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APPERCU HISTORIQUE SUR LE GABON PRECOLONIAL

III- Les caractéristiques de la relation Pygmées-Bantous

1- Les rapports conflictuels

III- Les caractéristiques de la relation Pygmées-Bantous

1- Les rapports conflictuels

Présenter comment communiquait le peuple de la forêt, les interactions avec les bantous, peuples voisins est intéressant. Il y avait d’un côté les bantous qui, après de long périples migratoires, voulaient s’implanter, de l’autre, des pygmées qui s’opposaient à ces implantations, d’où les conflits en certains endroits. En réalité, les deux parties manifestaient l’une envers l’autre, dès le départ, une certaine animosité. Etant donné leur équipement technique, les bantous considéraient la culture pygmée comme inférieure à la leur. Ils négligeaient, en revanche, le fait que les pygmées soient beaucoup mieux adaptés à l’environnement de la forêt, des pluies tropicales qu’eux, alors qu’ils ne pouvaient se passer des pygmées comme guide ou

      

éclaireurs81. On trouve chez les Baka (pygmées du nord Gabon) cette idée largement répandue suivant laquelle les Fang se seraient établi sur leurs terres de force et les auraient assujettis, parce que technologiquement inferieurs. A ce propos, nous devons admettre que les pygmées, au Gabon comme ailleurs, n’auraient jamais défendu leur espace vital et qu’ils leur auraient laissé le champ libre. Vansina parle de deux endroits où ces conflits se sont produits, la plaine de Pweneng et le lieu-dit Poombi. L’auteur écrit que les Bacwa chez les Bakuba et les Batwa du Rwanda rentrèrent en conflit parce que les Bacwa refusaient volontairement de se soumettre aux Batwa, ils refusaient également les prestations qu’exigeaient les Batwa.82 Là où les liens entre les pygmées et les bantous s’étaient raffermis, ils étaient considérés dans l’organisation sociale et politique de groupe soumis. Les Bantous sédentaires ambitionnaient d’asservir les chasseurs-collecteurs pygmées en tentant d’institutionnaliser une dépendance socio-politique et économique. En effet les pygmées devaient livrer à leurs voisins bantous une part fixe du butin de viande ; ils pouvaient en mettre une partie de côté, quand on ne les surveillait pas trop, ils étaient tenus de participer à la construction des cases, aux travaux de nettoyage exigés ces derniers, à la récolte des fruits du palmier. Lors de la saison de préparation des plantations c’était les Pygmées qui devaient travail au défrichement ou au débroussage des champs à la place des femmes libres ; ils coupaient également matériaux en bois, consacrés à la construction de leurs cases. En temps de guerre, ils étaient utilisés comme éclaireurs et comme soldats.

Paule Paulin dans son étude sur les Baka du Gabon constate que aux yeux des Fang, les Baka ne représentaient rien, ils n’avaient aucune valeur et apparaissaient ainsi comme un «bien économique », car souvent dépossédés de tous leurs droits humains. Ils étaient la propriété d’une famille, d’un individu, voire d’un clan qui se posait pour leur maître. Il le dit en ces termes :

« Les Baka sont souvent très mal considérés par les Fang. Ces derniers ne se considèrent pas simplement comme les patrons de leurs Pygmées comme ils       

81 Stephan Seitz, Pygmées d’Afrique centrale, Peeters SELAF, 1993, p. 189. 82Juan Vansina, Kingdoms of the savanna, Broadway Books, 1967, p. 196-197.

disent (font en effet souvent appel à eux pour défricher leurs champs), mais bien comme les propriétaires de ceux-ci. Même si derrière cette notion, nous pouvons également y voir une idée de responsabilité vis-à-vis des Baka, il n’en demeure pas moins qu’ils considèrent les Pygmées comme leurs propriétés, au même titre que leurs biens. Quelques récits nous ont même laissé entendre qu’ils n’étaient pas des êtres humains mais plutôt des animaux. Les Fang partent du principe que des personnes non éduquées voire non « civilisées » n'ont pas grande valeur et l’ont bien fait comprendre aux Baka, qui sont persuadés d’être des créatures de rang inférieur par rapport aux Fang ; ces derniers considérés par les Baka comme inférieurs aux Blancs. C’est une hiérarchie sociale où les Blancs sont en haut de l’échelle puis viennent les Fang (ou les Grands Noirs en général, par opposition aux Pygmées comme « êtres de petite taille ») et ensuite tout en bas les Baka. La majorité des Baka, ainsi persuadés de leur infériorité, seront fiers de montrer qu’ils parlent fang et chercheront par tous les moyens à accéder à un statut social supérieur : notamment par le biais d’un mariage interethnique »83

 

Par contre, dans les autres régions comme nous l’avions décrit supra à

travers l’étude de Raponda-Walker, les pygmées tissèrent des liens familiaux avec les autres habitants, apprirent leurs idiomes, marièrent leurs filles, les connaissances et les pratiques s’échangeaient dans de nombreux domaines ; chasse, soins aux malades, pêche, agriculture, travail sur les chantiers forestiers, pratiques spirituelles de la coutume ancestrale. Ils jouissaient d'une indépendance plus grande que les pygmées du nord assujettis aux tractations des autres peuples qui tournent, semble-t-il, le plus souvent à leur défaveur. Il faut dire qu’à la base de ce problème se trouvaient probablement des incompréhensions, des intolérances et un manque d'attention envers ce peuple unique. Au regard des différences de leurs modes de vie rspectifs, les Pygmées se voyaient conférer dans l’imaginaire collectif un statut ambivalent: êtres civilisateurs mais déchus, relégués à la forêt et donc sauvages (du latin silvaticus, de Silva, forêt), dans un état intermédiaire entre le monde des humains et celui des animaux (ils seraient asociaux et immoraux, vagabonds, puisant sans discernement dans le stock des ressources naturelles). Cette même

      

83 Paule Paulin, Les Baka du Gabon dans une dynamique de transformations culturelles.

Perspectives linguistiques et anthropologiques. Thèse de Doctorat Université Lumière de Lyon2, 2010, p. 46.

ambivalence affectait la forêt tropicale, tant dans les représentations des sociétés d’agriculteurs que dans celles des colonisateurs européens : espace luxuriant, riche en ressources végétales et animales mais également dangereux, refuge de monstres et de puissances maléfiques. Pygmées et forêts étaient voués à être socialisés et soumis à l’ordre culturel. Cette finalité moralisatrice sous-tendra et justifiera systématiquement toutes les actions entreprises à l’égard des chasseurs-collecteurs nomades, aujourd’hui encore.84

Les relations matrimoniales entre ces deux peuples revêtaient un caractère beaucoup plus rigoureux, car les mariages entre femmes bantous et homme pygmées étaient interdits. Car une femme bantoue aurait eu de la peine à se faire à la vie insolite et épuisante dans la forêt, aux côtés d’un Pygmée. Un Pygmée non plus ne pouvait suivre une femme bantoue au village, vu que cela l’amènerait à devenir sédentaire et à modifier complément son mode de subsistance. Voici ce que dit Stéphan Seitz à ce sujet :

« Les femmes bantous ne supportent pas la rudesse de la vie des pygmées. A l’inverse, les femmes pygmées qui sont devenues les épouses des grands-noirs s’habituent rapidement au nouvel environnement du village et apprennent vite à apprécier les agréments de cette vie, tout aussi bien que les autres modes d’aliments »85

Cela étant, seule l’union entre un homme bantou et une femme pygmée qui pouvait s’adapter à la vie au village fut possible. Plusieurs facteurs pouvaient même rendre ce type d’union attrayant pour les bantous, notamment l’idée qu’ils se

      

84 De nos jours, il est vrai de dire que la cohabitation entre les autres peuples et les pygmées est faite d’humiliations, de frustrations et de marginalisation. Tour à tour, pygmée est devenu une injure : « espèce de pygmée ! » parfois c’est une affirmation gratuite : « quel pygmée ! » Pour exprimer une curiosité, on se laisse dire : « donc c’est un pygmée ? ». Lorsqu’un pygmée peut exceller dans quelconque domaine, on s’interroge : « même les pygmées aussi ? », lorsqu’il arrive à un pygmée de se tromper sur un sujet quelconque, les bantous disent de lui : « un pygmée reste un pygmée », pourtant lorsque ceux-là ont besoin de leurs services pour une guérison ou une quelconque ascension sociale, le pygmée devient « mon frère ».

faisaient de l’extraordinaire fécondité des femmes pygmées, leur force et le montant de la dot86.

En revanche, l’homme bantou courrait un risque de se voir ridiculiser lorsqu’il prenait une épouse pygmée. Au début des contacts, les unions entre ces deux peuples étaient difficiles, sinon rares, mais avec le temps, cela devint possible. Hauser, qui a étudié les groupes pygmées au Gabon, confirme néanmoins l’existence de relations entre les Batéké et les Babongo, entre les Banzabi et les Babongo et entre les fang, homme et femme, avec les Baka87. Il faut dire que les tribus arrivées sur place à une époque relativement récente, comme les Fang montraient une forte aversion sexuelle vis-à-vis des pygmées. Même dans ce cas, des unions interethniques eurent pourtant lieu. Chez les groupes déjà implantés depuis longtemps, de pareilles barrières auraient été abolies88.

L’intégration des femmes pygmées dans la communauté villageoise de son époux ne posait généralement pas de problèmes aussi longtemps que ce dernier était en vie. Après la mort de celui-ci, la femme se trouvait souvent confrontée à une attitude de rejet de la part de sa belle-famille si bien qu’elle finissait par retourner dans son groupe familial. Les enfants restaient au village, traités comme des bantous ; dans certaines régions, les enfants issus des mariages mixtes entre pygmée et bantous n’étaient pas considérés comme étant des bantous, ils avaient un statut. Wilhelm. Dupré nous décrit ce phénomène constaté au Gabon :

« Au Gabon, où les femmes pygmées contractaient des mariages avec

des bantous, particulièrement les grands chefs, les bâtards n’étaient pas intégrés dans l’ethnie du père, mais formaient un campement à part »89

      

86 Ibid. p. 243.

87 Ibid. p. 244.

88 Loco. cit, p. 244.

89 Wilhelm Dupré, « Die Babinga-Pygmäen ». Annali del Pontificio museo missioario ethnologico. Vol. 26: 9. 1962, p. 22-23.