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La foire, un lieu d'échange périodique qui organise les activités commerciales itinérantes

saisir le phénomène d'accroissement des foires

Chapitre 1. Etudier les foires en périphérie de Bamako – cadre théorique et méthodologique

1.1. Définir la foire

1.1.1. Un terme familier à l'emploi courant : la foire, un lieu d'échange périodique

1.1.1.2. La foire, un lieu d'échange périodique qui organise les activités commerciales itinérantes

Si la foire est toujours définie en référence au commerce, la dénomination des lieux d’échange est plurielle. Il est donc nécessaire d’entrer dans le détail. La terminologie des

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lieux d'échange évoque en effet tour à tour le lieu d’insertion territorial (marché rural, urbain, de quartier), la périodicité (marché quotidien, hebdomadaire, foire), le type de produit (foire au bétail, marché de légumes) ou encore le mode d’organisation de l’échange (souk, marché au cadran, salon, foire-exposition, foire-échantillon). De plus, la forme de l’échange, non prise en compte dans la terminologie est essentielle dans la compréhension des interactions entre les acteurs. L’échange peut se faire sous forme de dons ou de transactions monétaires issues d’une organisation économique élaborée, ou encore sous forme contractuelle.

Bien qu'à première vue, ils se ressemblent tous, il existe une gamme très variée de marchés (Chaléard, 1996, p.495). Celui sur lequel nous insisterons est le plus courant sur notre terrain, il s'agit des marchés périodiques. La foire appartient à ce type de marchés qui fonctionnent périodiquement. La périodicité est une caractéristique fonctionnelle qui ne doit pas être minimisée puisqu'elle a de nombreuses conséquences en termes de déplacements, de régularité d'approvisionnement et d'organisation des échanges dans le temps et l'espace. Cette particularité nous incite à considérer les marchés périodiques comme une catégorie spécifique de lieu d'échange, comme l'on fait avant nous les auteurs anglophones à partir des années 1960 (Bromley, 1975 ; Dirrix, 1986 ; Eighmy, 1972 ; Good, 1975 ; Symanski, Webber, 1974).

La périodicité prend des formes très variablestantôt calquées sur le calendrier hebdomadaire, tantôt annuelles ou saisonnières. Ces disparités, pourtant importantes, sont rassemblées dans la bibliographie sous le vocable de "marché", "marché périodique" ou encore de "foire". De nombreux marchés sont hebdomadaires et leur fréquence varie suivant le calendrier des pays d’accueil (deux, cinq, sept ou neuf jours). On retrouve dans la bibliographie de nombreux exemples : 1 jour sur 7 au Maroc et au Mali, 1 sur 4 au Nigeria (Eighmy, 1972), ou des cycles de 3, 5 ou 9 jours en Chine (Ullman, 1974) ou en Corée. La périodicité peut prendre des formes très complexes, comme le montre l’étude de W. Skinner sur la structure commerciale de la Chine rurale : les foires ont lieu cycliquement selon une organisation complexe calquée sur le calendrier lunaire (Skinner, 1964-1965). Certains marchés ont une périodicité plus faible, une à deux fois par an, pas plus. D'autres encore ont lieu de 1 à 2 fois par mois. Dans ces deux derniers cas, on parle non plus de "marché", mais de "foire" de type internationale ou régionale. Le terme foire peut également être associé à une périodicité hebdomadaire, ce qui complique fortement l'appréhension que l'on peut avoir de ces différents lieux d'échange. Nous y reviendrons.

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Lors des études sur les foires et marchés, c’est la périodicité qui est à l’origine des questionnements principaux, notamment la question de la pérennité de la périodicité et de sa rationalité économique. En effet, dans un monde où les flux de marchandises sont denses et complexes, la foire et les marchés périodiques ont souvent été le support de réflexions sur l’intérêt de limiter les échanges dans le temps. Pourquoi certaines sociétés, à un moment donné, se contentent-elles d’échanges périodiques ? L'histoire du commerce occidental illustre ce passage graduel de rendez-vous commerciaux d’abord périodiques au développement d'un commerce dit "moderne" caractérisé par un commerce sédentaire et régulier composé de boutiques fixes (Nordin, 1992). Le besoin de régularité des échanges marchands et la modernisation des échanges encouragent la volonté d’établir un commerce fixe et efficace. C'est pourquoi de nombreuses voix se sont élevées contre ce type de commerce, dont celle de l'économiste A.R Turgot qui est l'un de ses plus grands détracteurs (Turgot, 1852). Il voit dans la périodicité une restriction inutile : « Faut-il jeûner toute

l’année pour faire bonne chère à certains jours ? ». Il dénonce la périodicité, et le

déséquilibre qu’elle entraîne dans le déroulement du commerce dans le temps et dans l’espace. La fréquentation des foires et des marchés périodiques induit en effet pour les commerçants une mobilité qui n’est pas usuelle sur les marchés quotidiens, obligeant à répéter les déplacements pour assurer la régularité des ventes.

Dans son article, A. Allix nuance l’importance de la périodicité (Allix, 1923). Elle est considérée par lui comme une simple manifestation des besoins d’organisation des échanges, alors que les travaux de Skinner, Dirrix, Good, Bromley et Berry vont plus loin en montrant l’adéquation avec les besoins et les acquis en matière d’équipements (Skinner,1964-65 ; Dirrix et al, 1986 ; Good, 1973 ; Bromley et al, 1975 ; Berry, 1971). L’adéquation d’un mode de commerce avec les conditions du milieu est une des raisons majeures de l’intérêt des géographes pour les foires et les marchés périodiques et constitue un pan important de la bibliographie des années 60 sur le sujet. Cet aspect constitue une entrée pertinente pour expliquer le développement des foires au Mali. Il explique l'ampleur des références aux travaux des années 60 dans ce travail. Les ouvrages plus récents s’intéressent peu aux foires contemporaines et à la question de la périodicité.

La périodicité est un élément organisationnel décrit comme purement rationnel par les nombreux auteurs qui ont travaillé sur ce sujet (Bromley et al, 1975 ; Symanski et al, 1974 ; Good, 1975 ; Skinner, 1964-1965 ; Dirrix et al, 1986). Ce mode d’organisation suit une

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logique et une rationalité économique et commerciale dont la prise en compte est essentielle. Pour plus de clarté, nous détaillerons les modalités propres au commerce malien dans le chapitre 5.

Le caractère nomade du commerce, que le terme foire évoque dans le langage courant,

découle en fait directement de la périodicité. C'est un autre élément essentiel de définition de la foire et des marchés périodiques dans leur acception théorique (Allix, 1923). La mobilité est une conséquence directe de la périodicité : elle encourage les marchands à pratiquer des circuits entre marchés périodiques, en permettant de compenser l’absence de grands foyers de peuplement par la mobilité. Cette pratique a une implication spatiale. Le caractère cyclique de la périodicité influence l’occupation de l’espace. « Il en résulte que, pour exercer le

commerce sans interruption, le commerçant doit passer sans cesse d’une foire à l’autre, et en réalité la combinaison des dates et des rythmes n’a d’autre rôle que de lui permettre » (Allix,

1923, p. 9).

Dans la littérature, les foires et les marchés périodiques constituent une extension logique de l’acte marchand itinérant. Celui-ci s’applique dans un contexte plus stable et plus régulier : à date et lieu fixes et suivant un programme fixé à l’avance. Ainsi, la périodicité induit une forme d’organisation des activités itinérantes.

Partout dans le monde, on recense des pratiques commerciales qui se distinguent des formes de boutiques fixes, généralement rencontrées. Il s‘agit de pratiques de démarchage (colporteurs, représentants à domicile, commerçants ambulants). Ce sont des pratiques anciennes, qui vont au plus près des consommateurs. Elles sont parfaitement adaptées aux déficits de transports, et au faible développement des flux commerciaux. Elles permettent de combler le déficit de lieux d’échanges organisés et de s’adapter à la dispersion de la population. Mais elles sont aussi particulièrement adaptées au besoin contemporain de cibler les exigences des consommateurs. Ces pratiques commerciales sont ce que A. Allix appelle le « nomadisme commercial » ou encore « le commerce non sédentaire » à la manière de C. Nordin (Allix, 1923 ; Nordin, 1992). Elles ne sont pas spécifiques à une aire culturelle ou économique, C. Nordin en a recensé plusieurs formes dans les pays du Nord : « marchés

quotidiens ou périodiques qui s’implantent sur une place ou dans la rue, les marchés-foires ouverts 1 à 2 fois par mois et les foires ayant lieu 1 à 2 fois par an ». « Il existe également d’autres formes de commerce ambulant telles que les marchands des quatre saisons parisiens, les camions-magasins faisant des tournées en banlieue et en province et les

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vendeurs à la sauvette (paracommercialisme10) des zones piétonnes, dans les stations de métro et autour des terminus d’autobus des grandes villes » (Nordin, 1992, p. 91).

La notion de « nomadisme commercial » offre un éclairage intéressant sur la façon dont on peut associer commerce et nomadisme. Ici il ne s’agit pas d’associer commerce et mobilité, qui est convenu puisque tout échange suppose le transport de biens et de marchandises, mais va beaucoup plus loin. Selon A. Allix, la foire est « à la fois l’organe commercial et le

régulateur du nomadisme. Elle joue dans la vie nomade le rôle que joue la ville dans la vie sédentaire » (Allix, 1923). Dans un temps où le commerce était obligatoirement lié à des

déplacements longs et lointains, commercer s’apparentait à du nomadisme : pas de domicile fixe et rotation autour d’un point d’attache. Comme dans la pratique les commerçants itinérants ont de plus en plus souvent un domicile fixe, on peut les assimiler à des semi- nomades (Brunet, 1992, p. 350)11.

Le vocabulaire utilisé pour nommer les marchands de la foire évoque cette itinérance mais va aussi au-delà. La foire est à la fois un lieu de paix pour des nécessités d’échange et un lieu de rencontre de populations considérées comme étrangères. En effet, le terme « forain » est un adjectif du XIIème siècle, qui vient du saxon et signifie « étranger ». Selon le dictionnaire étymologique et historique du français, il a été influencé par la foire12 à partir du XVIIIème siècle et désigne aujourd’hui le marchand forain13 (Dubois et al, 1995). Le mot forain a la même étymologie que faubourg (de fors qui signifie hors). Cette terminologie renvoie donc à une certaine perception du marchand de foire : c’est un étranger, celui qui est hors du lieu, extérieur. C’est grâce à lui que la gamme de produits est aussi variée. Cependant sa présence ravive également la peur de l’étranger. Le terme « forain » traduit à la fois la peur de l’étranger, la fête, et l’apport de l’échange lorsqu’il a lieu avec des populations hors du lieu.

La foire et l'ensemble des marchés périodiques sont donc intimement liés à ces pratiques de nomadisme, qui sont un élément supplémentaire de leur définition. Dans la notion de « nomadisme commercial », il y a l’idée que le commerce se fait avec des personnes qui ne

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« La paracommercialité ce sont toutes les activités commerciales exercées par des particuliers ou des organismes qui n’ont pas le statut de commerçant ou qui n’en supportent pas les obligations et les charges » (Lapierre, 1980).

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Semi-nomades : « qui ont une base fixe autour desquelles s’organisent leurs pérégrinations. » (Brunet et al, 1992, p. 350)

12 Roger Brunet note qu’il s’est produit « une collision sémantique entre le dehors (fors) et la fête (feria), la foire

et le forain » (Brunet et al, 1992, p221).

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sont pas d’ici. Dans le cas des foires et marchés périodiques, les itinéraires sont organisés, les circuits sont relativement réguliers car calqués sur les jours de fonctionnement, contrairement aux circuits intermittents et variables des commerçants ambulants de village en village ou de quartier en quartier. Afin de pratiquer une activité journalière, ils doivent se déplacer au gré des cycles de marchés. Une des spécificités de ces lieux d'échange tient ainsi dans le rapport au temps et à l’espace qui est entretenu au sein de l’activité de ravitaillement14. La périodicité implique une attention particulière au moment commercial, plutôt qu’au lieu.