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Chapitre 1 : « [P]endant 25 ans, l’Office du film a œuvré seul » : la gestion et l’administration des moyens

1.3. Création de l’Office du film de la Province de Québec : passage d’une culture de gestion informelle

1.5.4. La Direction générale du cinéma et de l’audiovisuel : une fin des plus amères

La DGCA n’est donc pas officiellement en fonction entre juin 1975 et avril 1976. Le sous-ministre adjoint aux Affaires culturelles Gérard Lajeunesse, ami de jeunesse du ministre des Communications Denis Hardy, se voit confier la direction générale de la DGCA par intérim en juillet 1975, ce qui a tôt fait de susciter la gronde des anciens cadres et du personnel de l’OFQ. L’ancien directeur de l’OFQ Raymond-Marie Léger, qui entretient une relation bien peu harmonieuse avec le ministre Hardy, est confiné à un simple poste de conseiller. Un jeu de coulisses se déploie alors pour isoler l’ancien directeur. En octobre 1976, le journaliste au Devoir Jean-Pierre Tadros écrit avoir pris connaissance « d’un mémo manuscrit du directeur général par intérim, M. Lajeunesse, demandant que certains dossiers ne soient ‘‘plus envoyés’’ à M. Léger. »

Trois des directeurs de service de l’ancien Office du film sont reconduits dans des fonctions similaires, bien que temporaires : Gilles-Mathieu Boivin devient responsable du volet promotion, Jean Gagnon s’occupe du volet support technique et administatif, et Jacques Parent se voit confier la coordination de la production. À ceux-ci vient s’ajouter Romuald Miville-Deschênes, ancien chef de protocole du gouvernement Bourassa, qui devient directeur de la Cinémathèque nationale. Le Service de production cinématographique de feu l’Office du film a toutefois complètement disparu. L’équipe de production-réalisation qui comprenait Paul Vézina, Michel Vergnes, Luc Chartier, Claude Hefferly, Dorothée Brisson et Irénée Tremblay est démantelée. Le journaliste Jean-Pierre Tadros souligne que Michel Vergnes, en charge du bureau de Québec de la DGCA,

n’aura jamais été consulté et n’aura reçu depuis la création de la DGCA aucune instruction officielle. […] À Québec donc, c’est la fin de ce que fut l’OFQ. Michel Vergnes, qui fêtera l’année prochaine ses trente années au sein de cet organisme […] se cherche un poste dans un autre ministère à Québec. Ce qu’on avait mis des années à construire est aujourd’hui démantelé. À la place, le chaos semble s’être installé. C’est triste nous dira l’un des pionniers « parce qu’on ne voit pas beaucoup les avantages de tout ce chambardement. » Et il ajoute « avec la Loi du cinéma, on pensait avoir enfin les mécanismes pour faire avancer le cinéma »322.

321. Claude Daigneault, « Le lancement officiel de la Direction générale du cinéma et de l’audio-visuel », Le Soleil, 6 avril 1976, p. D9.

Selon le journaliste Luc Perreault de La Presse, après plus d’un an à la tête de la DGCA, Lajeunesse est toujours contesté « tant de l’intérieur de la DGCA que du côté de l’industrie du cinéma. M. Lajeunesse ne peut guère prétendre à des états de service très impressionnants jusqu’ici323. » La DGCA est le théâtre d’une véritable

« guerre de tranchées où un homme affronte le clan des Siliciens ». Cet homme, Gérard Frigon, est le sous- ministre des Communications, responsable du dossier cinéma à partir d’avril 1976. Favorable à Frigon, le personnel de la DGCA assiste impuissant « à une guerre d’usure entre les deux figures dominantes que sont Gérard Frigon et Gérard Lajeunesse. » Dans un article publié le 21 janvier 1978 dans les pages du Devoir à l’occasion du décès de Guy Frégault, Raymond-Marie Léger, qui ne tarit point d’éloges à l’égard de son ancien patron et collègue du MAC, se permet justement quelques bons mots à l’égard de Frigon :

Et voilà que je sers un autre Sous-ministre qui porte, par un hasard où je m’entpete à voir un heureux présage, les mêmes initiales. Si l’on s’en tient à la facilité, aux signes bêtement enfantins de l’extérieur, on ne saurait imaginer deux hauts fonctionnaires plus différents que Guy Frégault et Gérard Frigon. Pourtant, de l’un à l’autre, dans un cheminement qui est mien et qui ne regarde que moi, je n’ai eu le sentiment d’aucune brisure. Ces deux hommes se rejoignent par maints aspects de leur comportement, sans s’en douter peut-être. Ils ont en commun au moins deux choses : la passion de servir jusqu’à la limite de leurs forces, voir au-delà, et une certaine haute idée du Québec. Cela me suffit.324

Gérard Frigon procède le 26 avril à la nomination de Robert Bastien à la direction générale, un administrateur de formation ayant occupé un poste de vice-président d’une compagnie internationale de production cinématographique installée à Paris, nomination recommandée à deux reprises par un jury. Le

clan Lajeunesse a répliqué en montant en épingle la soit-disant inaptitude de M. Bastien à établir des contacts humains harmonieux avec ses subalternes. Repli stratégique de M. Frigon qui décide d’abandonner à son sort celui qu’on disait son poulain. Mais la lettre recommandée annonçant à l’intéressé qu’il est mis à pied portera la signature de son supérieur immédiat, Gérard Lajeunesse. Ainsi ce dernier portera en dernier ressort la responsabilité.325

Bastien demeure en poste seulement six mois. Pendant toute cette période d’organisation de la DGCA, entre juillet 1975 et avril 1976, l’incurie administrative et les velléités politiques s’accompagnent d’une improvisation qui place le personnel dans une position fragile et anxiogène. On annonce tantôt l’intention de déménager toute la DGCA à Québec et de fermer son bureau de Montréal, tantôt le contraire. Le directeur par intérim Gérard

323. Luc Perreault, « La DGCA : guerre de tranchées où un homme affronte le clan des Siliciens », La Presse, 26 octobre 1976.

324. Raymond-Marie Léger, « Guy Frégault ou d’un inconnu mal aimé », Le Devoir, samedi 21 janvier 1978, p. 48-49.

Lajeunesse ne convoque aucune réunion pour informer le personnel des décisions prises ou de l’évolution de la situation. Plusieurs anciens de l’Office du film demandent leur mutation dans d’autres services ministériels, surtout ceux œuvrant au sein du bureau de Québec.

L’arrivée au pouvoir du Parti québécois en novembre 1976 vient calmer le jeu. Le 7 décembre, le nouveau ministre des Affaires culturelles et des Communications Louis O’Neill procède à la nomination de son sous- ministre Gérard Frigon à la direction générale de la DGCA, de façon intérimaire326. En février 1977, Frigon

nomme officiellement Michel Brûlé, professeur de sociologie de l’Université de Montréal et membre du conseil d’administration de l’Institut du cinéma québécois au poste de directeur général. Brûlé est le premier en lice sur la liste d’éligibilité de la Fonction publique.

Michel Brûlé, dont la candidature est grandement appréciée par le personnel et les membres de l’industrie, s’affaire à structurer la DGCA327. Il contribue ainsi à installer un climat de travail plus serein. Citant une source

du ministère des Communications en décembre 1979, le journaliste Luc Perreault de La Presse prête au ministre Denis Vaugeois l’intention de démanteler prochainement la DGCA au profit d’un Conseil supérieur du cinéma, ce que le principal intéressé s’empresse de démentir. Dans un télégramme envoyé à Michel Brûlé le 20 décembre, Vaugeois se veut rassurant :

Suite à la parution de cet article, je désire vous assurer vous-même et votre équipe de ma plus entière confiance. D'importantes responsabilités seront fort probablement réservées à la DGCA, contrairement à ce que laisse entendre la teneur de l'article de M. Perreault et celles-ci feront l'objet de discussions préalables avec vous-même et vos principaux collaborateurs.328

La Direction générale du cinéma et de l’audiovisuel est finalement abolie en décembre 1983 par l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur le cinéma qui reçoit la sanction royale le 23 juin de la même année. Avec cette abolition prend fin l’aventure de l’Office du film du Québec.

326. Jean-Pierre Tadros, « Gérard Frigon s'occupera désormais du dossier du cinéma », Le Devoir, 8 décembre 1976.

327. Le champ sociologique de Brûlé tourne autour de Pierre Perrault, à qui il a déjà consacré un livre et des articles. Qu’il soit spécialiste du probablement plus grand cinéaste québécois de l’heure a pour effet de rassurer un temps les milieux du cinéma.

328. « Communiqué : Télégramme de Denis Vaugeois à Michel Brûlé, 20 décembre 1979 », BAnQ-CAQ, fonds MCC, série Office du film du Québec, sous-série Documents audiovisuels, versement 1983-04- 000, boîte 32, dossier 15.