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Le rapport des enseignants au prescrit : raisonnements et tactiques

Zanten 2001) ; pris dans des interactions partiellement imprévisibles (Altet, 1994 ; 1996 ; Tardif, 1992 ; Tardif et Lessard, 1999) ; qui agit par stratégie, mais aussi par habitude (Bourdieu, 1972 ; Perrenoud, 1994) ; salarié d’une organisation bureaucratique (Tardif et Lessard, 1999) ; dont l’activité est difficile à prescrire (Durand, 1993, 1996) et regroupant des styles (Altet, 1993) ; dont l’activité est en principe contrôlée (Barrère, 2002) ; dont le travail est l’objet d’attentes qui s’ajoutent aux prescriptions (Dubet, 1991).

Le rapport au prescrit se forme, se construit dans un métier (pp.16-17) qui est :

une exécution du travail autonome dans la classe, dans une division du travail cellulaire (Tardif et Lessard, 1999 ; Maroy, 2005) ; des contextes d’action peu structurés, des situations inhabituelles (De Terssac, 1996 ; Perrenoud, 1996 ) qui n’ont pas de réponses prévues ou anticipées à l’avance ; des situations peu réglées par le travailleur ou par la profession (Astolfi, 2003 ; Perrenoud, 1996) ; des situations soumises au sens pratique, à l’habitus (Bourdieu, 1980 ; Perrenoud, 1994) ; l’urgence et l’action dans le vif (Bourdieu, 1980) ; des décisions dans l’incertitude (Perrenoud, 1996 ; Chatel, 2002) ; le bricolage et l’improvisation (Lévi-Strauss, 1962 ; Perrenoud, 1994) ; de multiples interactions en simultané dans le même espace (Huberman, 1980, 1983), une expérience privée (Dubet, 1991 ; 1994) ; une action située (Astolfi, 2003).

Rappelons ces caractéristiques et les incidences probables du rapport au prescrit :

Caractéristiques

spécifiques Incidences probables du rapport au prescrit Une exécution du travail

autonome dans la classe, dans une division du travail cellulaire.

L’enseignant travaille seul dans la classe et sa pratique lui est opaque ce qui lui permet en partie de faire abstraction du prescrit.

Dans son organisation du travail, l’enseignant risque de s’écarter du prescrit pour prendre en compte la réalité de ses élèves. C’est au fil des jours, au fil du suivi du programme, de la vie de la classe que l’enseignant doit prendre en compte la diversité des rythmes des élèves et des parcours de ses élèves, les diverses personnalités, les problèmes de comportement, de dynamique de groupe, etc. Ce qui signifie qu’une partie des gestes professionnels ne peuvent se référer à un prescrit explicite, ni même à des principes généraux.

Des situations peu

réglées par la profession Les situations qui sont peu réglées par la profession sont les situations les plus difficiles à anticiper, comme par exemple le cas d’un élève en difficulté scolaire. Dans ce genre de

situation, une analyse de la situation de la part de l’enseignant ou de l’équipe enseignante pour la classe ou pour la situation mais aussi pour lui-même là où il en est dans ses savoirs, ses compétences, son parcours professionnel, son énergie. Et cela peut le conduire parfois à dévier le prescrit si celui-ci vient lui compliquer inutilement la tâche ou pire l’empêcher de faire ce qu’il lui semble juste à un moment donné.

L’urgence et l’action

dans le vif. L’enseignant n’a pas souvent le temps de réfléchir car l’urgence l’emporte et il est possible que le prescrit devienne secondaire.

Des décisions dans

l’incertitude. Dans tout ce que l’enseignant fait, il ne fait pas « un contrat de félicité » mais il avance sur ses propres diagnostics, perceptions de la situation, de ce qu’il faudrait faire ou non. Il prend un certain nombre de risques et peut se détacher du prescrit.

Le bricolage et

l’improvisation. L’enseignant ne peut pas tout prévoir, tout anticiper même lorsqu’il connaît très bien les élèves, leur parcours, le programme scolaire.

On pourrait dire que l’expérience favoriserait « le bricolage et l’improvisation » car l’enseignant pourra tirer à profit de tous les savoirs accumulés le long des années d’enseignement.

Dans ce sens, l’enseignant pourrait plus facilement s’écarter du prescrit car il sait comment

« retomber sur ses pattes ou rattraper une situation qui dérape ou jongler avec ce qu’il sait faire ».

De multiples interactions en simultané dans le même espace.

L’enseignant a sur le feu plusieurs priorités à gérer. Les décisions qu’il prend peuvent entrer en conflit avec le prescrit s’il prend en compte la part des élèves comme acteurs.

Une expérience privée. L’enseignant a une vie d’expériences multiples dans l’enseignement qui l’ont forgé tel qu’il est dans ses attitudes, postures et croyances pédagogiques. Selon les expériences bonnes ou mauvaises qu’il a vécues dans tous les registres de l’activité, il adhérera plus ou moins au prescrit, s’en écartera ou non. « L’enseignant enseigne ce qu’il est. »

Une action située. L’enseignant vit toujours une situation qui ressemble à la fois à d’autres situations qu’il a vécues mais qui est à la fois singulière, dynamique, avec ses particularités propres. Son rapport au prescrit est malléable, évolutif, peut changer d’un situation à une autre. C’est dans ce sens, qu’il serait difficile ou quasiment impossible d’évoquer un rapport au prescrit stable, unique et univoque.

Le rapport de l’enseignant au prescrit implique des raisonnements et des tactiques propres au métier dont on vient de rappeler les caractéristiques. En tenant compte des spécificités rappelées, quelques hypothèses fortes peuvent être avancées quant au rapport au prescrit.

1. Loyauté limitée : l’enseignant est un salarié mais s’agissant d’éduquer et d’instruire, il a du mal à respecter un prescrit qui ne le convainc pas, ne rejoint pas ses propres valeurs, son propre projet, ses propres convictions.

2. Impossibilité de prescrire le détail : les situations de travail les plus difficiles sont trop complexes pour qu’édicter une prescription détaillée soit possible, qu’il s’agisse de la dynamique de la classe, des rapports aux parents, des élèves en grande difficulté, des rapports avec les collègues.

3. Mission impossible : le temps limité dont dispose l’enseignant rend impossible le respect de toutes les prescriptions, il faut donc faire des deuils ou trouver des raccourcis que le prescrit ne saurait légitimer, sauf à reconnaître ouvertement que la mission est impossible à accomplir, sauf dans ces conditions privilégiées.

4. Besoin de changement : pour survivre aux dimensions répétitives du métier sans trop s’ennuyer, un enseignant a besoin de réinventer son métier, de changer, d’être créatif, d’essayer autre chose, ce qui peut l’éloigner de tout prescrit fermé.

5. Attentes et règles d’en-bas : même s’il travaille en solitaire et a fortiori s’il travaille en équipe, l’enseignant est soumis à des attentes de ses collègues, auxquelles s’ajoutent celles de ses élèves et de leurs parents, voire d’autres acteurs, qui peuvent entre en conflit ouvert ou feutré avec le prescrit institutionnel.

6. Pas vu, pas pris : la classe est un espace fermé, il est donc difficile de contrôler les gestes professionnels de l’enseignant dans leur détail. Ce dernier évalue les risques et se tient au prescrit dans les domaines ou une transgression peut être facilement repérée et établie, se sentant plus libre dans les domaines qui échappent à l’observation.

7. Les débutants sous le contrôle : l’entrée dans le métier est sous haute surveillance institutionnelle. L’institution adresse des prescriptions spécifiques aux débutants et exerce un contrôle et une vérification plus suivis de l’application du prescrit. Les débutants seront plus respectueux du prescrit mais une fois nommés dans le métier, ils se fondent dans la masse.

Je reviendrai sur ces hypothèses à la lumière des données.

Chapitre 6.