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Les foires : une interface entre la ville de Bamako et sa périphérie qui organise les

4.1. Typologie des acteurs de la vie de la foire

4.1.2 Les acteurs de la vente

4.1.2.1. Les commerçants collecteurs

Les commerçants collecteurs mentionnés dans la première partie sont présents sur la foire. Ils se déplacent jusqu’aux lieux de production ou sur les foires pour collecter les produits auprès de producteurs ruraux, puis fournir particuliers et détaillants en ville. Entretenant des liens avec l'activité productive, ils peuvent, le jour de foire, consacrer un temps à la collecte des produits ou la visite des producteurs sur les lieux de culture. Cependant, leur activité principale sur la foire est la quête de marchandises et la négociation. Suivant la taille de leur

61 On note cependant sur les foires ayant lieu le weekend, la présence de salariés et de fonctionnaires, ils sont de

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point de vente et leur capacité d'investissement, ces marchands fréquentent une à sept foires par semaine. Lorsqu'un seul trajet par semaine ne suffit pas, ils pratiquent le nomadisme commercial comme moyen d'acquérir suffisamment de marchandises, et sont relayés dans ce cas en ville par un membre de la famille pour la vente. Ils font des allers-retours journaliers vers les foires qu'ils ont choisies, suivant leurs jours de fonctionnement.

Ils sont originaires de Bamako et de Kati. Cependant, nous avons rencontré quelques commerçants de Kayes, Fana, Ouelessebougou, Sanankoroba sur les foires de la périphérie de Bamako. Ces origines témoignent d'une part que les marchandises issues des foires du système étudié satisfont principalement les points de vente de Kati et Bamako. D'autre part, que les commerçants possédant des points de ventes dans les villes de la périphérie constituent une clientèle des foires. Bien que leur présence ait été relevée sur le terrain, les entretiens réalisés ne permettent pas de saisir l'ampleur du phénomène. Enfin, la présence de commerçants de Kayes a été attestée sur plusieurs foires de la périphérie lors de pics de production de produits maraîchers. Elle est à associer aux échanges de surplus entre régions productrices.

La collecte des marchandises sur la foire est le résultat d'un choix d'approvisionnement ainsi que d'un pouvoir d'investissement qui permette la prise en charge des coûts de transport. Ainsi, nombre d'entre eux, ont d'abord été détaillants avant de se lancer dans la collecte (cf. encadré 2). La foire constitue un choix cohérent avec les contraintes familiales : il permet un approvisionnement en quantité, offre le choix tout en permettant de faire l'aller-retour dans la journée. Cette raison explique la surreprésentation des femmes parmi ces acteurs, dont les activités et la position sociale n'admet de passer qu'un temps restreint loin du ménage (Encadré 4).

Ces collectrices, pour qui le déplacement représente un investissement important, cumulent les moyens pour limiter les coûts : association avec plusieurs commerçants pour la location d'un transport, diversification des produits pour pallier la mévente ou aux "ruptures de stock" sur la foire. Elles peuvent également rentabiliser leur déplacement sur la foire en y amenant des produits issus du circuit urbain et les vendre, au même titre que des détaillants, aux consommateurs villageois. « Aujourd’hui, je suis venue avec du pain (5 miches) et du sel, et je

repars avec des citrons et des aubergines pour approvisionner mon point de vente. La vente du pain et du sel me permet de payer mon transport aller retour. La semaine dernière, j’ai pris deux sacs de charbon pour ma consommation et pour vendre au détail sur mon point de vente en ville. » Ces stratégies sont courantes et participent à la complexification des

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Si la gamme des marchands présents sur les foires est large, on observe cependant que les coutumiers de leur usage ont un profil particulier. Ce sont des marchands dont le pouvoir d'achat permet la prise en charge des couts de transport liés à la collecte et qui bénéficient de ce fait d'une certaine indépendance dans le choix des interlocuteurs et de la qualité des produits que le détaillant qui achète la marchandise à crédit n'a pas. Cependant, ce sont également des marchands qui limitent les risques et les frais de collecte. En préférant les achats sur les foires, ils réduisent l'incertitude liée aux déplacements infructueux, aux retours à vide faute d'interlocuteurs fiables ou possédant suffisamment de marchandises. Ils constituent leurs programmes de collecte en fonction du temps engagés plutôt que selon les productions saisonnières dont les prix sont plus avantageux.

En ce sens, ils constituent des marchands de niveau que l'on pourrait qualifier d'intermédiaire, entre le détaillant et le grand marchand qui sillonne les régions productrices à la recherche de tonnages importants de marchandises à bas prix. Pourtant, les foires sont aussi fréquentées par ces grands marchands, mais de façon intermittente et en fonction principalement des pics saisonniers de production, la périphérie de Bamako constituant également un centre régional de production de surplus.

Encadré 2 - Témoignage d'un commerçant qui ne collecte pas lui même ses marchandises

Manque de fond de commerce rime avec sédentarité

Aratoumou Coulibaly est détaillante de produits maraîchers sur le marché de Dialakorodji (quartier urbanisé situé en dehors du District et contigu à lui). Toute l’année, elle achète des légumes sur les marchés du centre de Bamako auprès de commerçantes qu'elle connait bien et qui collectent elles- mêmes leurs marchandises. Une fois les achats effectués, elle regagne sa place de vente à Dialakorodji. Aratoumou dit ne pas avoir les moyens de collecter les produits elle même. Son commerce a déjà du mal à subsister et est entièrement dépendant de la bonne volonté des commerçantes qu'elle connait et qui lui donnent les marchandises à crédit (la pratique du crédit veut que les produits soient d'abord vendus puis payés à la commerçante).Elle doit donc se contenter d’achat sur le marchés de gros de Bamako, non loin de chez elle en Sotrama (minibus).

Paradoxalement, les commerçantes auprès de qui elle fait ses achats collectent les marchandises sur les foires de Safo et Donioumana. Pourtant, en tant que résidente de Dialakorodji, ces marchés ne se situent respectivement qu’à 8 et 20 km de chez elle. Par manque de trésorerie, elle achète de petites quantités, doit répéter régulièrement son approvisionnement, et prend en charge le coût des intermédiaires, qui se déplacent sur les foires, non loin de chez elle.

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Encadré 3 : Témoignages d'acteurs commerçants collecteurs illustrant la diversité des stratégies commerciales

Awa Diarra est commerçante. Elle habite à Baguinéda. Elle achète des oignons rouges à la foire de Soundougouba et va les vendre à Abidjan. C’est son troisième voyage. Elle en achète 300 kg (75F/kg).

Les oignons sont amenés en charrette jusqu'à Baguinéda Kana. Elle les fait sécher à l’air, les conditionne en sacs et loue un véhicule (gros porteur) pour Abidjan. Elle revend ces oignons à Abidjan 200 F/kg. Elle fait ce commerce uniquement à la foire de Soundougouba. Avant, elle produisait elle-même. Elle préfère vendre à Abidjan. Elle trouve que la vente à Bamako n’est pas rentable.

Une commerçante du marché de Banankabougou (situé au sud de Bamako, c'est la première ville après le District) vient acheter du gombo à la foire de Soundougouba. Elle vient avec le Sotrama du syndicat et trouve un véhicule sur place pour apporter ses marchandises sur la place de vente. Elle vient tous les jeudis. Elle fait également la foire de Kasséla et de Sanankoroba. Elle revend elle-même les produits sur le marché. Elle est native de ce village et fait l’aller retour dans la journée.

On retrouve sur la foire un grand nombre de femmes. Habituées de l'approvisionnement de la famille notamment en condiments et à la préparation des repas, ce sont des acteurs clés des marchés en général et de la foire en particulier. Parmi les commerçants de Bamako qui approvisionnent leur point de vente en se déplaçant sur les foires des communes rurales de la périphérie de Bamako, on rencontre beaucoup de femmes. Pratiquant le nomadisme commercial pour approvisionner en continu leur point de vente, elles ont des horaires similaires à ceux des transporteurs et des forains. De ce fait, elles ont acquis une réputation de femmes d'affaires indépendantes mais aussi une réputation similaire à celles des acteurs mobiles, et aux activités péripatétiques en général (Nordin, 1992).

C. Nordin observe dans son article sur les marchands parisiens que « devenir marchand sur

les marchés découverts de la capitale remplira ainsi un rôle dans le processus d’intégration »

« parmi les postulants, une majorité de femmes seules avec enfants » (Nordin, 1992, p. 93). Au Mali, on peut faire la même observation. Ce rôle de marchand chez les femmes induit des transformations quant à leur statut social : « la marchande fait un travail d’homme ce qui lui

permet de s’imposer. Elle est consciente de son statut particulier mais ce n’est pas pour autant qu’elle « porte la culotte » en public » (Nordin, p. 95). L'article de D. Djiré ci-dessous

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est assez révélateur du questionnement que posent ces pratiques commerciales au sein de la société malienne.

Encadré 4 - Les femmes et le nomadisme commercial

Article de D. Djiré publié en décembre 2006 dans L’Essor (http://www.musow.com/article.php3?id_article=318) Foires hebdomadaires : Êtres foraine62 et échapper à la misère

Les foraines traînent une réputation non méritée dans notre pays. Ces braves femmes sont traitées de tous les noms. Elles sont traitées de femmes légères, frivoles, infidèles selon les méchantes langues. Ce manque de respect est la rançon du dynamisme de cette catégorie de femmes. Elles ont choisi de s’affranchir du besoin et de s’épanouir par le commerce et l’exploration des foires hebdomadaires des communes rurales.

Contrairement à ces jugements bêtes et méchants, les foraines sont des femmes entreprenantes. Elles sont en majorité veuves ou en situation difficile. Elles n’ont pas le temps de se doucher trois fois par jour. Elles n’ont ni le temps de se faire des manucures ou des pédicures. Elles n’ont pas le temps de critiquer gratuitement les autres.

Les foraines passent leur temps à parcourir les pistes scabreuses sous le soleil ardent, sous la pluie les rafales cinglantes de la saison froide.

Awa Samaké est foraine. Elle est veuve depuis 7 ans et vit seule avec ses 5 enfants. « À la foire, j’achète des légumes et des fruits que je viens revendre à Bamako. Je suis gênée par tout ce qu’on raconte sur les foraines. Chaque femme de ce pays a reçu une éducation. Chacun représente une culture et une famille. Il appartient à chaque femme d’utiliser cet héritage à sa manière » argumente notre interlocutrice.

Les foraines ne sont pas des prostituées. Ces pauvres femmes cherchent honnêtement leur quotidien à travers les foires. Mais ce métier exige beaucoup de sacrifices.

Il faut sortir tôt pour rentrer très tard. La société ne tolère pas ce comportement indépendant à une femme. " Notre travail mérite autant de considération que celui des autres femmes travailleuses des autres secteurs. », garantit Sirantou Diakité, une foraine très épanouie.

Ces femmes sont de véritables battantes. Pour s’en rendre compte je vous invite à emprunter une fois les transports de forains. Je vous assure qu’un tel voyage est plein d’enseignements.

Doussou Djiré (Djiré, 2006)

62 Dans l'article de D. Djiré, le terme "forain" renvoi aux acteurs qui fréquentent la foire et correspond, dans

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