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Chapitre 1 : « [P]endant 25 ans, l’Office du film a œuvré seul » : la gestion et l’administration des moyens

1.3. Création de l’Office du film de la Province de Québec : passage d’une culture de gestion informelle

1.5.3. La Loi sur le cinéma de 1975

L’événement politique ayant la plus grande importance sur le plan administratif pour l’Office du film est certainement le projet de loi-cadre sur le cinéma annoncé officiellement par le lieutenant-gouverneur Hugues Lapointe, au nom du gouvernement Bourassa, dans son discours inaugural de la quatrième session de la 29e

Législature, le 15 mars 1973314. Ce projet figure à l’agenda du gouvernement libéral depuis le début des années

1960315.

Une longue série de consultations menées auprès des acteurs de l’industrie retarde toutefois le dépôt du projet de loi de plus de deux ans. Interrogé sur le sujet en Chambre par le député péquiste de Maisonneuve Robert Burns, le ministre des Affaires culturelles Denis Hardy rétorque que

le député de Maisonneuve comme d'autres membres de cette Chambre sont peut-être impatients en voyant le temps que prend cette loi à accoucher. Il s'agit d'un problème assez complexe et peut-être que dans cette question on a péché, d'une certaine façon on a peut-être trop consulté. Je pense qu'il y a peu de dossiers où il y a eu de consultations aussi intenses, aussi globales et, après avoir consulté, on a reconsulté [sic]. Il y a vraiment un dossier énorme sur cette question. On a affaire à un domaine complexe, à un domaine où il y a beaucoup d'intérêts qui sont divergents. L'intérêt des exploitants de salle n'est pas nécessairement celui de ceux qui font les scénarios, des cinéastes. En fait il y a

313. « L’Office du film du Québec et sa distribution, 22 mai 1974 », BAnQ-CAQ, fonds MCC, série Office du film du Québec, sous-série Documents audiovisuels, versement 1983-04-000, boîte 32, dossier 10.

314. Québec (Province). Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée nationale du Québec : 29e Législature, 3e session, 15 mars 1973, Éditeur officiel du Québec, p. 4. Le gouvernement Bourassa avait d’abord souhaité déposer le projet de loi en première lecture au cours de la session précédente. Il en avait été question lors des discussions sur le budget, mais n’avait pu le compléter à temps. Voir Québec (Province). Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée nationale du Québec : 29e Législature, 3e session, 7 juillet 1972, Éditeur officiel du Québec, p. 2071.

315. Pour un portrait détaillé du contexte politique entourant la gestation de la Loi sur le cinéma de 1975 depuis le début des années 1960, voir Constance Dilley, Crosscurrents : How Film Policy Developed in Quebec, 1960-1983, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2018, 302 p.

beaucoup de points de vue divergents et, parmi tous ces points de vue, il s'est dessiné des écoles assez divergentes.316

Denis Hardy se dit d’abord confiant de pouvoir déposer le projet en Chambre en juillet 1974, mais croit plus réaliste que le dépôt aurait lieu à la reprise des travaux à l’automne. Cette loi est grandement attendue par les multiples acteurs de l’industrie qui s’impatientent. Le 22 novembre de la même année, un groupe de membres de l’Association des réalisateurs, dont Jean Chabot, Roger Frappier et Fernand Dansereau, décide d’occuper les locaux du Bureau de surveillance du cinéma, au 360 de la rue McGill à Montréal, en guise de protestation face à l’inaction du gouvernement. Le ministre des Affaires culturelles se voit alors dans l’obligation de se commettre à la radio, le lendemain : le projet de loi-cadre sur le cinéma ne peut être déposé comme prévu durant la session en cours. Jacques-Yvan Morin, chef de l’Opposition officielle et député péquiste de Sauvé, interpelle le ministre Hardy en Chambre sur cette question le 26 novembre. Le principal intéressé comprend la frustration des protestataires, mais qu’il ne se formalise pas de l’occupation en cours :

En terminant, que l'occupation dure 24 heures, 48 heures, une semaine ou quinze jours, cela ne changera en rien, je l'affirme, le rythme de travail que nous nous imposons présentement. Il est physiquement impossible d'agir avec plus de célérité que nous le faisons. Donc, l'occupation est absolument inutile sur ce plan. J'ajoute, quant à moi, personnellement, que l'occupation actuelle du Bureau de surveillance ne me dérange pas. Je suis obligé de dire qu'il est évident que nous ne pourrons pas permettre que cette occupation paralyse la distribution normale des films ou le fonctionnement normal des salles de cinéma.317

L’occupation se poursuit pendant dix jours et les réalisateurs sont finalement expulsés par la police le 2 décembre. La couverture médiatique de l’événement met de la pression le gouvernement qui est forcé d’engager la négociation par l’entremise de son ministre des Communications Jean-Paul L’Allier318, qui se veut un

interlocuteur beaucoup plus apprécié des acteurs de l’industrie que son collègue des Affaires culturelles.

316. Québec (Province). Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée nationale du Québec : 30e Légisature, 2e session, 20 juin 1974, Éditeur officiel du Québec, p. 1192.

317. Québec (Province). Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée nationale du Québec : 30e Législature, 2e session, 26 novembre 1974, Éditeur officiel du Québec, p. 2945.

318. Le dossier cinéma relève alors du ministère des Communications et de son ministre Jean-Paul L’Allier ; non plus des Affaires culturelles. Or, le ministre Hardy a insisté auprès du premier ministre Bourassa pour conserver la responsabilité de la loi-cadre sur le cinéma qu’il souhaitait mener à terme.

Le projet de loi 1 définissant la politique que le gouvernement devrait adopter en matière de cinéma est finalement déposé en Chambre et proposé en première lecture le 8 avril 1975 par le ministre Denis Hardy. Il prévoit une politique cinématographique pour le Québec favorisant

la mise en place de l'infrastructure artistique, industrielle et commerciale d'un cinéma qui reflète et développe la spécificité culturelle des Québécois, le développement d'un cinéma québécois de qualité et l'épanouissement de la culture cinématographique dans toutes les régions du Québec, la liberté de création et d'expression, le développement du cinéma pour enfants.319

Le projet de loi 1 prévoit également l’instauration d’une Cinémathèque nationale du Québec et la mise en place du dépôt légal obligatoire des œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Deux nouvelles institutions voient aussi le jour : l’Institut québécois du cinéma (IQC) — qui figure dans le texte de la loi — et la Direction générale du cinéma et de l’audiovisuel (DGCA) — qui en est absente. La DGCA est créée au sein du ministère des Affaires culturelles pour coordonner les activités cinématographiques des ministères et des services de l’État, pour veiller à la promotion de la production québécoise et pour s’occuper de la règlementation relative à la loi. Organisme subventionnaire ayant les mêmes objectifs que la Société de développement de l’industrie cinématographique canadienne (SDICC), mais doté de moyens financiers moins importants, l’IQC veille à répartir des fonds que l’État québécois destine au secteur privé. Le préambule de la loi indique que l’IQC « [sera] formé sept membres nommés par le gouvernement à même des listes de noms suggérés par les milieux du cinéma […] et sera autonome pour ce qui est de sa gestion320 ».

Si cher aux yeux de Guérin, Léger et de Bona Arsenault alors qu’il était Secrétaire de la province, le projet d’un Centre cinématographique du Québec indépendant regroupant les différentes instances administratives de l’État en matière de cinéma est écarté. Le ministre Hardy tient à conserver sa mainmise sur l’Office du film, qui est absorbé par la nouvelle DGCA. En coulisses, la situation se veut l’écho d’une bataille qui se dessine entre deux hommes : Denis Hardy et Gérard Frigon.

Le débat entourant les articles du projet de loi 1 se déroule au sein de la commission élue permanente de l’éducation, des affaires culturelles et des communications du 10 au 12 juin. La commission remet son rapport en Chambre le 17 juin et la loi reçoit finalement la sanction royale le 19 juin 1975. L’Office du film du Québec est intégrée avec la nouvelle Direction générale du cinéma et de l’audiovisuel du ministère des Affaires

319. Québec (Province). Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée nationale du Québec : 30e Législature, 3e session, 8 avril 1975, Éditeur officiel du Québec, p. 255.

320. Québec (Province). Assemblée nationale, « Loi sur le cinéma », Statuts refondus, chapitre 14, Éditeur officiel du Québec, mars 1976.

culturelles, créée en marge de l’adoption de la loi, mais annoncée aux médias le 5 avril 1976321. La DGCA passe

toutefois au ministère des Communications — plus particulièrement au programme 8 consacré au cinéma et à l’audiovisuel — le 18 février 1976.

1.5.4. La Direction générale du cinéma et de l’audiovisuel : une fin des plus