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Chapitre 1 : « [P]endant 25 ans, l’Office du film a œuvré seul » : la gestion et l’administration des moyens

1.3. Création de l’Office du film de la Province de Québec : passage d’une culture de gestion informelle

1.3.1. D’un cinéma gouvernemental à un cinéma d’État

Tout juste élu, le gouvernement libéral de Jean Lesage décrète le 6 juillet 1960 un arrêté en conseil transférant l’Office provincial de publicité, duquel relève le Service de Ciné-photographie (SCP), du Conseil exécutif au Secrétariat de la Province199. Un geste hautement significatif qui traduit l’esprit de la nouvelle culture politique

insufflée par les Libéraux dans la gestion de l’administration publique québécoise. L’année suivante, le 24 mars 1961, le député libéral de Terrebonne et secrétaire de la Province Lionel Bertrand présente le projet de loi 38 modifiant la Loi du Secrétariat en première lecture. Ce projet de loi prévoit la scission de l’Office provincial de publicité en deux entités distinctes : l’Office d’information et de publicité et l’Office du film. La signification d’un tel projet de loi est double. D’une part, le gouvernement promulgue l’autonomie de la production et de la distribution de films au sein de l’administration publique québécoise. D’autre part, il envisage dans l’usage de ce médium politique le prétexte de la mise sur pied d’un réel cinéma d’État destiné à ses citoyens et non au service du gouvernement.

Lors de la deuxième lecture le 13 avril suivant, il justifie en chambre les grandes lignes de son projet de loi :

199. « Arrêté en Conseil 1052 », BAnQ-CAQ, fonds MCC, série Office du film du Québec, sous-série Documents audiovisuels, versement 1983-04-000, boîte 32, dossier 30.

La publicité du gouvernement, dit-il, et le domaine du film doivent faire l'objet d'un contrôle plus adéquat. C'est pourquoi le gouvernement a donné à ces services une administration distincte pour qu'ils remplissent entièrement leur mission. Ce projet de loi a pour principaux effets de constituer, dans le secrétariat de la province, un Office d'information et de publicité et un Office du film, au lieu de l'Office provincial de publicité, créé en 1946, et qui termine son existence. Il nous faut donner à ces importants services, que sont la publicité, la ciné-photo et le tourisme, une orientation nouvelle, adaptée particulièrement aux besoins de 1961.200

Il poursuit en détaillant le rôle souhaité par le gouvernement de chacun de ces deux organismes :

L'Office d'information et de publicité de la province s'occupera de la publicité des ministères provinciaux et des services du gouvernement, mais avec des règlements à point et des données excessivement précises. […]

La réorganisation du Service de ciné-photographie, qui prend le nom de l'Office du film, est à peine ébauchée. On a mis de l'ordre dans ce service au cours des derniers mois en exigeant des producteurs privés de films qu'ils livrent leur ouvrage dans un délai raisonnable. Certains producteurs de films partagent une conception erronée. Au moment où ils ont réalisé un film et qu'ils ont subi un déficit, ils croient que nous avons le devoir de l'acheter. Il s'agit là d'une conception erronée du rôle de l'Office du film, dont le but est d'abord et avant tout de répondre aux besoins de l'ensemble du gouvernement.201

À l’époque de Duplessis, l’Office provincial de publicité a joué un rôle prépondérant dans le marketing gouvernemental de l’Union nationale — l’OPP relevait du Conseil exécutif —. Le gouvernement Lesage entend réaffirmer par la présente loi l’indépendance administrative de l’institution chargée de la publicité des projets et services de l’État. La production et la distribution de films au sein de l’administration publique québécoise ne sont plus des enjeux essentiellement publicitaires.

Lionel Bertrand souligne également la fin de l’interdiction d’achat et de la distribution de de films de l’Office national du film du Canada, mesure promulguée en 1952 par le premier ministre Duplessis. Il précise :

Depuis 1952, le Service de cinématographie a reçu des instructions pour interdire tout achat de copies de films en provenance de l'Office national du film. Ces instructions avaient été données par le premier ministre Duplessis. Sans vouloir commenter ni analyser les raisons que M. Duplessis pouvait avoir

200. Québec (Province). Assemblée législative, Débats de l’Assemblée législative de la Province de Québec : 26e Législature, 2e session, 13 avril 1961, Éditeur officiel du Québec, p. 923. 201. Ibidem.

dans le temps, elles n'ont plus leur raison d'être. J'ai recommandé que le ban fût levé, ce qui a été fait à la fin de l'année 1960.

J'ai considéré que nous ne devions pas nous abstenir d'acheter de l'ONF des copies de pellicules dont une partie du coût de la production a été assumée par la population du Québec au moyen des taxes versées au gouvernement central. Cependant, aucune copie de film ne sera achetée de l'ONF, à moins d'être recommandée par le département qui en a besoin, et avant d'être acceptée au point de vue de ses caractéristiques techniques par le personnel de l'Office provincial du film.202

Le député unioniste de Missisquoi Jean-Jacques Bertrand offre la réplique en s’opposant au projet de loi qualifié ni plus ni moins d’inutile :

L'Office de publicité et le Service de ciné-photographie fonctionnaient à la perfection, et le secrétaire de la province aurait pu les conserver tout en leur imprimant son élan personnel. On a voulu donner un peu d'apparat au secrétariat provincial que l'on avait complètement dépouillé, au moyen de quelques lois qui paraissent bien, mais qui sont en réalité inutiles.203

En effet, ce projet de loi peut sembler être une simple contorsion administrative ou bureaucratique puisque la structure décisionnelle du SCP. Cependant, son organisation et son personnel ne changent pas. Or, ce n’est pas que la dénomination sociale qui change ici. Le « service » comprenant des « secteurs » devient un « office » composé de « sections », ce qui traduit une promotion dans la hiérarchie administrative. Pour Michel Vergnes, cette réorganisation administrative avait aussi eu un effet positif pour les employés du SCP :

Je pense que c’était pour aider tout l’ensemble en le montant dans la hiérarchie des bureaux. C’était un office composé de services au lieu que ce soit un service composé de sections. La réorganisation de la fonction publique par Paul Sauvé, ça permettait des échelles de salaire, ça permettait des plans de carrière un peu plus roses. Et puis nous, à ce moment-là, ça faisait une dizaine d’années qu’on était dans la boutique. On a commencé à racheter nos années de travail parce qu’on avait toujours été considéré comme des employés temporaires. Alors pour finir par avoir une certaine permanence, on rachetait les années de service.204

202. Ibidem. 203. Ibidem.

204. André Gladu (réal.), Entrevue avec Michel Vergnes [film], 1993, BAnQ-CAQ, fonds ANQ, série Documents audiovisuels, DFC94-083.

La transformation du SCP en un Office du film met aussi un terme à la gestion politique partisane directe des activités cinématographiques de l’État exercée sous le gouvernement de Duplessis205, par l’entremise de son

secrétaire Georges Léveillé et de son chef de cabinet Émile Tourigny entre 1944 et 1959206. L’Office du film se

voit reconnaître une autonomie politique face à l’exécutif, ce qui modifie considérablement ses modes de gestion et d’administration. Imputable au Secrétaire de la province et non plus au cabinet du premier ministre, sa direction est dorénavant moins perméable à l’arbitraire de l’exécutif.

Par ailleurs, ayant retrouvé son statut d’entité administrative autonome — l’OFQ n’est pas sous la responsabilité d’un autre office —, l’attribution des fonds qui lui sont accordés constitue une rubrique distincte des débats annuels sur les crédits à l’Assemblée législative. Cette situation modifie considérablement la gestion financière de l’organisme. Tel que l’ancien directeur de l’Office provincial de publicité Robert Prévost le mentionne,

Jusqu’en 1960, le budget [de l’Office provincial de publicité] était voté en bloc. C’était une sorte de cagnotte dans laquelle on puisait jusqu’à son épuisement au hasard des demandes reçues, celles-ci étant souvent pilotées par des ministres ou des députés. Si, une fois atteint le fond du coffre, se présentait la nécessité de mener une campagne publicitaire, comme à l’occasion de l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi, il n’existait aucune autre possibilité : la seule façon de procéder était d’obtenir du ministère des Finances la promesse que les crédits nécessaires seraient votés à la faveur d’un budget supplémentaire.207

Au cours de treize années fiscales entre 1947 et 1960, le gouvernement de l’Union nationale procède à six reprises au vote de crédits supplémentaires pour l’Office provincial de publicité. Il est question ici de crédits supplémentaires allant de 100 mille dollars jusqu’à 200 mille dollars pour une même année fiscale.

Après le débat des articles du projet de loi en comité plénier, le projet de loi 38 est lu une troisième fois et adopté après division. Le 27 avril 1961, la sanction royale de la Loi modifiant la loi du Secrétariat par le lieutenant- gouverneur en conseil rend officielle la scission de l’Office provincial de publicité en un Office du film de la Province de Québec (OFQ) — qui remplace le SCP — et un Office d’information et de publicité du Québec. La Loi sur le Secrétariat prévoit ainsi que l’Office du film de la Province de Québec soit chargé

205. À cette époque, Duplessis lui-même pouvait commander directement la production d’un film aux dirigeants du SCP, comme ce fut le cas pour Le Tabac jaune du Québec (1951), réalisé par l’abbé Maurice Proulx.

206. Marc-André Robert, Dans la caméra de l’abbé Proulx : la société agricole et rurale de Duplessis, Québec, Septentrion, 2013, p. 76-77.

de coordonner, diriger et contrôler le travail de cinématographie de tous les ministères et services du gouvernement et de tout organisme qui en relève et auquel le lieutenant-gouverneur en conseil étend l’application de la présente section ; de réaliser, acheter, louer, prêter, exhiber, faire exhiber, vendre et distribuer des films et des photographies ; d’établir et maintenir des cinémathèques.208

Le directeur de l’ancien SCP, Joseph Morin, est reconduit dans ses fonctions au sein du nouvel Office du film, tout comme ses adjoints : Gilbert Fournier demeure assistant-directeur au bureau de Montréal ; Michel Vergnes, chef de la section de production ; Paul Carpentier, chef de la section de photographie ; et Georges A. Driscoll, chef de la section de photographie d’art et couleurs. Dans une allocution prononcée devant le comité plénier de l’Assemblée législative, Morin remercie la députation de la reconnaissance accordée à l’organisme qu’il dirige : Je crois bien que notre province méritait d'avoir un Office du Film bien distinct. J'ai nettement conscience que cet Office qui a connu des jours heureux, même quand il était englobé dans l'Office provincial de publicité, en connaîtra beaucoup d'autres maintenant qu'il sera le maître de ses propres destinées. Les deux Offices s'imposaient. Ils rendront service au Québec tout entier. Ils seront une réclame pour elle. Et c'est avec beaucoup de fierté que je laisse ces quelques notes à l'attention des membres de cette honorable Chambre.209

Dans le rapport annuel transmis au secrétaire de la Province Lionel Bertrand en août 1961, il réitère ses bons mots, mais cette fois à l’endroit du personnel de l’Office du film, se disant

reconnaissant [envers le] personnel dévoué qui, bien que si longtemps mal payé a, tout de même, tenu le coup et aidé le directeur à atteindre le but dont il est si fier aujourd’hui [et] qui prouve que le Service de Ciné-Photographie a bien mérité l’honneur qu’on lui a fait en le transformant en l’Office du Film de la Province de Québec.210