’histoire de la « crise » du pétrole et des augmentations successives des produits dérivés au cours des dernières années.302

302. « Bilan 1970-75 », BAnQ-CAQ, fonds MCC, série Office du film du Québec, sous-série Documents audiovisuels, versement 1983-04-000, boîte 61.

0 200 400 600 800 1000 1200 1400 1967-68* 1968-69 1969-70 1970-71 1971-72 1972-73 1973-74 1974-75 1975-76 Années fiscales

Crédits et dépenses annuels d'opérations de l'OFQ, 1968-1976

Pour les années fiscales 1973-74, 1974-75 et 1975-76 [Graphique 5], les crédits incluent les salaires. Les Comptes publics n’offrent plus le détail des crédits comme pour les années précédentes. Si l’on retire tout de même de ces crédits les dépenses de salaires de façon à observer l’écart strict entre crédits et dépenses d’opération, on constate une augmentation des crédits entre 1972-73, soit 326 mille dollars, et 1973-74, pour un montant de 607 mille dollars. Toutefois, les années suivantes montrent une diminution inquiétante du financement gouvernemental, au point où, pour l’année 1975-76, l’Office du film est en déficit de financement de 219 mille dollars [Graphique 6]!

Graphique 6 — Crédits et dépenses annuels d'opérations de l'OFQ, 1973-1976

Le budget des traitements augmente sur l’ensemble de la période de plus de 130 pour cent [Graphique 7]; une croissance attribuable toutefois à la renégociation de la convention collective des employés de l’État en 1972- 73, qui leur accorde alors d’importantes augmentations de salaire. Dans les faits, l’Office du film perd 12 employés — ses effectifs passant de 83 à 71 —, ce qui n’est rien pour améliorer la situation difficile amorcée vers la fin de la période précédente.

Cependant, ce qui témoigne le plus du mal qui afflige l’institution est probablement l’écart croissant entre les dépenses attribuables aux salaires et celles se rapportant aux opérations. Pour l’année 1968-69, les opérations représentent 51 pour cent des dépenses totales de fonctionnement de l’Office. Pour l’année 1975-76, ce n’est plus que 37 pour cent [Graphique 7].

-400 -200 0 200 400 600 800 1973-74 1974-75 1975-76 Années fiscales

Crédits et dépenses annuels d'opérations de l'OFQ, 1973-1976

Graphique 7 — Répartitions des dépenses annuelles de l’OFQ entre opérations et traitements, 1968-1976

Consciente du manque cyclique de financement, la direction instaure pour la première fois dès 1970 une grille de prix de vente de ses films selon leur durée et leur format. Ces ventes permettent d’aller chercher, en moyenne, 150 mille dollars annuellement entre 1971-72 et 1975-76. Gilles-Mathieu Boivin, nouveau directeur du Service de la distribution à partir de 1971, en fait d’ailleurs l’annonce aux partenaires du milieu à l’occasion du colloque Distribu-Bec organisé en mai 1974.

Par ailleurs, le Service de l’administration de l’Office du film voit son mandat élargi à partir de 1973. Sous la direction de Jean Gagnon, comptable de formation, ce Service prépare les dossiers techniques relatifs à certains aspects du projet de loi-cadre sur le cinéma, en plus de préparer les budgets de l’Office du film et ses états financiers. Il assure également le suivi des contrats de production et met au point un projet de création d’une série de corps d’emplois couvrant les métiers du cinéma303.

Dans le dernier rapport annuel de l’Office du film au sous-ministre des Affaires culturelles Guy Frégault le 15 avril 1975, rapport intitulé poétiquement « Requiem pour un Phénix », Raymond-Marie Léger semble toutefois confiant dans l’avenir de la nouvelle structure qui se dessine alors sous le nom de Direction générale du cinéma et de l’audiovisuel (DGCA), créée par la loi-cadre sur le cinéma :

303. Québec (Province). Ministère des Affaires culturelles, Rapport annuel du ministère des Affaires culturelles pour l’année 1973-74 », Éditeur officiel du Québec, p. 162.

418 432 411 344 376 494 472 547 405 501 510 488 579 639 784 933 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000 1968-69 1969-70 1970-71 1971-72 1972-73 1973-74 1974-75 1975-76 Années fiscales

Répartition des dépenses annuelles de l'OFQ entre opérations et traitements, 1968-1976

Cette précision n’a rien de nostalgique : si l’OFQ disparaît, c’est pour renaître sous une forme moins chétive. Métamorphose des dieux qui, au contraire, nous réjouit puisqu’enfin le cinéma québécois a trouvé une patrie et que nous avons contribué, malgré une dure traversée du désert, à lui donner une terre si longuement promise. Pour une fois, le Phénix n’a pas goût de cendre. Heureuse et double métempsycose qui permet à la fois une naissance officielle (celle du cinéma québécois) et une vigoureuse renaissance (celle de l’OFQ). Au cours des quatre dernières années, dont chacun reconnaît maintenant qu’elles ont été pour le moins difficiles, l’OFQ a tenu, servi et lutté - parfois jusqu’à l’absurde. J’imagine qu’un jour, quelque véritable historien du cinéma racontera ce cheminement. On verra alors l’importance du rôle qu’a silencieusement joué l’OFQ dans la reconnaissance d’une cinématographie authentiquement québécoise. Si nous craignons le jugement de Dieu, celui de l’Histoire ne troublera jamais notre sommeil.304

Hélas pour le directeur Léger, cette nouvelle incarnation de l’Office du film a une courte existence bien mouvementée.

1.5.2. La création de Radio-Québec et la perte du mandat éducatif de l’Office du