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Mode de vie traditionnel des Pygmées 1- L’habitat

CHAPITRE II : SOCIETE, POLITIQUE ET CULTURE DES PEUPLES DU GABON PRECOLONIAL

I- Mode de vie traditionnel des Pygmées 1- L’habitat

L’habitat pygmée respectait deux formes de constructions à savoir la forme acquisitionnelle, d’origine bantoue (forme rectangulaire) et la forme circulaire ou semi-ovoïdale, propre à leur architecture (hutte).

Considéré comme précaire, le village pygmée était représenté sous forme de campement de quelques huttes éphémères de vingt (20) à trente (30) individus. Les habitations sont faites des feuilles de phrynium tressées, posées les unes sur les autres de bas en haut comme sur un toit en tuile sans fenêtres ou des huttes en terre battue, dont l’entrée est ajustée à la taille ordinaire d’un Pygmée. Ils se déplaçaient dans le sous-bois et toujours près des ruisseaux en fonction notamment de la raréfaction des ressources sauvages. Chaque campement comprenait des logis pour les ménages et d'autres destinés aux célibataires. Jeunes garçons et jeunes filles vivaient séparés. L’habitat rectangulaire (mubasi, ebatolo ou etsieko) était construit par les hommes et contenait plusieurs pièces. L’habitat circulaire (etundi, etudi, mitsaba ou motsaba) par contre, était une réalisation des femmes. Ces huttes tenaient leur rigidité d'un treillis de branchettes ancré en terre et arqué de force en forme de tonnelle. Cet assemblage élastique pouvait supporter le poids de la femme qui posait des feuilles de marantacées comme des tuiles, agrafées par leurs pétioles incisés. Des lames d'écorce servaient de matelas. Dans les huttes, il y avait toujours un petit feu

autour duquel les membres de la famille se couchaient afin de se protéger du froid. Ce feu permettait également d'éloigner les animaux, en particulier les insectes et de préserver les vivres et les objets usuels du pourrissement96. Le nomadisme que faisait montre le peuple pygmée s’organisait autour d’un processus de rassemblement et de dispersion des campements axé sur les grandes chasses collectives de portée économique et sociale.

Photo n°3 : Un village de pygmées. (durrutyguedjphoto.free.fr/pygmee.htmw.jpg).

Photo n° :Le petit feu. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier Pygmy_house_outsideview.jpg)

      

2- L’organisation sociale

Dans tous les groupes pygmées du Gabon, l'unité socio-économique était le campement. C'est à ce niveau que les activités collectives s'opéraient ; c'est aussi à ce niveau qu'avaient lieu partages et distributions. Le campement était généralement constitué d'une dizaine de huttes formant un groupe assez restreint (de 30 à 70 personnes). Ce groupe comptait un certain nombre d'hommes étroitement apparentés (des frères ou des cousins) mais aussi des parents de leurs épouses, ainsi que des sœurs avec leur mari97.

Chaque groupe entretenait avec les autres des relations nombreuses. Les groupes voisins se réunissaient périodiquement, ce qui était l'occasion de grandes chasses collectives, mais aussi de nombreuses cérémonies et de danses rituelles. Les familles conjugales rendaient souvent visite à leurs parents vivant dans d'autres camps, pour des durées allant de quelques jours à plusieurs mois. A ces occasions, les visiteurs devaient participer à la vie quotidienne comme ils le faisaient d'ordinaire dans leur campement d'origine. Cette pratique très générale rendait la composition des campements toujours changeante, car il y avait à tout moment une famille qui voyageait, une autre qui venait en visite. Le choix des conjoints dans des camps éloignés, ainsi que la pratique du « service de mariage » (séjour de longue durée du marié dans la communauté de son épouse) favorisaient les visites98. La mobilité des campements résultait d'une subtile combinaison de causes : appauvrissement des ressources alimentaires, mais aussi importance numérique du groupe, nécessité de visites, proximité de groupes voisins, et encore troubles sociaux ou décès. Au fil des mois, les communautés se regroupaient ou se scindaient alternativement, en un perpétuel mouvement de fusion et de fission.

      

97 Ibid. p. 101.

98 Guima-Mawoung, L’intégration des Pygmées dans la société Camerounaise : le cas du secteur de Bipindi dans le département de l’Océan. Université de Yaoundé, Mémoire de Maîtrise de sociologie, 1981, p. 78.

La chasse pesait d'un poids déterminant dans l'organisation sociale. En premier lieu parce qu'elle constituait l'activité qui mobilisait les forces des membres de la communauté, en second lieu car c'est autour d'elle que se cristallisaient les étapes du cycle de développement des individus ainsi qu'une partie des activités religieuses. En effet, on observe une étroite interdépendance des capacités de chasseur des jeunes gens, de leur aptitude au mariage et de leur participation aux grandes chasses aux mammifères prestigieux (éléphant). Plusieurs rituels encadraient les activités de chasse, propitiatoire aussi bien qu'expiatoires. La seconde activité d'importance était la récolte du miel, pourvu d'une haute valeur symbolique car considéré comme liqueur de vie. La récolte du premier miel de la saison était précédée de rituels collectifs (seul cas pour une activité relevant de la collecte) cependant que la saison du miel était, chez les Baka, marquée par une dispersion temporaire des groupes99.

Les cérémonies les plus importantes étaient celles qui suivaient les levées de deuil et l'implantation d'un nouveau campement : c’étaient là les deux plus grandes manifestations très sacrées, réunissant un grand concours de population aux cours desquelles l'Esprit intervenait lui-même (soit par un masque de raphia, soit par des sons de trompes). Ces rituels étaient donc d'une grande importance dans l'organisation socio-économique car ils marquaient la réaffirmation de la communauté autour de son dieu après une crise grave100.

La société pygmée n’était pas hiérarchisée avec un chef à sa tête. Elle ne comportait ni système politique centralisé, ni organisation du pouvoir. Seuls existaient des pôles de prééminence (aîné, maître de la grande chasse, devin-guérisseur) dont l’attribution reposait plus sur les qualités individuelles que sur un système de dévolution héréditaire contraignant. L’autorité qu’ils conféraient était limitée à leur seul champ de compétence respectif. Nul ne pouvait transformer ses savoirs en privilèges ou monopoles, nul n’était à l’abri de la récusation de ses

      

99 Demesse, changement techno-économiques et sociaux chez les Pygmées Babinga (nord-Congo et sud-Centrafrique), 1978, Paris, SELAF, p. 67.

proches. Le contrôle social s’exerçait en permanence sur les limites et la reproduction des pouvoirs, reposant sur une double structure apparente et latente. L’aspect apparent était le domaine des Anciens, donc des aînés, des grands chasseurs, devin-guérisseurs). L’aspect latent quant à lui était largement le domaine des femmes qui jouaient un rôle important sur le groupe, bien que le pouvoir fût virilocal, c’est-à-dire exclusivement géré par les hommes. Qu’à cela ne tienne, la protection du groupe revenait à l’ainé, C'est l'aîné (père, oncle ou frère le plus âgé) qui bénéficiait de l'autorité morale du campement, il était a priori le plus écouté101. Bahuchet qui a étudié les Baka du Gabon et du Cameroun le dit en ces mots :

« Les activités sont très souvent collectives mais elles ne sont jamais dirigées par un chef ». Ainsi, aucune personne n’a de pouvoir supérieur particulier par rapport aux autres membres et de la famille et du clan, voire de l’ethnie, d’une manière plus générale. L’ancien est écouté au même titre que les autres et la décision ultime sera prise par l’intéressé en toutes connaissances de cause et n’engagera que lui. Ce qui aura des conséquences sur la manière de concevoir le pouvoir, d’envisager la société. Cela implique la prédominance des notions d’autonomie et de responsabilité qui sous-tend cette société acéphale. L’absence d’organisation est aussi un trait de culture correspondant exactement à la fonction de responsabilité qui est le moteur des groupes sociaux pygmées : chaque individu est responsable et solidaire de tous les autres, matériellement et moralement. […] le libre choix de chacun est respecté par les autres, même pour les enfants102… »

L’auteur conclut son analyse en disant que cette organisation du pouvoir est

observée dans la société Pygmée de façon général, car les Baka n’étant qu’une sous-section de ce groupe.

3- La structure matrimoniale

      

101 Paule Paulin, 2010, op. cit, p. 111.

102Serge Bahuchet, Les pygmées Aka et Baka (contribution de l'ethnolinguistique) à l'histoire des populations forestières d'Afrique Centrale. Thèse de doctorat, Département des Sciences du Langage, Université René Descartes (Paris V), Paris, 1989, 3 vols, p. 231.

Dans la société Pygmée, le célibat était impensable ; bien qu’il puisse arriver à un homme de décider de quitter sa femme pour en prendre une autre. La vie était fondée sur l’association d’un homme et d’une femme dont la collaboration permettait de trouver les moyens de sa subsistance dans la forêt, par la chasse pour l’homme et la collecte des fruits, des insectes et des légumes pour la femme, base de l’alimentation dans cette communauté. Dans cette société de chasseurs-cueilleurs, que le Pygmée fut du nord, du sud, de l’est ou du centre, une règle d’endogamie stricte interdisait tout contact sexuel. A ce sujet, toutes les sources sont unanimes car l’union entre deux pygmées était totalement exclue. Cependant, si cette règle était enfreint, l’intéressé était immédiatement expulsé de la communauté et devait chercher refuge ailleurs. Les enfants issus de ces relations étaient également rejetés de la société. Le mariage reposait alors sur l’exogamie, ainsi le choix du conjoint ou de la conjointe n’était pas influencé par la famille.

D’une manière générale, la femme allait vivre dans la maison de son époux ou chez les parents de celui-ci, il s’agissait donc respectivement de virilocalité et de patrilocalité. Or, il existe un système de résidence transitoire où uxorilocalité103. En effet, le jeune époux habitait quelque temps dans le village de sa jeune épouse afin de prêter main forte à ses beaux-parents. Cette force de production apportée était en quelque sorte comptabilisée dans la dot. Le gendre pouvait ainsi se construire une maison en terre ou vivre simplement dans une hutte au sein du village. Quelque soit son choix, l’habitation était indépendante du foyer de ses beaux-parents, car le gendre ne devait pas pénétrer dans la cuisine de sa belle-mère. Cet interdit formel était respecté par le gendre et ses germains, sauf en cas de problèmes (stratégie permettant de désamorcer les conflits et de calmer rapidement les tensions naissantes au sein du groupe)104. Les jeunes époux pouvaient ainsi résider quelques années en uxorilocalité, souvent jusqu’à la naissance du premier enfant. Toutefois, les règles de localité n’étant pas très strictes pouvaient être largement détournées au profit de préférences personnelles sans grande difficulté.

      

103 Michael Roy, « L‘histoire des Pygmées selon eux », Le Courrier, 8 et 9 août 1998.

Pour étudier les concepts de polygamie et de divorce, nous avons appris au cours des entretiens que la polygynie était une pratique véhiculée par les Bantous, qui a fini par gagner du terrain chez les pygmées, où elle devenait de plus en plus fréquente. Or, ce peuple était traditionnellement monogame d’après les idées reçues dans la région de Makokou et du Haut-Ogooué, ainsi que les paroles des anciens présentées dans le film d’Agland « Baka, le Peuple de la Forêt » sur les Baka du Cameroun105. Il semble que ce trait culturel soit partagé par d’autres communautés de chasseurs-cueilleurs. Dans le monde pygmée nomade, la polygamie, quoique acceptée dans son principe, restait une rare exception.

Le divorce quant à lui est un phénomène relativement récent au Gabon, et reste rare, encore de nos jours, en milieu rural ; les hommes (ou sa famille en cas de décès) se doivent de subvenir aux besoins de leur(s) épouse(s) et de leurs progénitures jusqu’à la fin de leur vie.

4- L’organisation Culturelle : Rites et Croyances

L'organisation religieuse des groupes pygmées présentait des similitudes : Dieu créa le monde, c'est-à-dire la forêt, il est le maître des ressources qu'il procure aux hommes. Les rituels étaient liés à l'incertitude économique ; ils concernaient principalement la chasse mais jamais la collecte (ni végétaux, ni insectes)106. Les rites Pygmées étaient d’ordre initiatique et social. Leur pratique était irrégulière et demeurait liée à l’alternance village-forêt. Chez les Baka, comme chez ailleurs, le rite en vigueur restait l’invocation de « Komba » (Dieu). En milieu Babongo les rites «Edzungui » (perpétuation de la mémoire sociale), «Mademba», «Ebembé», « Ndjembé » et «Isembu » (sociétés d’intégration féminine), « mwiri » et « bwété » (pour les hommes) étaient les pratiques les plus en vue. Tous ces rites participent à la socialisation des populations pygmées107.

      

105 Phil Agland, Baka, peuple de la forêt, canal + vidéo EDV29.

106Serge Bahuchet, 1991, op.cit, p. 11.

Le domaine de la croyance reposait sur les pouvoirs des Esprits qui occupaient une place considérable au sein de cette société. Les divinités pygmées s’inscrivaient dans la même mouvance que les élites symboliques, et à travers les rites, gouvernaient leur vie. Même de nos jours, on prête aux Pygmées une puissance magique à la hauteur de leur familiarité avec les forces occultes de la forêt dense. Les Esprits les plus connus étaient le « Mifouna » et le « Djengui ».108 L’informateur nous confirme que ces termes seraient communs à toutes les langues parlées par ces peuples de la forêt.

II- La structuration sociale des peuples Bantous