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Autonomie professionnelle et rapport au travail prescrit: Les enseignants primaires genevois, étude de cas

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Academic year: 2022

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Thesis

Reference

Autonomie professionnelle et rapport au travail prescrit: Les enseignants primaires genevois, étude de cas

CAPITANESCU BENETTI, Andreea

Abstract

La recherche se centre sur deux volets complémentaires : 1. La prescription et les prescripteurs : au seuil de l'usage. Le discours prescriptif émanant de l'autorité scolaire est passible d'une analyse de contenu, sachant qu'il s'agit d'un tissu composite, fait de textes de divers âges et statuts, dont la rédaction est en partie confiée, par délégation du pouvoir de prescrire, à des cadres locaux (inspecteurs, chefs d'établissements) ou à des formateurs. 2.

L'acteur et les règles : les raisonnements et les tactiques des enseignants face à cette double réalité. Que font les enseignants du travail prescrit et de ses limites ? Se satisfont-ils de l'autonomie formelle que l'institution leur laisse ? Cherchent-ils à l'élargir, en jouant avec les règles, voire en les transgressant ? Ou en négociant des dérogations ? Disposent-ils réellement de cette marge de manœuvre ou est-elle « phagocytée » par les multiples attentes des collègues, des parents, des élèves qui, non contents de renforcer les prescriptions, y ajoutent des normes de leur cru?

CAPITANESCU BENETTI, Andreea. Autonomie professionnelle et rapport au travail prescrit: Les enseignants primaires genevois, étude de cas. Thèse de doctorat : Univ.

Genève, 2010, no. FPSE 451

URN : urn:nbn:ch:unige-66985

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:6698

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:6698

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Section des Sciences de l’Education Sous la direction de Philippe Perrenoud et la co-direction de Monica Gather Thurler

Autonomie professionnelle et rapport au travail prescrit

Les enseignants primaires genevois : étude de cas

THESE

Présentée à la

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève

pour obtenir le grade de Docteur en Sciences de l’Education

par

Andreea CAPITANESCU BENETTI

de Genève

Thèse n°451 GENEVE

Mars 2010

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Commission de thèse Marguerite Altet, Université de Nantes Monica Gather Thurler, Université de Genève (co-directrice) Guy Jobert, Université de Genève et CNAM, Paris Olivier Maulini, Université de Genève Philippe Perrenoud, Université de Genève (directeur)

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Table des matières

Table des matières 3

Introduction générale 7

PREMIERE PARTIE 13

PRESCRIT ET RAPPORT AU PRESCRIT : CONCEPTS DE BASE ET APPORTS DE LA

RECHERCHE 13

Chapitre 1. Le travail enseignant vu par les sciences de l’éducation 17

Autonomie et prescription : entre marge de manœuvre et discrétion 18

Un travailleur qui s’adapte à des contextes variables 19

Un travailleur pris dans des interactions partiellement imprévisibles 19

Un travailleur qui agit par stratégie, mais aussi par habitude 21

Un travailleur salarié dans une organisation bureaucratique 21

Un travailleur dont l’activité est difficile à prescrire 22

Un travailleur dont l’activité est en principe contrôlée 23

Un travailleur dont le travail est l’objet d’attentes qui s’ajoutent aux prescriptions 24

Un travailleur dont les débuts dans le métier sont difficiles 25

Synthèse provisoire : prescription et autonomie dans le travail des enseignants 26 Limites de l’analyse du « travail enseignant » en sciences de l’éducation 27 Chapitre 2. Apports des théories de l’action et de la sociologie des organisations 29

La règle et la déviance 29

Les apports de la sociologie des organisations 37

Chapitre 3. Apports des sciences du travail 39

Travail prescrit, travail réel 39

Prescriptions fermées, prescriptions ouvertes 41

Le genre et le style 43

Production et producteurs du prescrit institutionnel 45

DEUXIEME PARTIE 49

UNE ETUDE DE CAS : PRESCRIT ET RAPPORT AU PRESCRIT A L’ECOLE

PRIMAIRE 49

Chapitre 4. L’enseignement primaire public à Genève 51

Le département de l’instruction publique 52

La direction et les cadres de l’enseignement primaire 53

Partenaires de l’autorité scolaire et instances de consultation 57

Les réformes en cours dans l’école primaire genevoise 59

La réévaluation de la fonction enseignante 62

La formation initiale des enseignants primaires 63

La formation continue des enseignants primaires 65

Chapitre 5. Problématiques de recherche 69

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Section A. Première problématique : le tissu prescriptif 69

1. Formes et modalités de prescription 73

2. Les fonctions du prescrit 76

3. Les domaines de prescription 79

4. Les auteurs formels et réels des prescriptions 82

5. La délégation du pouvoir de prescrire 86

Section B. Deuxième problématique Le rapport des enseignants au prescrit : raisonnements et tactiques 87

Chapitre 6. Choix méthodologiques 91

Une étude de cas 91

Une recherche qualitative 91

Un accès simultané au prescrit et au rapport au prescrit 93

L’accès au prescrit 93

L’accès aux rapports au travail prescrit, aux stratégies des acteurs et aux règles d’en bas 96

Traitement et analyse des données 102

TROISIEME PARTIE 105

LES DOMAINES DE PRESCRIPTION ET LE RAPPORT AU PRESCRIT 105

Chapitre 7. Les objectifs et le programme 107

Les enjeux de la prescription pour l’autorité scolaire 110

Les enjeux de la prescription pour les enseignants 111

Analyse du tissu prescriptif 113

Caractéristiques de la prescription dans ce domaine 116

Analyse du rapport au prescrit 116

Chapitre 8. L’emploi du temps et la grille-horaire 125

Les enjeux du prescrit pour l’autorité scolaire 126

Les enjeux du prescrit pour les enseignants 126

Analyse du tissu prescriptif 127

Caractéristiques du prescrit dans ce domaine 128

Analyse du rapport au prescrit 128

Chapitre 9. Les devoirs 137

Les enjeux de la prescription pour l’autorité scolaire 138

Les enjeux de la prescription pour les enseignants 138

Analyse du tissu prescriptif 139

Caractéristiques de la prescription dans ce domaine 141

Analyse du rapport au prescrit 141

Chapitre 10. Les procédures et échelles d’évaluation 147

Les enjeux de la prescription pour l’autorité scolaire 147

Les enjeux du prescrit pour les enseignants 148

Analyse du tissu prescriptif 150

Caractéristiques de la prescription dans ce domaine 153

Analyse du rapport au prescrit 153

Chapitre 11. Les sanctions 163

Les enjeux de la prescription pour l’autorité scolaire 163

Les enjeux de la prescription pour les enseignants 164

Analyse du tissu prescriptif 164

Caractéristiques de la prescription dans ce domaine 165

Analyse du rapport au prescrit 165

Chapitre 12. La sécurité, la santé et les relations adéquates avec les élèves 169 Les enjeux de la prescription pour l’autorité scolaire et les enseignants 169

Analyse du tissu prescriptif 170

Caractéristiques de la prescription dans ce domaine 172

Analyse du rapport au prescrit 172

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Chapitre 13. La coopération professionnelle et le suivi collégial des élèves 177

Introduction et hypothèses sur les enjeux 177

Les enjeux de la prescription pour l’autorité scolaire 177

Les enjeux de la prescription pour les enseignants 178

Analyse du tissu prescriptif 178

Caractéristiques de la prescription dans ce domaine 181

Analyse du rapport au prescrit 181

Chapitre 14. Les relations famille-école 185

Les enjeux de la prescription pour l’autorité scolaire 185

Les enjeux de la prescription pour les enseignants 186

Analyse du tissu prescriptif 187

Caractéristiques de la prescription dans ce domaine 188

Analyse du rapport au prescrit 188

Chapitre 15. Les méthodes et moyens d’enseignement 191

Les enjeux du prescrit pour l’autorité scolaire 192

Les enjeux des recommandations pour les enseignants 193

Analyse du prescrit 194

Caractéristiques du prescrit 197

Analyse du rapport au prescrit 197

QUATRIEME PARTIE 205

ANALYSE TRANSVERSALE 205

Chapitre 16. L’enseignant et le rapport au prescrit : questions transversales 207

En conclusion : que faut-il retenir du prescrit ? 216

Chapitre 17. Le rôle des inspecteurs 217

Chapitre 18. Perspectives 229

Prescription et formation 229

Prescription et contrôle 231

Prescription et innovation 232

Conclusion 235

Postface. Lettre aux acteurs 241

Bibliographie 245

Annexe 1 : Les règlements de l’enseignement primaire 260

Annexe 2 : Programmes et objectifs de l’enseignement primaire 260

Annexe 3 : Liste des textes orientant la pratique de l’enseignant primaire à Genève 261 Annexe 4 : Q.S.R. NUD*IST Power version, revision 4.0. Rapport de codes (17 juin 2005) 263

Annexe 5 : Création de la Licence Mention Enseignement 266

Annexe 6 : la directive « Sanction prévue à l’encontre des élèves » 268

Annexe 7 : Les directeurs généraux de l’enseignement primaire 269

Annexe 8 : L’organigramme de l’enseignement primaire genevois 269

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Introduction générale

Les enseignants sont en général des salariés. L’organisation qui les engage organise et prescrit leur travail, au moins en partie. Ils doivent, en vertu de leur contrat, respecter des plans d’études, des procédures d’évaluation, des normes de conduite, des manières de faire relatives aux temps, aux espaces, aux équipements, parfois se plier à des méthodes. Ces prescriptions ont cependant des limites, par impossibilité de tout prescrire, en raison de failles ou de contradictions dans le tissu prescriptif ou du fait d’une abstention délibérée, exprimant le souci des autorités de laisser une certaine autonomie aux enseignants ou leur conscience des difficultés du contrôle et donc de l’absurdité de fixer des normes dont il serait impossible de vérifier la mise en œuvre au quotidien.

Qu’elles soient voulues ou non, les limites des prescriptions définissent en creux l’autonomie formelle accordée aux salariés par l’organisation qui les emploie. S’y ajoutent les libertés que prennent ces derniers avec les prescriptions, délibérément ou par méconnaissance des règles.

L’autonomie effective d’un salarié dépend donc à la fois du prescrit et de l’usage qu’il en fait, modulé lui-même par l’étendue du contrôle de la conformité aux prescriptions.

À l’origine de cette étude, je souhaitais savoir si, globalement, l’autonomie professionnelle des enseignants tend plutôt à augmenter ou à diminuer, ou, pour le dire autrement, si le métier d’enseignant est en voie de professionnalisation ou au contraire de prolétarisation. Il y a professionnalisation si « les enseignants deviennent de véritables professionnels, orientés vers la résolution de problèmes, autonomes dans la transposition didactique et le choix des stratégies pédagogiques » (Tardif, 1992). Il y a prolétarisation dans le cas inverse. Les formes de la prolétarisation peuvent changer, passant d’une prescription en ligne directe par un corps d’inspecteurs ou une autre hiérarchie administrative à une prescription déléguée par l’autorité scolaire à la « noosphère » (Chevallard, 1985), la sphère des idées, dans laquelle se meuvent ceux qui pensent la pratique pédagogique sans l’exercer, ceux qui conçoivent les programmes, les démarches didactiques, les moyens d’enseignement et d’évaluation, les technologies éducatives et qui prétendent livrer aux maîtres des modèles efficaces d’enseignement. Rien toutefois ne permet de supposer que l’autonomie des enseignants a la même ampleur et les mêmes contours dans tous les systèmes, à toutes les époques, dans tous les ordres d’enseignement, dans toutes les disciplines et dans tous les établissements. La description et l’explication de telles variations sont autant de questions de recherche. Et la question de l’évolution globale du métier ne peut être tranchée que sur la base de nombreuses études comparatives.

Ma seconde idée fut alors d’entreprendre une étude diachronique des prescriptions faites aux enseignants. Ne pouvant analyser plus d’un système, ni même tous les ordres d’enseignement dans un même système, j’avais l’intention d’étudier les prescriptions faites aux enseignants primaires genevois, notamment à travers l’analyse de contenu des règlements de l’enseignement primaire (en annexe 1) et les divers plans d’études (annexe 2) depuis 1849. Une première analyse de ces textes me permit de constater que les « objets » ou « domaines » de prescription ne sont pas stables. Les uns apparaissent, d’autres disparaissent. C’est ainsi que, durant la première moitié du 20ème siècle, les enseignants recevaient des prescriptions très strictes concernant l’hygiène, en raison des risques élevés de tuberculose. Ces risques étant maîtrisés, ces prescriptions diminuèrent puis disparurent.

Une autre menace sanitaire pouvait faire émerger de nouvelles prescriptions. Par exemple, les enseignants se verraient interdire d’enseigner dans les classes genevoises, s’ils ont passé des

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vacances ou des séjours dans des endroits du monde soumis à diverses épidémies (grippe aviaire, etc.).

Nous connaissons aussi actuellement les prescriptions qui concernent la santé physique et morale de l’enfant, son intégrité et toute la prévention contre les abus moraux et sexuels envers les enfants.

Je reprends ici en guise d’illustration du propos une directive de la direction de l’enseignement primaire concernant le comportement adéquat des enseignants envers les élèves. Cette directive confirme que la prescription est en partie une réponse à des problèmes nouveaux, ou qui s’aggravent ou encore deviennent plus visibles ou plus sensibles :

Par crainte d’accusation d’abus sexuel dont ils-elles pourraient faire l’objet, les enseignant-e-s sont devenus de plus en plus prudent-e-s et cessent parfois toute forme d’aide, d’affection et d’encouragement envers leurs élèves.

Et pourtant, l’apprentissage du mouvement est étroitement lié à la confiance : confiance dans ses propres capacités et confiance dans les compétences de l’enseignant-e. Cette confiance ne se développe pas seulement de façon tacite : il appartient à l’enseignant-e de la construire en apportant à son élève un soutien physique adapté à la situation.

Il importe de tracer clairement la limite entre les contacts physiques qui sont utiles et nécessaires et ceux qui relèvent de l’abus. Un-e adulte responsable connaît les limites à ne pas franchir et est constamment conscient-e des effets et des conséquences qu’ils posent.

Quelques conseils de base pour favoriser des relations sans confusion : - Tenir et soutenir pour sécuriser. (…)

- Selon les circonstances, l’enseignant-e peut donc toucher les élèves, mais il-elle doit éviter leurs parties intimes. Si, par accident, une partie de l’élève est touchée, de simples excuses devraient suffire. Sinon, dans certaines situations, il convient de discuter avec l’élève de ce qui vient de se produire et de bien faire comprendre que ce geste n’était pas volontaire, plutôt que d’être mal à l’aise et de garder le silence.

- Pour consoler un élève ou pour le réconforter, l’enseignant-e peut entourer ses épaules de ses bras mais en le serrant par le côté. Il-elle évitera les contacts face à face, où le corps entier touche celui de l’élève. » (…) (Interventions des enseignant-e-s dans le cadre des activités physiques, dans les vestiaires et les douches Directive 1/36 ; 29.08.05)

Autre exemple : les prescriptions relatives à la présence et à la participation des parents, très sommaires au 19ème siècle, se sont multipliées au gré de l’accroissement de la place des parents dans l’école (Favre et Montandon, 1989). Par exemple, les réunions de parents d’élèves, jadis laissées à l’initiative des enseignants, sont devenues obligatoires, à la demande de l’association de parents d’élèves.

L’apparition ou la disparition de domaines de prescription ne manque pas d’intérêt, mais on ne peut rien en conclure quant à l’évolution globale de l’autonomie professionnelle des enseignants, car ce mouvement est relativement hétérogène et laisse dans l’ombre la question de la densité et du degré de précision des prescriptions dans chaque domaine, difficiles à évaluer sur la seule base des textes.

Dans les archives disponibles, on ne trouve presque pas de traces de la manière dont les enseignants prenaient en compte le prescrit de l’institution. Je dis « presque rien », car dans les archives du département de l’instruction publique genevois, certains rapports d’inspecteurs rendent

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compte de l’application ou du respect de certaines prescriptions par les enseignants. Ils mettent cependant mieux en évidence les manquements aux règlements scolaires que la manière dont ils sont traités.

Il est tout aussi difficile de tirer des conclusions de l’analyse des plans d’études qui ont successivement régi le travail des enseignants primaires genevois. Le genre de ces textes varie au cours des âges, comme leur contenu, ce qui rend difficile une comparaison terme à terme. Rien ne permet de cerner l’autonomie laissée aux enseignants à partir des programmes seulement.

Les « blancs » de la prescription

Ce qui n’est pas explicitement régi par les prescriptions officielles n’est pas pour autant laissé à l’entière discrétion des enseignants. En effet, les textes officiels ne suffisent pas à saisir l’ensemble des prescriptions relatives au travail, pour plusieurs raisons :

L’organisation du travail est toujours en partie implicite, se référant à la forme scolaire

« canonique » ou à des coutumes que nul n’éprouve le besoin de mettre par écrit, parce que « tout le monde les connaît ». C’est ainsi qu’il faut des initiatives déviantes pour que l’administration scolaire juge nécessaire d’écrire que tous les élèves doivent être assis sur une chaise et disposer d’une table ou d’un pupitre.

Les écoles « normales » et autres institutions en charge de la formation des enseignants étaient et sont toujours, dans une certaine mesure, censées standardiser l’interprétation de textes qui, pour un lecteur « non socialisé », paraissent assez vagues (Criblez, Hofstetter et Bagnoud, 2000). Qu’est-ce qu’une activité de durée raisonnable ou un texte simple ? Les acteurs du système apprennent les codes qui permettent d’associer des conduites relativement précises à ces formules abstraites.

Une partie des prescriptions découle de lois et de coutumes qui ne concernent pas spécifiquement l’école, mais s’y appliquent, du code pénal aux règles non écrites de civilité.

Les prescriptions ne sont intégralement écrites que dans les cultures organisationnelles les plus centralisées ou bureaucratiques. Dans d’autres, la prescription orale est importante et ne laisse guère de traces.

Les prescriptions sont en partie locales et situées, les règles générales donnant par exemple à un chef d’établissement le droit de prescrire des règles de sécurité ou de sanction adaptées au contexte local.

Un travail de recherche à partir des archives de l’instruction publique et de son développement institutionnel ne pourrait donc saisir qu’une partie des prescriptions. On y rencontrerait aisément des textes souvent lacunaires, imprécis, ambigus ou contradictoires. Le faisceau d’écrits prescriptifs est en effet rarement d’une totale cohérence, même s’il s’agit d’un échafaudage juridique classique, la loi découlant de la constitution, le règlement de la loi, les directives du règlement, etc. Le développement de conventions intercantonales ou internationales brouille les cartes, de même que l’emboîtement de règles nationales, régionales ou locales qui n’utilisent pas le même langage et n’ont pas été adoptées à la même époque. On sait par ailleurs que certaines règles s’imposent de façon coutumière, en s’écartant des textes en vigueur, parfois longs et difficiles à changer, dont certains tombent en désuétude sans que personne ne prenne la peine de les abroger.

Il serait donc très aventureux de prétendre reconstituer l’organisation et la prescription du travail il y a cinquante ans seulement. Plus on remonte dans le temps, plus les archives sont lacunaires et rares les acteurs encore vivants. Il apparaît donc impossible de traiter la question d’un point de vue historique et de mettre en évidence une évolution. C’est vrai même dans les domaines les mieux documentés, comme les programmes, car il faut faire la part du maquis des directives ou des

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commentaires additifs et restrictifs, aussi bien que des messages véhiculés par les manuels et autres moyens d’enseignement, par les épreuves et examens ou par des coutumes ou connaissances procédurales transmises oralement.

Bref, savoir si l’autonomie des enseignants va croissant reste une bonne question de recherche, mais son traitement dépasse les moyens d’une thèse et peut-être de toute recherche empirique. On pourrait sans doute envisager d’étudier des changements sur une courte période, par exemple de 1990 à 2000, en accédant aux textes et en interviewant les acteurs pour reconstituer les pratiques, mais l’on peut craindre que d’éventuels changements ne soient guère perceptibles sur un temps si court.

À la suite à ces constats, j’ai renoncé à étudier l’évolution de l’autonomie des enseignants, que ce soit sur un temps long ou à l’occasion des réformes scolaires. Ce renoncement n’a pas forcément abouti à une recherche plus « modeste ». D’abord parce que j’ai mesuré que l’état actuel des prescriptions était beaucoup plus difficile à objectiver que je ne le pensais et pouvait à lui seul justifier une recherche. Mes lectures dans le domaine de la sociologie du travail et de l’ergonomie m’en ont convaincue. Ensuite, parce qu’analyser même finement le tissu prescriptif ne permet pas de saisir quel rapport l’enseignant entretient aux diverses prescriptions qui délimitent son autonomie formelle. Son espace de liberté est en dernière instance construit par l’acteur lui-même, subjectivement :

c’est lui qui perçoit, comprend et analyse l’organisation du travail et les prescriptions et identifie ce qu’il doit respecter à tout prix et ce qu’il peut ignorer ;

c’est encore lui qui perçoit, comprend et analyse les attentes des collègues, des élèves et des parents qui, sans être des prescriptions de même nature, l’empêchent d’user librement de la sphère d’autonomie que l’institution lui laisse.

Peut-on espérer décrire cet espace subjectif ? Sans doute, mais pas de façon simple, à la façon d’un territoire bien délimité. Aucune prescription n’est incontournable, aucune n’est anodine. C’est en situation que l’acteur pèse les risques et les avantages de tel ou tel cours de l’action, l’écart à la norme et ses implications possibles n’étant qu’un des éléments d’appréciation. Il en va de même à propos des attentes. Il y a un risque à les ignorer, un coût à s’y conformer.

L’espace de liberté d’un acteur résulte donc d’un calcul dynamique, en fonction de son analyse des risques et des bénéfices potentiels, mais tout autant de ses projets, de sa stratégie d’ensemble, de ses besoins. Ainsi s’exprime une des enseignantes interviewées dans le cadre de cette recherche :

Actuellement, j’aimerais bien travailler avec mes élèves un peu comme je veux. Je peux en fait le faire : rien ne m’oblige de travailler avec telle ou telle méthode pédagogique ou en adoptant une manière particulière de pratiquer avec mes élèves.

Officiellement, je suis libre de choisir, c’est un travail relativement autonome. Mais à la fois je dois rendre compte de plus en plus, je dois être efficace. Alors on n’est pas tout à fait libre. Les élèves sont évalués par des épreuves cantonales et ces épreuves sont souvent préparées en fonction de certaines méthodes, alors je dois les préparer à ce genre de travail. Aujourd’hui, on ne me dit plus de travailler avec telle ou telle méthode, à telle heure mais par contre je dois assurer au niveau des résultats des élèves.

Si je prends des libertés avec ce qu’il est conseillé de faire, d’appliquer mes méthodes, je prends des risques face aux élèves qui ne seront pas prêts à réussir aux épreuves cantonales qui sont conçues dans un certain sens. Alors j’ai aussi les parents sur le dos.

Parfois j’ai l’impression que mon travail devient très technique dans certaines disciplines, mais pas dans toutes.

Cette enseignante de 6e primaire témoigne, d’une part, de sa perception des degrés de liberté que l’institution lui laisse formellement, d’autre part des attentes moins formelles qui pèsent sur l’usage de cet espace. L’espace subjectif de liberté de l’enseignant se présente comme une synthèse entre

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plusieurs niveaux de contraintes : les prescriptions officielles explicites ou implicites, les rapports de prescription (à la faveur desquels cadres ou inspecteurs modulent ou enrichissent les directives), les attentes des autres professionnels ou des usagers (élèves, parents, associations de parents).

L’autonomie participe d’un calcul, d’une pesée de risques et d’avantages. Lorsqu’il est d’accord à la fois avec les prescriptions institutionnelles et les attentes de ses partenaires, pourquoi un enseignant s’en écarterait-il ? Il a l’impression de faire de son propre chef ce qu’on attend qu’il fasse. Laissons ouverte la question de savoir si, dans ce cas, il faut parler d’une « harmonie préétablie » ou d’une forme d’aliénation. C’est plutôt dans les zones où il y a conflit entre ce qu’il voudrait faire et les prescriptions et/ou les attentes qu’un enseignant tente de préserver un espace de liberté raisonnable, de construire un compromis entre les attentes externes et ses propres désirs.

À défaut de pouvoir tracer les limites de cet espace mouvant et à certains égards modulé de façon opportuniste, on peut au moins envisager d’étudier la façon dont un acteur perçoit l’autonomie formelle accordée à sa fonction et ce qu’il en fait (ou dit en faire), en fonction de ses projets aussi bien que des autres attentes.

Je centrerai donc ma recherche sur deux volets complémentaires :

1. La prescription et les prescripteurs : au seuil de l’usage. Le discours prescriptif émanant de l’autorité scolaire est passible d’une analyse de contenu, sachant qu’il s’agit d’un tissu composite, fait de textes de divers âges et statuts, dont la rédaction est en partie confiée, par délégation du pouvoir de prescrire, à des cadres locaux (inspecteurs, chefs d’établissements) ou à des formateurs.

2. L’acteur et les règles : les raisonnements et les tactiques des enseignants face à cette double réalité. Que font les enseignants du travail prescrit et de ses limites ? Se satisfont-ils de l’autonomie formelle que l’institution leur laisse ? Cherchent-ils à l’élargir, en jouant avec les règles, voire en les transgressant ? Ou en négociant des dérogations ? Disposent-ils réellement de cette marge de manœuvre ou est-elle « phagocytée » par les multiples attentes des collègues, des parents, des élèves qui, non contents de renforcer les prescriptions, y ajoutent des normes de leur cru ?

On le verra, il est difficile de séparer entièrement ces deux facettes, dans la mesure où le tissu prescriptif n’est pas entièrement préalable à l’activité. Il se complète, se nuance, se relativise, se transforme en fonction des situations, des protestations, des risques, des problèmes, donc à la faveur d’une interaction entre les prescripteurs et les destinataires de la prescription, sans oublier tous les acteurs qui, sans avoir le pouvoir de prescrire, connaissent les prescriptions et ne manquent pas d’en renforcer ou d’en affaiblir la portée en fonction de l’interprétation qu’ils en font aussi bien que de leurs intérêts du moment.

On saisit immédiatement que les données pertinentes seront à saisir du côté de l’institution et des cadres (par l’analyse des textes prescriptifs et à travers des entretiens) et du côté des enseignants (à travers des entretiens appuyés sur une part d’observation participante).

J’avais au départ l’intention d’étudier un troisième volet : les prescriptions situées, celles qui se formulent à propos de cas particulier, dans le cadre de transactions locales. Celles qui modulent les prescriptions générales ou celles qui émanent d’une autorité locale à laquelle le pouvoir de prescrire dans certains domaines est délégué explicitement ou tacitement par l’autorité centrale. Mais la saisie directe de telles transactions aurait exigé une observation participante de longue durée, à laquelle j’ai renoncé. J’analyserai toutefois les rapports de prescription institués (Hatchuel, 1996), notamment la délégation aux inspecteurs et dans une certaine mesure aux formateurs d’un pouvoir de prescrire ou de moduler les prescriptions générales en fonction des contextes locaux. Que le lecteur n’oublie jamais qu’entre le tissu prescriptif et les conduites des acteurs s’interposent des transactions subtiles et souvent discrètes à propos de l’interprétation des normes ou des risques qu’il y aurait à s’en écarter.

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Plan de l’ouvrage

L’ouvrage se compose de quatre parties.

La première retrace les apports des sciences de l’éducation à la conceptualisation du travail enseignant, des prescriptions dont il fait l’objet et du rapport des enseignants à ces prescriptions.

Les limites de ces apports inciteront à aller voir aussi du côté de la sociologie des organisations, des sciences du travail et de l’anthropologie de l’action et de la déviance.

La seconde partie présente le cadre contextuel de la recherche, l’école primaire genevoise et ses enseignants et précise les problématiques de recherche et les options méthodologiques.

La troisième partie présente la première série de données empiriques.

La quatrième partie regroupe la deuxième série de données empiriques.

La conclusion ouvre de nouvelles pistes de réflexion.

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Première partie

Prescrit et rapport au

prescrit : concepts de base et

apports de la recherche

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Plusieurs courants de recherche peuvent nous aider à conceptualiser le travail des enseignants et les prescriptions qui le concernent.

Le chapitre 1 présente les caractéristiques du travail enseignant telles que le décrivent les recherches en sciences de l’éducation.

Le chapitre 2 identifie les apports des théories de l’action et de la sociologie des organisations qui scrutent plus particulièrement le rapport entre l’individu et le prescrit, ses stratégies, la distance qu’il prend avec le prescrit et plus globalement avec les rôles et les fonctions qui lui sont attribués par la culture ou les institutions.

Le chapitre 3 se réfère aux travaux issus des sciences du travail.

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Chapitre 1.

Le travail enseignant vu par les sciences de l’éducation

On trouve dans le champ des sciences de l’éducation une multitude de recherches sur les pratiques enseignantes, avec des cadrages théoriques divers qui s’inscrivent dans des approches disciplinaires (sociologie, psychologie, anthropologie, histoire de l’éducation, etc.) ou dans des approches interdisciplinaires, autour par exemple de concepts comme planification, improvisation, transposition, interactions didactiques, gestes professionnels, routines.

Les métaphores, les adjectifs, les attributs décrivant le métier d’enseignant ne manquent pas dans ces travaux. Brichaux (1997) en a fait l’inventaire dans L’enseignant d’une métaphore à une autre : un manager (Skinner, 1968), un stratège (De Castell, 1992), un séducteur stratégique (Cifali, 1994), un artisan (Cador, 1982), un artisan moral (Tom, 1980 ; 1984), un artisan intellectuel (Barrère, 2002), un bricoleur (Hameline, 1981 ; Perrenoud, 1983 ; 1994), un praticien réflexif (Schön, 1983 ; 1987), un cuisinier dans un restaurant à l’heure de pointe (Huberman, 1983), un passeur culturel (Zakhartchouk, 1999), un entraîneur ou un médiateur (Meirieu, 1995), un comédien (Runtz- Christian, 2000). Bourdoncle (1993) explicite aussi les conceptions de l’enseignant comme ouvrier, artisan et artiste, en analysant dans chaque cas de figure le statut des savoirs professionnels (Paquay, 1994).

Ces métaphores sont autant de tentatives de cerner l’essence d’un métier impossible, selon l’expression de Freud reprise par Boumard (1992), Caglar (1999) ou Cifali (1986), mais aussi d’un métier qui échappe à une codification ou à une rationalisation totales : « Aucun organigramme ne peut épuiser la diversité des tâches conjointes auxquelles doit se plier le maître ou le professeur » (Dubet, préfaçant Tardif et Lessard, 1999, p. X).

Complétant ces métaphores, je retiens ici les descriptions des conditions du travail enseignant faites par Durand (1996) et Perrenoud (1994). Durand (1996) analyse l’enseignement en milieu scolaire comme une tâche singulière. Il met en évidence les conditions du travail enseignant et le caractérise comme travaillant dans des situations d’incertitude élevée, de simultanéité événementielle, avec une pluralité d’éléments en interaction, dans un dynamisme, diversité et pluridimensionalité dans un environnement difficilement prévisible :

Tout (ou presque) est possible, et les anticipations pourtant nécessaires y sont peu fiables. L’activité dans la tâche requiert de faire attention à tout et de s’ajuster à la survenue des événements. (…) De plus, le niveau de développement de ces élèves et le caractère contraint de leur participation obligent les enseignants à une activité préalable à l’instruction, visant la mise en place des conditions de travail, l’acquisition de l’engagement des élèves, et l’ajustement à leurs capacités cognitives.

Durand met en évidence, dans l’activité enseignante, une composante de conception, de résolution et de délimitation de problèmes, voire d’improvisation (Durand, 1996, p. 82).

Et Perrenoud (1996) souligne que par l’urgence et l’incertitude qui le caractérisent, l’enseignement est proche de ce que décrit De Terssac, c’est-à-dire :

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(…) des situations peu définies et dans lesquelles les contextes d’action sont peu structurés : on pense à des situations inhabituelles pour lesquelles les procédures ne sont pas prévues ou bien ne peuvent pas être appliquées sans contrôle. Il faut alors mobiliser des « savoir-que-faire » qui vont permettre de définir ce qu’il faut faire, d’analyser le contexte, de réélaborer le but à atteindre, d’organiser l’action au sein d’un collectif (De Terssac, 1996, pp. 227-228).

Autonomie et prescription : entre marge de manœuvre et discrétion

Barrère (2002) étudie « les routines incertaines » qui caractérisent à ses yeux le travail enseignant dans une approche de sociologie compréhensive. Dans son enquête, elle montre comment les enseignants prennent ou non en compte les diverses prescriptions :

Les prescriptions (pour les enseignants) ne sont pas étouffantes, tout simplement parce qu’elles font l’objet d’un respect mesuré, en fonction des situations concrètes. Il n’est pas toujours possible d’organiser les manipulations conformément à ce que préconise le programme. Il n’est pas toujours possible non plus d’éviter la présentation magistrale du cours même si elle est désormais formellement déconseillée. (…) Les enseignants à tout prendre préfèrent alléger les programmes eux-mêmes (p. 56-57).

Elle ajoute :

La liberté prise face aux programmes, liberté intellectuelle par la critique, liberté pratique par l’adaptation des contenus, empêche les enseignants de vivre la pénétration d’une culture de rationalisation pédagogique comme une perte d’autonomie (p. 58).

Même si les enseignants sont soumis à une rationalisation pédagogique, leur marge de manœuvre lui semble « globalement maintenue » (p.53).

On peut saisir l’autonomie dans le métier d’enseignant à différents niveaux. Lang (1999) les regroupe en cinq pôles :

a) celui de la pratique, concernant selon Freidson, l’autonomie technologique, la teneur du travail : il s’agit de l’exercice professionnel proprement dit, ensemble de savoirs et savoir-faire spécifiques, qui ne sont pas normés de l’extérieur, i.e. par d’autres groupes sociaux ou par des savoirs extérieurs à la profession ;

b) celui des conditions organisationnelles du travail, dans la mesure où le métier s’exerce dans une organisation sociale très structurée (ici un établissement dans un ensemble institutionnel plus vaste) ;

c) celui des savoirs propres à la profession, résultat d’un processus de formalisation et de rationalisation d’un certain nombre de savoirs et savoir-faire pratiques ;

d) celui des conditions économiques et sociales du travail, qui concerne tant les modes de rémunération (salaire fixe, honoraires à l’acte, au nombre de clients, etc.), l’origine des revenus (l’État, les usagers, etc.), les conditions d’accès et d’exercice ;

e) enfin le pôle politique, qui concerne nécessairement la défense d’une licence existante ou la revendication d’un droit particulier et légitime à l’exercice professionnel, mais aussi la définition des limites du mandat et plus généralement l’ensemble des secteurs qui touchent de près ou de loin les intérêts de la profession (p.

47).

Lang (1999, p. 50) met donc en évidence la distinction entre l’autorité de l’administration scolaire, fondée sur un rapport hiérarchique et l’autorité professionnelle, qui se fonde sur le savoir, l’initiative et la responsabilité personnelle des pairs et le contrôle entre les pairs.

(20)

Pour tenter de synthétiser ce que les sciences de l’éducation disent du métier d’enseignant, je retiens ici quelques caractéristiques qui ont toutes des implications pour le prescrit et le rapport au prescrit.

Un enseignant est un travailleur :

qui s’adapte à des contextes variables ;

pris dans des interactions partiellement imprévisibles ; qui agit par stratégie, mais aussi par habitude ;

salarié d’une organisation bureaucratique ; dont l’activité est difficile à prescrire ; dont l’activité est en principe contrôlée ;

dont le travail est l’objet d’attentes qui s’ajoutent aux prescriptions, dont les débuts dans le métier sont difficiles.

Reprenons ces divers aspects.

Un travailleur qui s’adapte à des contextes variables

A l’intérieur du même système éducatif, du même niveau scolaire, de la même discipline, compte tenu de la diversité des conditions de travail et des contextes locaux, les enseignants ne vivent pas les mêmes réalités, ne pratiquent pas le « même métier » (Duru-Bellat et Van Zanten, 1999 ; Van Zanten, 2001).

Pour Dubet :

Le métier d’enseignant est très largement construit par chacun. Les programmes, les disciplines et les élèves exercent des contraintes, mais le professeur a le sentiment de pouvoir définir un ordre de priorités, un style, une relation, étant entendu que « le programme doit être bouclé ». À écouter les professeurs, il semble que deux grandes stratégies se dessinent. Certains professeurs parlent surtout de la discipline enseignée, du niveau à atteindre et des moyens d’y parvenir, mais cela n’implique pas forcément une conception rigide du rôle. (…) D’autres professeurs évoquent plus volontiers les élèves que la discipline et parlent de socialisation, de stimulation de l’intérêt. (…) Les uns sont tentés de centrer l’enseignement sur le professeur, les autres sur le travail des élèves ; les premiers parlent de leurs cours et de leur discipline, les autres, des classes et des lycées. Peut-on pour autant opposer une définition étroite à une définition élargie du rôle ? Peut-on opposer ceux qui conçoivent le métier en termes de contenu à ceux qui le pensent en termes de méthode ? (Dubet, 1991, pp. 299-300).

En dépit de l’universalité de la forme scolaire, il apparaît difficile de standardiser les conditions d’exercice du métier, tant elles dépendent de conditions écologiques, psychologiques, sociologiques variables, en fonction desquelles chaque enseignant doit en partie réinventer son métier.

Un travailleur pris dans des interactions partiellement imprévisibles

Altet (1994 ; 1996) met en évidence une autre spécificité du métier, son inscription dans un flux constant d’interactions entre maître et élèves :

C’est pourquoi, l’enseignement peut être aussi conçu comme un processus de traitement de l’information et de prise de décisions en classe où le pôle de la dimension relationnelle et de la situation vécue dans un contexte donné avec l’apprenant est aussi important que le pôle du savoir (Altet, 1996, p. 31).

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Altet ajoute :

C’est dans ce vécu interactif de communication, en situation contextualisée, complexe, incertaine d’enseignement-apprentissage finalisé, avec des apprenants particuliers que se réalisent les tâches de l’enseignant. D’où la difficulté de définir entièrement les tâches, de les prévoir toutes à l’avance. L’enseignant peut planifier, préparer son scénario, mais il reste la part « d’aventure » liées aux imprévus venant de ces actions en situation et aux inconnues provenant des réactions des élèves, ce qui nécessite une multitude de prises de décisions, une mobilisation de savoirs dans l’action modèle, voire une modification des décisions dans l’action de la classe (1996, p. 32).

Dans le même sens, Tardif écrit :

La difficulté de l’acte d’enseigner c’est qu’il ne peut être analysé uniquement en termes de tâches de transmission de contenus et de méthodes définies a priori, car ce sont la communication verbale en classe, les interactions vécues, la relation, la variété des actions en situations qui vont permettre ou non à des élèves différents d’apprendre à chaque intervention. Ainsi, les informations prévues sont régulièrement modifiées à partir des réactions des élèves et de l’évolution de la situation pédagogique et du contexte. Ce qui constitue la spécificité de l’enseignement, c’est qu’il s’agit d’un

« travail interactif » (Tardif, 1992).

Tardif et Lessard (1999) ont décrit le travail d’enseignant comme codifié, s’exécutant dans un cadre relativement stable et uniforme ; un travail soumis à un mandat, soumis à un ensemble de règles bureaucratiques ; il est minuté, calculé, surveillé, planifié, mesuré, etc. Mais il est aussi sujet à :

(…) diverses ambiguïtés, de nombreux éléments « informels », de l’indétermination, des incertitudes, des imprévus, bref, ce qu’on peut appeler des aspects « flous », qui laissent une bonne marge de manœuvre aux enseignants à la fois pour interpréter et réaliser leurs tâches, notamment sur le plan des activités d’apprentissage en classe et de l’utilisation des techniques pédagogiques. Cette marge de manœuvre n’est pas qu’un effet pervers causé par un manque de codification et de formalisme, elle semble au contraire constitutive du travail enseignant : enseigner, c’est d’une certaine façon toujours faire autre chose que ce qui était prévu par les règlements, le programme, le plan de cours, la leçon, etc. Bref, c’est œuvrer au sein d’un environnement complexe, multivarié, impossible à contrôler entièrement car il s’y produit simultanément plusieurs choses à différents niveaux de réalité : physique, biologique, psychologique, symbolique, individuel, social, etc. On ne peut jamais parfaitement contrôler une classe dans la mesure où l’interaction en cours avec les élèves est porteuse d’événements et d’intentions qui rejaillissent sur l’activité elle-même (pp. 30-31).

Les auteurs considèrent ces diverses formes d’incertitude comme des contingences du travail enseignant. Ils en concluent que « l’enseignant est un « exécutant » doté d’une certaine autonomie » (p. 77). Il ne peut être considéré comme n’importe quel travailleur dans une chaîne de production, car sa marge de manœuvre est nettement plus grande :

Un autre phénomène important tient au fait que les enseignants ont toujours été un corps d’exécutants qui n’a jamais en tant que tel participé à la sélection de la culture scolaire et à la définition des savoirs nécessaires à la formation des élèves. (…) Lorsqu’on la met en relation avec l’organisation sociale du travail dans les sociétés modernes, cette situation d’exécutants s’avère typique de l’économie capitaliste, où la position des travailleurs se définit globalement par l’absence de contrôle sur le procès du travail, ses contenus et son déroulement. Toutefois, même dans le travail industriel parcellarisé à l’extrême, cette absence de contrôle n’est jamais totale puisque les

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travailleurs assument concrètement la réalisation du procès de travail et peuvent donc agir de multiples façons sur lui : le ralentir, lui résister, etc. Or, la marge de manœuvre des enseignants est plus grande, car ils bénéficient d’une certaine autonomie professionnelle pour réaliser leur travail. En ce sens, leur position d’exécutants ne se confond pas avec celle des travailleurs industriels « atomisés » sur la chaîne de production. Néanmoins, cette double position – à la fois exécutants et autonomes – se traduit elle aussi par des tensions, des dilemmes et peut déboucher, selon l’investissement des enseignants sur l’un ou sur l’autre pôle (exécution ou autonomie), sur différentes façons d’assumer et de vivre leur identité professionnelle (1999, p. 78).

Un travailleur qui agit par stratégie, mais aussi par habitude

« La pratique n’est pas une mise en pratique de recettes » (Perrenoud, 1994, p. 22). Elle n’est pas davantage l’expression constante d’une conduite stratégique :

Le concept de stratégie se réfère à des actions plus ou moins rationnelles, plus ou moins cohérentes, plus ou moins conscientes, dont l’insertion dans un contexte donné, conduit le chercheur à prêter aux acteurs un projet relativement conscient et une part de calcul à partir d’une analyse plus ou moins perspicace de la situation et des possibilités d’action. Cette définition minimaliste des stratégies n’a évidemment de sens qu’à condition de tenir compte de tout ce qui peut déterminer les projets et les calculs des acteurs, ainsi que leur capacité de choix et de négociation. (…) On voit aussi que les actions ne sont pas toutes « stratégiques », même au sens minimal retenu ici. (…) Dans la vie quotidienne, chacun suit des routines, fait des choix qui relèvent davantage de l’habitus que du calcul stratégique (Perrenoud et Montandon, 1988, pp.28-29).

Le maître se trouve pris, vingt-cinq à trente heures par semaine, dans un réseau relationnel très dense dont il est le centre, l’organisateur ou au moins la personne-ressource principale.

L’analyse des interactions en classe met en évidence :

le nombre important d’interactions dans lesquelles le maître est engagé pendant une heure à un rythme soutenu ;

la diversité des sollicitations qui se succèdent ou se chevauchent ;

la concentration des activités et interactions dans un espace limité (Perrenoud, 1994, pp.22-23).

Confronté à des situations plus ou moins nouvelles, l’enseignant doit souvent improviser, sans avoir le temps d’une délibération intérieure. Cette improvisation n’est pas pour autant anarchique, car elle est sous le contrôle de l’habitus, « ce petit lot de schèmes permettant d’engendrer une infinité de pratiques adaptées à des situations toujours renouvelées, sans jamais se constituer en principes explicites » (Bourdieu, 1972, p.209), ou encore ce « système de dispositions durables et transposables qui, intégrant toutes les expériences passées, fonctionne à chaque moment comme une matrice de perceptions, d’appréciations et d’actions, et rend possible l’accomplissement des tâches infiniment différenciées, grâce aux transferts analogiques de schèmes permettant de résoudre les problèmes de même forme » (Bourdieu, 1972, pp.178-179).

Un travailleur salarié dans une organisation bureaucratique

Pour Tardif et Lessard :

(…) la bureaucratisation se traduit par une spécialisation beaucoup plus grande du travail scolaire, une complexification des organisations et une nette croissance du formalisme dans la gestion des tâches. Le travail enseignant subit inévitablement ces

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phénomènes, il se spécialise, lui aussi, il devient plus complexe, ce qui exige une formation plus longue ; son exécution est régie par des règles bureaucratiques. Par ailleurs, tous ces éléments interviennent dans un système scolaire transformé en école de masse, accueillant des milliers, voire des millions d’élèves, pour des périodes de plus en plus longues, afin de les former à des connaissances plus complexes et variées que par le passé. Cette évolution complexifie également le travail des enseignants, les conduisant à œuvrer auprès de clientèles hétérogènes, en fonction de standards, de besoins et d’attentes beaucoup plus variés qu’auparavant.

Lorsqu’on considère l’école sous l’angle des développements précédents, on constate donc la présence de dispositifs organisationnels assez différents. En effet, l’école actuelle conserve encore et toujours une structure cellulaire de base, la classe standard, qui exige et permet tout à la fois une autonomie certaine des enseignants, tout en les soustrayant au contrôle direct des agents situés en dehors de la classe. Toutefois, la classe actuelle est bel et bien insérée dans un dispositif bureaucratique très complexe, au sein duquel les enseignants sont confrontés à plusieurs groupes qui s’efforcent de contrôler leur travail. Ainsi l’autonomie et le contrôle bureaucratique constituent-ils des dimensions inhérentes à l’organisation du travail scolaire et enseignant tel que nous le connaissons aujourd’hui. Enseigner, c’est à la fois travailler dans un environnement organisationnel fortement contrôlé, saturé de normes, de règles et, en même temps, œuvrer en fonction d’une autonomie importante et nécessaire à la réalisation des buts mêmes de l’école (Tardif et Lessard, 1999, p. 101).

Tardif et Lessard en concluent que :

(…) l’école représente une organisation de travail structurée par des tensions centrales entre les « matériaux humains » à la base du procès de travail et les composantes instrumentales ou bureaucratiques qui interviennent forcément dans la gestion et le contrôle du travail scolaire. Elle poursuit des buts généraux mais, en même temps, les technologies, les savoirs et le procès de travail rendant possible la réalisation de ces buts sont irrémédiablement marqués par les dimensions ambiguës, indéterminées, variables de « l’humain », qui est au cœur du travail scolaire (Tardif et Lessard, 1999, p. 108).

Un travailleur dont l’activité est difficile à prescrire

L’encadrement et la noosphère élaborent toute une série de prescriptions relatives aux programmes, aux méthodes, aux moyens d’enseignement, aux horaires et à l’emploi du temps, aux espaces, à l’ameublement, aux équipements, à la discipline et aux sanctions, à la gestion des absences et des arrivées tardives, aux mesures sanitaires et sécuritaires, aux relations avec les parents ou d’autres professionnels, à la protection de la sphère privée, aux devoirs à domicile, etc.

Toutefois, le travail de l’enseignant ne peut être entièrement prescrit, justement parce qu’il le confronte quotidiennement à des situations impossibles à anticiper dans leur détail et auxquelles l’institution ne peut proposer une réponse standard.

Durand (1993 ; 1996) souligne que les enseignants participent fortement à la conception de leur travail :

Inspirée par les principes de division et partage du travail selon Taylor, la distinction entre conception et exécution permet de repérer une des originalités du travail des enseignants. Il s’agit du fait qu’ils ont la possibilité de participer à la conception de ce qui se fait en classe, et que par ailleurs, ce sont eux qui exécutent les plans conçus et anticipés. Selon l’importance accordée à l’une ou l’autre composante, les enseignants sont perçus comme des concepteurs et comparés à des ingénieurs, des

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architectes, ou bien comme des exécutants et comparés à des bricoleurs dont l’action intègre en situation la composante de conception (Durand, 1996, p. 88).

Durand met en évidence l’articulation de l’autonomie aux contraintes dans le métier d’enseignant. Il identifie sept domaines de contraintes définissant la tâche des enseignants, soit les domaines du prescrit dans le métier, à savoir : les buts de l’enseignant, le caractère scolaire de l’enseignement, le découpage disciplinaire, la définition des contenus, l’organisation en classe, la délimitation du temps et de l’espace, la particularité des élèves.

Durand pense que l’autonomie professionnelle des enseignants évolue en fonction de leur parcours professionnel, qu’ils soient novices ou experts :

Les enseignants expérimentés perçoivent davantage leur travail comme d’exécution, tandis que les novices ressentent comme prégnante la composante de conception. Ceci n’est probablement pas lié à une hypothétique désillusion pédagogique des anciens face à l’enthousiasme des débutants ; mais, de façon plus prosaïque, à ce que les enseignants expérimentés disposent de répertoires de procédures qu’ils peuvent adopter sans recourir à une activité de conception perçue comme lourde et inutile. La situation est tout autre pour les enseignants débutants. Pour eux, la situation d’enseignement revêt un caractère de nouveauté et de singularité dont Schön (1983) montre qu’il est une des conditions de l’activité de conception ; dans la mesure où cette non-familiarité avec la tâche oblige à une invention de moyens par définition inédits et nouveaux (Durand, 1996, pp. 88-89).

Altet (1993) met en évidence la variété des pratiques enseignantes, des manières d’enseigner : Le concept de style est alors apparu, style d’enseignement ou style pédagogique, puisqu’il s’agissait de catégoriser les comportements réellement mis en œuvre dans l’action. C’est donc la dimension pédagogique de l’enseignement, le pôle de la transformation de l’information en savoir dans l’esprit de l’élève, par le biais de la relation et des actions vécues, qui étaient décrits et objectivés à l’aide de ce concept de style.

(…) Ce concept de style a été utilisé en éducation sur le plan heuristique dans deux sens différents : soit comme un instrument de généralisation, de classification pour recenser des comportements caractéristiques, des traits communs à plusieurs enseignants et définir un style global par exemple, traditionnel ou moderne. Le style d’enseignement est alors défini comme un ensemble de comportements caractéristiques communs à plusieurs enseignants ; soit au contraire comme un outil de synchronisation pour repérer le style propre à chaque enseignant, sa manière personnelle dominante d’être et de faire, sa facture propre et définir un style différentiel. Le style d’enseignement représente ici la manière personnelle d’agir, de se comporter d’un enseignant (pp. 90-91).

Toujours selon Altet, trois dimensions sont en interaction : le style personnel, le style relationnel et le style didactique : « Le style c’est la manière dominante personnelle d’être, d’entrer en relation et de faire de l’enseignant » (Altet, 1985, p. 9).

Un travailleur dont l’activité est en principe contrôlée

Dans le travail, le contrôle formel est délégué à des instances chargées de prévenir ou sanctionner des conduites déviantes. Les régulations peuvent être formelles ou informelles. Les enseignants sont statutairement soumis à un contrôle institutionnel par un chef d’établissement et/ou un inspecteur, selon des formules variant selon les époques, les systèmes éducatifs et les niveaux du cursus (Gillig-Amoros, 1986 ; Dubet, 1991 ; 1996 ; 2002 ; Sénore, 2000 ; Barrère, 2002 ; Prost,

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2002). En pratique, l’intensité du contrôle dépend fortement de la fréquence et du style des visites faites en classe par des inspecteurs ou d’autres cadres scolaires.

Barrère (2002) met en évidence le peu de contrôle mis en œuvre par la hiérarchie dans le système scolaire et l’utilisation assez libre des manuels et des moyens pédagogiques :

Il convient de rappeler que les manuels ne sont nullement contrôlés par l’inspection ni par aucune instance qui serait responsable de l’application des dits programmes. Une même notion insuffisamment explicitée dans un programme peut faire ainsi l’objet d’interprétations fort diverses selon les manuels. (…) Donc, il faut faire soi-même tout ou partie des cours, ce qui revient à faire trois types de tâches : compiler et faire des synthèses de manuels, fabriquer certains documents, rechercher « le » document motivant (p. 59).

Dubet (1991) ajoute :

Appréhendé du point de vue « intérieur », des positions dans l’organisation, le statut des professeurs renvoie au tableau désormais classique de la « société bloquée ».

L’administration est souvent décrite de manière fort ambivalente comme toute- puissante et aveugle, absente et tatillonne. Il n’y a rien à ajouter à ce que Hamon et Rotman ont écrit à ce propos. Le contrôle est lointain et bureaucratique, les carrières sont automatiques et décourageantes, mais la proximité du contrôle est perçue comme une intrusion menaçante (p. 293).

Un travailleur dont le travail est l’objet d’attentes qui s’ajoutent aux prescriptions

Les prescriptions sont des attentes particulières, elles émanent d’une autorité en droit de légiférer sur le travail. Mais elles n’épuisent pas les attentes dont le travail des enseignants est l’objet, que ce soient celles des élèves, des parents d’élèves, des collègues, des autres professionnels de l’enfance, des acteurs locaux.

Pour Dubet, le monde scolaire est :

…un monde opaque où chacun préserve sa vie privée, son autonomie, ses activités extérieures et dans lequel se forment de petits groupes affinitaires qui ne se sentent pas liés à l’ensemble du monde enseignant. Entre collègues et avec l’administration règnent des règles d’évitement. Dans l’ensemble, les occasions de conflit sont soigneusement contournées et, souvent, les relations limitées au strict nécessaire. Quelques enseignants avouent ne pas connaître leurs collègues et les découvrir le jour du premier conseil des professeurs. Sans doute y a-t-il des personnages, des professeurs anciens et connus, mais la règle reste l’évitement. Il est tacitement interdit de parler du métier, de porter des jugements en dehors de petits groupes intimes. Le statut protège du regard des autres sur le métier. Il va de soi, par convention, que personne ne rencontre des difficultés, que les pédagogies ne sont pas contradictoires et qu’il est presque indécent de se mêler du travail des autres, au prix d’une grande solitude parfois (Dubet, 1991, p.

295).

Toutefois, l’opacité n’est pas totale, même si les pratiques sont souvent jugées à travers des rumeurs ou sur quelques échantillons épars plutôt que sur une observation en classe. L’enseignant dépend de ses collègues même s’il ne travaille pas en équipe, car les élèves et les parents comparent le style, la sévérité, la quantité de travail, la ponctualité, etc. Quiconque s’écarte « trop » de la norme peut se faire rappeler à l’ordre. Les enseignants composent aussi avec les attentes d’autres professionnels sans statut d’autorité, mais qui exigent des informations, de la coopération, le respect de procédures ou de territoires, des manifestations de solidarité : les conseillers d’éducation, les

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psychologues, les logopédistes, les travailleurs sociaux, les infirmiers et les médecins scolaires, le personnel d’entretien sont autant d’interlocuteurs dont il faut tenir compte.

Les parents oeuvrent comme acteurs individuels, mais aussi collectifs, constitués en associations de parents, parfois représentés dans les instances de gestion de l’établissement ou au sein de la commission scolaire. Leur ingérence dans les pratiques pédagogiques peut être vécue comme intrusive, les enseignants se défient des attentes, des angoisses ou de la surveillance des

« consommateurs d’école », mais ils ne peuvent en faire abstraction (Ballion, 1982 ; Montandon et Perrenoud, 1987 ; Favre et Montandon, 1989 ; Defrance, 1998 ; Meirieu, 2000 ; Alliata, Dionnet, Jaeggi et Osiek, 2001 ; Alliata, Ducrey et Nidegger, 2002 ).

Les élèves constituent aussi des partenaires exigeants, avec lesquels il faut trouver des arrangements plus ou moins négociés.

Un travailleur dont les débuts dans le métier sont difficiles

A chaque moment de la carrière, nous pourrions faire correspondre des problématiques spécifiques sous l’angle du rapport au prescrit : l’insertion dans le travail questionne autant que « le travail au fil de l’âge » avec les difficultés ou les apports de la vieillesse (Marquié, Paumès et Volkoff, 2001).

La littérature distingue souvent les enseignants débutants et les enseignants expérimentés, catégories traitées par la sociologie des carrières enseignantes ou l’étude des parcours ou du cycle de vie de ceux-ci (Becker, 1952 ; Van Zanten, 1990 ; Huberman, 1989 ; Dubar et Tripier, 1998; Dubar, 2000 ; Franck et Maroy, 1996 ; Léger, 1981 ; Léger et Tripier, 1986 ; Paquay, Altet, Charlier et Perrenoud, 1996 ; Sainsaulieu, 1977 ; Woods, 1981 ; Van Zanten et Grospiron, 2001). Les premières années dans le métier sont des années cruciales pour l’apprentissage du métier selon la revue de littérature citée par Ria, Sève, Durand et Bertone (2004).

On y distingue des façons d’être et de faire dans le métier : dans ses débuts (Educateur n°11, 2005 ; Ria, 2004), des stratégies pour y faire face, après quelques années de pratique, ou en fin de carrière. On met aussi en évidence que les carrières des jeunes enseignants commencent dans des établissements plutôt difficiles et que les enseignants les plus âgés et expérimentés se retirent dans des établissements situés dans des quartiers bourgeois (Léger, 1981).

Par définition, les enseignants débutants, souvent plus démunis que les autres, en train de chercher des repères, des outils pour exercer et surtout faire face à tout ce qui, dans le métier, les place aux limites de leurs compétences et de leurs convictions. Les novices et les expérimentés peuvent se distinguer par leur manière de concevoir leur métier, avec plus ou moins de stress, d’inconnues, d’incertitudes. Les débutants ne disposent pas encore des schèmes d’action ou d’un habitus professionnel, un certain recul, à mobiliser dans l’action. Les enseignants débutants auraient une vision plus partielle des choses, la vision du conducteur de nuit, tandis que l’expérimenté serait le conducteur du jour (Carbonneau et Hétu, 1996).

Les débutants ont moins d’assises institutionnelles ou sociales, leurs réseaux d’influence et de soutien ne sont pas encore constitués ; une bonne partie de leur travail est de lutter contre les autres, d’une manière symbolique, pour s’insérer dans la profession, pour être reconnus d’abord par les collègues les plus proches, ensuite par la hiérarchie scolaire.

Dans tous les métiers, les « bleus », c’est ainsi qu’on les surnomme doivent souvent montrer

« patte blanche », faire leurs preuves. Ils ne doivent pas se montrer plus intelligents et plus créatifs que leurs collègues, ils doivent cacher leur enthousiasme des débuts pour se fondre dans la masse et ne pas attirer inutilement ou encore plus, jalousement, l’attention des pairs. N’oublions pas que le métier d’enseignant est un métier dans lequel les rapports entre les pairs sont horizontaux, et l’on pense que chacun est remplaçable par un collègue plus disponible. Donc, on tente de cacher ou

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