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La rationalité de l'implantation d'un commerce périodique en périphérie de Bamako

d'organisation des échanges entre la ville et sa périphérie

3.2. Un appareil commercial développé pour approvisionner Bamako

3.2.1. Une gamme de marchés périodiques pour approvisionner la ville ?

3.2.1.3. La rationalité de l'implantation d'un commerce périodique en périphérie de Bamako

La foire est un lieu d’échange périodique. C’est l’une de ses caractéristiques majeure et sans doute celle qui suscite le plus d’interrogation. Nombre d’économistes se sont interrogés sur la pertinence d’un échange restreint volontairement dans le temps, à l’heure de la mondialisation du commerce.

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Le scepticisme sur l’efficacité d’un commerce périodique n’a cependant pas attendu le constat de la mondialisation des échanges mondiaux. A.R Turgot fut un fer de lance de la critique des institutions commerciales périodiques et notamment des foires du XIXème siècle : « Qu’importe en effet qu’il se fasse un grand commerce dans une certaine ville et dans un

certain moment, si ce commerce momentané n’est grand que par les causes même qui gênent le commerce en général et qui tendent à le diminuer dans tout autre temps et dans toute l’étendue de l’Etat » (Turgot, 1852). Il voyait dans la périodicité une restriction inutile,

surtout dans le cas des foires qui avaient à cette époque le plus souvent une fréquence annuelle ou saisonnière. La volonté d’une homogénéisation des pratiques commerciales et d’une organisation plus poussée, guidée par les valeurs de progrès et d’émancipation vis à vis de l’Etat, ont ainsi alimenté pendant longtemps (XVIII et XIXe siècles) les réflexions sur les marchés périodiques.

En périphérie de Bamako, la question de la rationalité de la périodicité se pose aussi. Compte tenu de la dynamique démographique de Bamako, de la quantité de consommateurs à approvisionner, de l'appareil commercial apte à recevoir les flux, on peut s'interroger sur la pertinence d'un système d'approvisionnement fondé sur des institutions commerciales périodiques. Nous verrons que le contexte explique la persistance d’un commerce périodique, mieux encore sa nécessité dans bien des cas.

L'implantation d'une foire n’est pas sans conséquence sur les pratiques de l’espace et d’échange. Adaptée aux conditions du milieu, aux besoins d’échange, elle entraîne une réorganisation des flux de marchandises et de personnes dans un territoire. La périodicité se présente en réalité comme un élément organisationnel purement rationnel (Symanski, Bromley, 1975 ; Good, 1975 ; Skinner, 1964-1965 ; Dirrix, 1986). D’une part, elle exprime une logique et une rationalité économique et commerciale. D’autre part, la périodicité est en adéquation avec les modèles culturels et sociaux de notre terrain. Enfin, c’est une réponse adaptée aux conditions du milieu (la densité de la population et sa répartition dans l’espace notamment).

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3.2.1.3.1. La rationalité économique de la périodicité des foires de la périphérie

La périphérie de Bamako est un espace à dominante rurale. La population est repartie dans des villes ou villages et les déplacements sont majoritairement non motorisés. L'éloignement du marché urbain (la distance maximum parcourue pour accéder à un marché est de 30 à 50 km, à pied, en vélo ou charrette) a longtemps constitué un frein à la commercialisation des productions locales. L'implantation de foires insérées au tissu villageois a permis d'accéder aux opportunités commerciales. La multiplication des foires en périphérie est une réponse à ce besoin ainsi qu'au contexte d'enclavement. Une seule foire ne pouvant, sans introduction de moyen de transport motorisés, polariser les productions d'un espace supérieur à 50 km de rayon, la multiplication des foires s'avèrent être une réponse localisée aux besoins d'accès au marché.

La rationalité économique de la périodicité tient au fait qu’elle s’est affirmée au fil du temps comme stratégie de maximisation de la concentration de l’offre et de la demande. La foire comme tout lieu d’échange constitue un débouché pour les productions. Ainsi les déplacements des vendeurs sont justifiés par la promesse d'une vente importante de marchandises. Pour cette raison, la foire représente une opportunité commerciale incontournable pour les producteurs et les commerçants et réduit considérablement, dans les perceptions, l’incertitude liée à l’écoulement des marchandises. La tenue de rendez-vous fixes et connus de tous vise à optimiser la concentration de l’offre et de la demande.

En différents points du monde, et à différentes époques, la périodicité prend des formes très variables. Au Mali, le calendrier musulman est basé sur le cycle lunaire et a adopté la semaine de 7 jours. Le vendredi et le dimanche sont les jours privilégiés pour la prière et le repos. C'est sur ce cycle hebdomadaire que fonctionnent les foires. Globalement, les jours de fonctionnement des foires sont bien repartis dans la semaine, avec cependant une tendance plus forte les lundis, mercredi, vendredi et dimanche.

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Tableau 4 - Les jours de fonctionnement des foires en périphérie de Bamako

Jour de foire

Fréquence par modalité (en %) Lundi 14,3 Mardi 10,5 Mercredi 14,3 Jeudi 9,0 Vendredi 11,3 Samedi 8,3 Dimanche 12,0 Dimanche/Jeudi 0,8 Quotidien 15,0

Source : enquêtes personnelles

La périodicité hebdomadaire des foires de la périphérie assure une concentration maximale des acheteurs et vendeurs à date fixe. Elle stimule la concentration. En effet, le faible rythme de rencontre associe la foire à un événement exceptionnel bien que régulier (d’autant plus que la fréquence est faible). La foire peut être perçue comme un événement dans une communauté et se distingue ainsi du marché quotidien, qui, ayant lieu toute l’année, appartient au paysage usuel de l’approvisionnement journalier. L’intérêt des visiteurs se traduit par l’augmentation de la portée de l’aire commerciale : les acheteurs et vendeurs viennent de plus loin et en plus grand nombre que sur le marché quotidien. C'est l'un des principes de base de la foire et il fonctionne ainsi en périphérie de Bamako.

L'attractivité des foires se renforçant, la gamme de biens offerts se trouve être élargie. En effet, la convergence de vendeurs issus de différents milieux a tendance à augmenter la gamme de produits et permet l'introduction de biens moins courants dans le milieu d’accueil. Ainsi, la gamme des produits vendus sur la foire est plus importante que celle du marché quotidien. Du marché à la foire, on passe de la consommation de produits usuels à la possibilité d’achats plus rares, moins accessibles. L'extrait d'interview de l'introduction générale illustre ce phénomène. Par exemple les commerçants introduisent des produits d'exportation (pomme, avocat, noix de coco), les forains proposent des produits esthétiques, des bijoux, disponibles jusqu'à lors seulement en ville. Sur la foire, la possibilité d’acquérir des biens en quantité (permis par la concentration du nombre de vendeurs), de qualité et d’origines variées est un argument fondamental et entretient son attractivité.

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Dans la notion de périodicité, on retrouve en fait la théorie des lieux centraux qui définit la portée des interactions et l'extension des zones de marché suivant le niveau de centre : « le volume de clientèle nécessaire est d’autant plus important que le service offert est

rare ou d’usage peu fréquent » (Christaller, 1933). De ce fait, sur notre terrain, la foire est une

place centrale de niveau supérieure au marché.

3.2.1.3.2. La rationalité géographique de la périodicité des foires de la périphérie

Le fait que les foires ne soient que périodiques et non quotidiennes n’est pas pour autant un facteur d’allongement des distances d’approvisionnement pour les consommateurs. Le marché quotidien est souvent synonyme de proximité, mais le marché périodique, contrairement aux idées reçues, ne rallonge pas pour autant les distances d’accès. En effet, la multiplication des marchés périodiques dans l’espace compense l’absence de marchés quotidiens, de telle sorte que dans une petite région, il y a un marché fonctionnel chaque jour. Il ne situe pas au même endroit et il y a pour chaque foyer de consommateurs une possibilité d’accès à l’un de ses marchés dans un cycle de plusieurs jours, à faible distance (Skinner, 1964, p. 10-11).

La densité des marchés périodiques vise à diminuer les distances d’accès à un lieu d’approvisionnement, dans un espace où les commerces permanents ne se justifient pas. Cependant, si la densité des marchés périodiques est importante, c’est aussi parce que les moyens de transports ne sont pas suffisamment développés pour réduire les distances d’accès aux lieux d’échanges. La périodicité compense à la fois une demande insuffisante et des équipements de transports faiblement développés ou déficients (Skinner, 1964, p. 11).

La périodicité s’inscrit particulièrement dans des espaces où la demande n’est pas suffisante pour légitimer un rythme journalier. La densité de la population peut donc légitimer la présence de marchés périodiques. En ne fonctionnant qu’une fois dans un cycle de plusieurs jours, les commerçants présents sur le marché périodique sont assurés de rencontrer une demande suffisante pour légitimer leur déplacement. Ils pallient la faible demande grâce à la concentration des échanges dans le temps. De même, la périodicité peut permettre de pallier la faible production régionale et offrir périodiquement un stock suffisamment de produits aptes à contenter la demande. Dès lors, afin de pratiquer leur activité chaque jour, les commerçants

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fréquentent tour à tour les foires d’une région, et sont assurés de rencontrer sur chacune une demande importante.

L'implantation de marchés périodiques en périphérie de Bamako répond donc à deux contraintes : d'une part les densités de population en milieu rural qui ne justifient pas l'implantation d'un commerce sédentaire, d'autre part le faible développement des transports qui limite les déplacements.

La conséquence directe est de nature spatiale : les foires fonctionnent périodiquement et en différents points de l’espace, mais à une distance suffisante les unes des autres et à un jour différent pour qu’elles ne se concurrencent pas directement mais permettent un accès aisé à la population.

3.2.1.3.3. La rationalité sociale de la périodicité des foires de la périphérie

Les géographes qui ont travaillé sur les marchés périodiques dans les années 1960 ont davantage exploité deux facteurs socio-économiques pour expliquer l’attraction des marchés périodiques. Il s’agit de l’adéquation de la périodicité avec d’une part la pluriactivité, et d’autre part la répartition de la population.

Ces arguments sont pertinents en périphérie de Bamako puisque la foire, en tant que débouché périodique, permet aux acteurs engagés dans d’autres activités parallèles d’accéder au marché, un jour dans un cycle de plusieurs jours. La périodicité encourage un découpage des activités dans le temps. Les marchés périodiques sont donc particulièrement adaptés aux espaces ruraux où les communautés paysannes et les artisans ne peuvent consacrer qu’un temps limité aux activités marchandes. (Skinner, 1964, p. 10). La périodicité est également adaptée aux sociétés où les populations amenées à fréquenter les lieux d’échange sont pluriactives (Bromley et al, 1975, p. 531).

L’établissement d’un marché périodique un jour précis suppose que ce jour est dédié au commerce et que le calendrier des autres activités sera organisé en fonction. Les jours précédents la foire sont consacrés à la récolte des produits, à leur conditionnement, voire à leur transport (Bromley et al, 1975, p. 537). Les habitudes commerciales notamment leur organisation dans le temps donnent beaucoup d’informations sur l’intensité des échanges, les besoins, les habitudes culturelles et l’insertion du commerce dans le tissu social. La

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périodicité de la foire s’intègre dans les modes de vie et s’accommode des autres exigences de déplacement.

L'intégration du commerce périodique en périphérie de Bamako est une réponse aux conditions du milieu : un espace à dominante rurale où les communautés paysannes et artisans ne peuvent consacrer qu’un temps limité aux activités marchandes. C'est un modèle marchand en adéquation avec la pluriactivité. Il permet aux acteurs engagés dans d’autres activités parallèles d’accéder au marché, un jour dans un cycle de plusieurs jours et encourage un découpage des activités dans le temps.

3.2.1.4. Un appareil commercial complété par des flux d'approvisionnement sur