• Aucun résultat trouvé

Des stratégies variées pour pallier les difficultés économiques

saisir le phénomène d'accroissement des foires

Chapitre 2. Un contexte historique et socio-spatial favorable à la croissance des échanges commerciaux entre Bamako et sa

2.5. De nos jours, en milieu rural, un contexte socio-économique incertain

2.5.4. Des stratégies variées pour pallier les difficultés économiques

Dans tous les secteurs d’activité, la population rencontre des difficultés pour se procurer un revenu. Les ¾ de la population malienne vivent en dessous du seuil de pauvreté et la majorité des activités sont exercées dans le secteur informel. De ce fait, la population active est globalement dans une situation de précarité. La précarité économique des populations maliennes se conjugue à l'instabilité de l’économie nationale. Elle repose en effet sur un secteur primaire qui connait d’importantes variations du fait des aléas climatiques. Dans ce contexte, la difficulté d’accès aux informations ne permet pas de diminuer l’impact des facteurs exogènes. Ces difficultés, particulières aux pays sahéliens (Minvielle, 1999), sont également rencontrées en périphérie de Bamako. Nous exposons ici quelques unes des difficultés rencontrées. Elles permettent d’appréhender les conditions dans lesquelles le commerce, la production et la distribution se réalisent.

Tous les secteurs d’activité sont touchés par la carence d'information et la difficile anticipation des conditions de production et de distribution. Par exemple, les activités de productions agricoles sont soumises à la variabilité climatique. De ce fait, d’une année à l’autre et d’un lieu à l’autre, les rendements connaissent d’importantes fluctuations, source d’insécurité alimentaire. L’approvisionnement de la ville de Bamako étant en partie dépendante des agricultures familiales de son bassin d’approvisionnement, c’est tout un réseau d’acteurs impliqués à différents maillons de la filière qui doit agir en fonction de l’impossibilité d’anticiper. Les stocks prêts à être écoulés vers la ville ne sont pas connus. Les

136

lieux de production, les prix et la disponibilité des véhicules de transport de marchandises ne sont pas prévisibles.

De plus, les acteurs de l’approvisionnement de Bamako sont majoritairement insérés dans le secteur informel. Leur appartenance aux circuits d’approvisionnement est variable et change au gré des reconversions et des faillites. L’incertitude pour les commerçants réside essentiellement dans la mévente et la méconnaissance des revenus qui peuvent être engendrés. Sans information il est difficile d’estimer les quantités de produits à acheter ou à écouler. L’incertitude réside également dans la méconnaissance des interlocuteurs vers qui se tourner et leur fiabilité (tant sociale que financière). Autant de choix à effectuer que le contexte économique, climatique, social ne permet pas de fixer et encore moins d’anticiper. Les acteurs doivent s’adapter aux variations internes et externes qui rendent toute la filière vulnérable aux perturbations. Dans la mesure où les pouvoirs d’achats sont limités, chaque investissement constitue un risque55.

La diversification des revenus est un moyen de pallier les incertitudes économiques et la variabilité du climat. Cependant, il est difficile pour les producteurs d’accéder à des informations suffisantes pour faire un choix économique rationnel. Pour les agriculteurs désirant vendre leur production sur les marchés urbains, il n’existe pas de support d’information sur les prix des produits, les commerçants prêts à les acheter et les lieux où les démarcher. Le plus souvent, l’information est disponible au moment même où le processus de négociation débute, ce qui est parfois trop tard car des frais ont déjà été engagés. Sur les places marchandes les informations sont disponibles, mais elles ont une validité courte et servent généralement à faire des choix dans l’instant. Les prix sont fonction des pouvoirs de force entre producteurs et commerçants. Ils fluctuent également selon les saisons, les récoltes, la concurrence des produits d’exportation et sont de ce fait marqués par une grande instabilité.

Au temps moyen de la production (quelques mois pour les produits maraîchers par exemple) s’oppose la volatilité quotidienne des prix. Ainsi quand un producteur prend la décision d’un choix de culture, il ne peut pas connaitre la rentabilité de son investissement. Ce décalage temporel qui peut être à la faveur ou défaveur des producteurs rend toute anticipation hasardeuse. Face à ces difficultés d’anticipation, « la connaissance du marché (est) fondée

sur la négociation, le marchandage » (Amougou, 1997, p. 114).

55On définira ici le risque à la manière de Levy et Lussault : « Le risque est la probabilité d’un danger menaçant ou portant atteinte à la vie, et plus globalement, au cadre d’existence d’un individu ou d’un collectif. » (LEVY,

137

Pour les individus désirant s’engager dans le commerce aucune information susceptible de les préparer au mieux à la pratique de leur activité n’est disponible. L’expérience peut pallier le manque d’informations. Elle constitue, en effet, une qualité recherchée : elle permet d’accumuler les informations et de dégager des tendances (cibler les besoins des consommateurs, les tendances saisonnières, les moments ou les bénéfices sont les plus importants). Elle permet également d’accumuler les contacts, de diversifier les stratégies. Cependant, dans le contexte Malien, le capital d’expérience ne constitue pas pour autant une garantie de succès d’une activité. Durant nos entretiens, les acteurs faisaient régulièrement le constat qu’une stratégie similaire peut avoir des résultats différents. L’accumulation d’expériences est ici finalement de peu de poids et il faut souvent agir dans un contexte instable où il faut faire preuve de réactivité.

De ce fait, les stratégies de survie sont une combinaison de stratégies de consolidation d'activités et de diversification vers d’autres activités. Dans un contexte d’instabilité économique et climatique, il convient d’avoir une bonne capacité adaptative.

Ainsi, bien que certains producteurs se soient spécialisés dans la fourniture de leur production au marché urbain, ils conservent des pratiques d’autoconsommation afin de sécuriser les apports alimentaires en cas de mévente ou de mauvaise récolte. Comme le décrit Minvielle, au Mali, les pratiques économiques ne fonctionnent pasdu tout sur les économies d’échelle : « elles peuvent donc jouer sur différents produits et différentes filières en même temps. Ainsi

si elles ne maximisent pas leurs gains marchands, elles peuvent par contre minimiser le risque et sont, potentiellement, susceptibles d’adaptations rapides aux modifications de leur environnement économique » (Minvielle, 1999).

Ces stratégies de diversification se couplent avec des stratégies qui visent à partager les coûts engagés dans la production ou la commercialisation. Nous les appellerons des stratégies de « mise en commun ». Par exemple, la location à plusieurs d'un moyen de transport permet la collecte de marchandises sur les lieux de production à un coup partagé. Pour pallier le manque de trésorerie, certains marchands coordonnent temporairement leurs activités lorsqu’ils louent un véhicule. Ils disposent ainsi de la possibilité de choisir les produits tout en n'engageant des couts de transport que pour la quantité de produits désirée. Dans un même véhicule transportant des marchandises à Bamako, il y a fréquemment le stock de 3 à 4 détaillants.

138

L’intégration de réseaux d’information de toutes sortes permet également de limiter le manque de connaissance sur les marchés. Ces réseaux peuvent être locaux (familial, ethnique, lignager), se manifester dans un contexte marchand (marché, foire, boutique) ou encore dans un cadre informel (arbre à palabre, maquis, bar). Par exemple, les nouveaux venus dans le commerce font souvent appel aux organes familiaux pour constituer un pécule de départ, prendre contact avec les fournisseurs. Ils peuvent s'appuyer sur les connaissances d'un membre de la famille et imiter ses pratiques ou encore reprendre son activité.

Il faut noter qu’au Mali, on est passé récemment de ce que les anthropologues appellent « la

double coïncidence des besoins56 » à des transactions monétaires insérées dans une économie de marché. Ces modes d’échanges antérieurs, s’ils sont désormais marginaux ou absents, ont joué un rôle dans la constitution de communautés de marché (Guesnerie, 2006, p. 13). Les liens sociaux noués précédemment par le biais du troc sont encore à l’œuvre aujourd’hui. Les modes d’échange au Mali sont complexes et résultent d’une monétarisation des échanges mais dans un contexte de subsistance de pratiques sociales anciennes.

En matière d'activité commerciale, le contexte économique et social au Mali développe un paradoxe. La libéralisation de l’économie et l'importance du secteur informel sont propices au développement du commerce sous toutes ses formes, facilitant ainsi l’accès à une activité lucrative lorsque les besoins du ménage l’exigent. La recherche d’un revenu incite à la saisie des opportunités commerciales. C’est un fondement de la circulation des biens dans l’espace régional de Bamako. Cependant, les contraintes (climatiques, difficile anticipation, manque d'information et de trésorerie) sont tellement importantes qu’elles mettent les acteurs dans une situation de grande précarité.

Le marché urbain peut paraître plus stable que le marché international, pourtant il est également soumis à des aléas : praticabilité des pistes, disponibilité des moyens de transports, évolution saisonnière des demandes, forte concurrence interne. Si bien que la décision d’investir dans la production à but marchande ou la commercialisation est remise en cause chaque année. Ceci a entraîné l’élaboration de pratiques spécifiques, adaptées à cette grande précarité, qu’il est nécessaire de prendre en compte pour comprendre les modalités de l’échange et son organisation au niveau des marchés. Dans ce contexte, la foire parce qu’elle

56 Nom donné dans le manuel sur la monnaie (Dufy, 2008 ; Diemer, 2003b) aux échanges non

139

permet l’échange à date et à lieu fixe constitue une source de stabilité rare dans les filières d’approvisionnement urbain.

Conclusion

L’analyse historique des échanges entre Bamako et sa périphérie nous a permis de montrer que l’essor du vivrier marchand et de la commercialisation du bois énergie ont bénéficié d'un contexte favorable de plusieurs points de vue : un marché de consommateurs urbain en croissance qui représente une opportunité en termes d'apport de revenus pour les paysans vivant dans la périphérie de Bamako ; une palette d'infrastructures et de pratiques héritées de la colonisation qui a initié puis favorisé l'intégration d'exploitations agricoles familiales au marché urbain ; une évolution économique libérale qui a favorisé, en dépit ou à cause de la précarité, l'engagement d’acteurs de tout statut social dans les filières commerciales.

Ce contexte historique a permis, depuis les années 1960, la mise en place d’un système d’échanges commerciaux entre Bamako et sa périphérie. Cependant, comme nous l'avons évoqué, les contraintes qui pèsent sur les filières d’approvisionnement urbain sont nombreuses.

Dans ce contexte, la mise en place d'institutions marchandes comme la foire se présente comme une réponse à ces facteurs de fragilité et d’incertitude. Il convient dès lors de s'interroger plus précisément sur les réponses qu'apporte l'institution commerciale de la foire dans ce contexte et les logiques de ses implantations spatiales.

141