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CHAPITRE II : SOCIETE, POLITIQUE ET CULTURE DES PEUPLES DU GABON PRECOLONIAL

I- L’exploitation de la nature chez les Pygmées

1- Techniques et subsistance

Les divers groupes pygmées qui sont, en réalité, autant d'ethnies différentes vivaient selon une économie fondée sur la chasse et la collecte, c'est-à-dire basée sur l'exploitation des ressources naturelles, sans transformation du milieu par l'agriculture ou l'élevage. Leur seul animal domestique était le chien.190

Les sociétés pygmées, par exemple, étaient caractérisées par l'absence de spécialisation, chaque membre de la communauté étant capable de fabriquer les objets dont il avait besoin. Toutefois, les Pygmées ne transformaient ni le métal ni l'argile, obtenant par des échanges avec les sociétés voisines les ustensiles de première nécessité (marmites, couteaux, fers de hache et de sagaie). Ils vivaient en

      

campement, dans des huttes végétales hémisphériques. Ces campements étaient d’une durée temporaire et duraient rarement plus de quelques mois191.

Il est difficile de conclure que les Pygmées étaient nomades, car leurs déplacements s'effectuaient toujours à l'intérieur d'une aire particulière de forêt, territoire restreint aux limites définissables. Dans tous les cas, une des extrémités de ce territoire était le village des agriculteurs avec lesquels les membres du camp effectuaient leurs échanges. Une grande simplicité de moyens caractérisait leur

technologie : peu d'objets mais avec une large gamme d'emploi.

L'approvisionnement était assuré grâce aux produits forestiers et c'est la quête alimentaire qui occupait la plus grande partie du temps. Leurs activités étaient très souvent collectives, mais elles n’étaient jamais dirigées par un chef. Célèbres pour leurs prouesses à la chasse à l'éléphant, les Pygmées se nourrissaient cependant surtout de mammifères plus communs, potamochères et céphalophes, ainsi que des rongeurs géants (porcs-épics, rats de Gambie) et singes arboricoles.192

Tous les groupes pygmées n'utilisaient pas exactement les mêmes techniques, mais dans tous les cas le groupe connaissait plusieurs types de capture qu'il employait tour à tour, selon les saisons, les disponibilités de gibier et selon le nombre de chasseurs présents au même moment. Les Barimba et les Babongo du sud-est chassent collectivement avec des filets et des arcs, alors que les Baka du nord chassent à l'arbalète et aux filets. D’autres groupes utilisaient la sagaie et les chiens. Les Pygmées chassaient aussi en pistant les gros mammifères et tous les groupes tuaient les rongeurs en les dénichant dans leur terrier, avec ou sans l'aide de chiens, et abattaient les singes et les gros oiseaux avec des arcs ou des arbalètes, aux minces flèches empoisonnées, en bois de palmier. Certaines de ces chasses étaient individuelles (arc ou arbalète), d'autres mobilisaient tous les hommes d'un camp (à l’aide de sagaies) ou bien plusieurs campements (par des battues aux filets), cependant deux ou trois personnes suffisaient pour capturer les porcs-épics.

      

191 Bahuchet Serge, 1991, op.cit, p. 7.

Si les pistages à la sagaie étaient toujours exclusivement effectués par les hommes, les femmes en groupe participaient à la chasse aux filets, et souvent c’est le couple qui chassait les porcs-épics. Dans d’autres groupes, les femmes pouvaient même chasser en masse, si les hommes ne le faisaient pas.

Les produits carnés étaient complétés par des produits de collecte, animaux, végétaux et insectes : tubercules d'ignames sauvages, feuilles de lianes, champignons, noix oléagineuses, chenilles, termites et larves de coléoptères dans le bois mort193. Ils récoltaient également le miel des abeilles sauvages. Les femmes et les jeunes filles assuraient principalement la collecte, mais il était fréquent que les familles conjugales aillent ensemble récolter des noix ou ramasser des chenilles. Tout comme il était usuel que les hommes, au cours de leurs chasses, recueillent tout ce qu'ils rencontraient en chemin. Mais la seule activité qui demandait autant d'attention que la chasse était la récolte du miel. Elle nécessitait de localiser des ruches à plus de 30 mètres au-dessus du sol et de grimper à l'arbre, avec une ceinture de liane, pour extraire les rayons à la hache194. C’était le domaine des hommes. Les prises de chasse collectives faisaient l'objet d'un partage entre les chasseurs ayant participé à l'encerclement et à l'abattage du gibier. Par contre, les produits de collecte, hormis le miel, ne nécessitaient pas un partage systématique mais seulement distribués en cas d'abondance.

Les aliments étaient rarement conservés. La viande pouvait être boucanée, généralement en vue d'« exportation » vers les villages ; les chenilles séchées pouvaient être gardées quelques mois, de même que certaines graines oléagineuses. Mais, ordinairement la récolte du jour était préparée et consommée dans les quarante-huit heures. La cuisson se faisait à l'eau dans des marmites, ou bien à l'étouffée dans des emballages de feuilles disposés dans la braise ou suspendu au-dessus du foyer. Les plats préparés allaient toujours par paire : d'une part, une sauce contenant la viande, les légumes (feuilles, champignons) et les condiments (graines et

      

193 Paule Paulin, 2010, op.cit, p.104.

194 Guima-Mawoung, 1981, op. cit, p. 88.

amandes, piment) et, d'autre part, un féculent (igname, manioc ou banane plantain) qui constituait l'aliment de base. Ces plats étaient partagés et largement distribués à l'intérieur du campement195.

Photo n°9 : La chasse à l'arbalète. (durrutyguedjphoto.free.fr/pygmee.htmw.jpg

Photo n°10 : La chasse à la poursuite. (durrutyguedjphoto.free.fr/pygmee.htmw.jpg

      

Photo n° 11: La Cueillette du miel. (Cavalli-Sforza, L.L. 1986. African pygmies. Academic Press. New York).

2- L’artisanat

La pratique de l’artisanat ne constituait pas une activité de choix au sein de la société Pygmée. S’agissant du métier de la forge, par exemple, les données sont insuffisantes pour monter que les pygmées l’ont exercé. Dans certaines régions, les données proviennent toutes des traditions des autochtones et ne peuvent pas constituer d’indices pour prouver l’existence du travail de la forge chez ces pygmées. Peut-être trouve-t-on ici le souvenir d’une population de pygmées plus ancienne, dont l’existence se trouve mêlée à l’interprétation des scories du fer, comme témoignage d’une extraction ancienne de ce minerai, qui serait le fait d’autres populations. Nous pouvons également recourir à une interprétation mythologique en arguant le lien existant entre le feu et l’art de forger. Les africains transposent dans le passé l’origine de l’un et l’autre et considèrent qu’une population qui a vécu jadis aurait été le véritable inventeur du feu ou du travail du fer. Baumann signale une

série de données dans lesquelles les gens de petite taille figurent comme transmetteur de ces biens culturels, tels que la pratique de la guérison à travers les plantes, la circoncision traditionnelle, la cérémonie des jumeaux196.

Le travail de la poterie y est aussi mentionné chez les pygmées. Selon un Pygmée (Lequel ?) interrogé au Cap-Estérias, ils maitrisaient leur poterie, si bien qu’ils n’avaient eu aucune nécessité d’apprendre une technique étrangère. Il ajoutait que le travail de l’artisanat fit partie des causes de la sédentarisation à leur sein. Selon lui, les villages des potiers se trouvaient un peu à l’écart, de préférence sur les collines, afin de permettre au soleil de mieux sécher les fabrications. Leurs huttes étaient le plus souvent construites en terre (huttes en terres battue). Cette théorie est confirmée par Meyer lorsqu’il parle de « Villages entiers de potiers » chez les Pygmées au Rwanda et en Urundi197. Le métier de potier n’imposait pas au pygmée un travail régulier qui les rendait dépendants. Ils ne planifiaient qu’à court terme et ne produisaient qu’autant qu’ils avaient besoin pour s’assurer la vie de tous les jours. Ils ne connaissaient pas l’accumulation de valeurs, ils ne pratiquaient donc pas une véritable économie de stockage, ce qu’ils recevaient était immédiatement consommé. Ce métier n’excluait non plus la pêche, la chasse et la cueillette, comme activités principales. La vannerie fut également un métier mixte dans la société pygmée. Elle concernait la fabrication des paniers et des hôtes pour le transport des produits de chasse ou de cueillette, les objets pour le fumoir et la conservation des produits et aliments, des nasses et des corbeilles pour la pêche.

Aussi, les pygmées pratiquaient la danse, même au contact des peuples bantous. Cette activité était adaptée à leur mode de vie. Ils aimaient la danse en groupe, mais il arrivait que certains préfèrent la danse individuelle, liée à une mimique expressive, qu’ils utilisaient lorsqu’ils allaient chasser198 (comme par

      

196 Hermann Baumann., Schopfung und Urzeit des Menschen im Mytus der afrikanischen Volker, (Création et préhistoire de l’homme dans la mythologie der peoples africains), Berlin, 1936, p. 354.

197 Stephan Seitz, 1993, op.cit, p. 236.

exemple leurs illustrations de scènes de chasse ou leurs imitations d’animaux). Chaque groupe de pygmées avait ses chants.