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Chapitre 1 Mise en contexte de l’étude : la radio en Afrique et au Sénégal

1.5. La radio et la politique

L’influence de la radio dans le domaine politique ne s’est fait sentir que très tardivement, et ce, en raison de la monopolisation étatique. Néanmoins, au lendemain de l’avènement des radios privées, la situation a évolué, et trois facteurs expliquent ce changement. Il s’agit tout d’abord de l’intégration des langues nationales à la grille de programmes, en combinaison avec la diffusion d’émissions politiques. Jusqu’alors, le traitement de la politique n’avait intéressé, la plupart du temps, qu’une élite urbaine, grâce à la presse et à la télévision en langue française. Un exemple, révélateur de ce premier vecteur de changement, est sans nul doute le rôle joué par la radio et par tous les médias privés lors des élections présidentielles de 2000 au Sénégal, élections qui se sont soldées par la première alternance politique du pays. À ce sujet, Lo (2001 : 85) souligne que

[l]e rôle des médias privés a été unanimement reconnu comme décisif dans la transparence du processus, mais aussi et surtout dans la prise de conscience des citoyens sénégalais. En effet, le dynamisme de la presse privée relativement récente et essentiellement composée de jeunes journalistes utilisant les nouvelles technologies des télécommunications a indéniablement changé la donne.

Sissouma (2001 : 200) est du même avis et reconnait ainsi le rôle des médias et, plus particulièrement, celui de la radio :

L’élection présidentielle de février-mars 2000 au Sénégal, sanctionnée par une alternance à la tête de l’État, a été une illustration du poids des médias en général, et de la radio en particulier, dans la vie politique, notamment dans le contrôle de la transparence du processus électoral. Pour la première fois dans l’histoire politique du Sénégal, une élection était vécue en direct sur les ondes par la grâce de ce qu’un spécialiste des nouvelles technologies au Sénégal a appelé un « mariage réussi » entre la radio et le téléphone portable, moyen de liaison entre les nombreux reporters disséminés sur tout le territoire national pour rendre compte, jusque dans les moindres détails, de toutes les péripéties du scrutin présidentiel. La diffusion en temps réel des résultats au soir du second tour (à 22 heures, le choix des Sénégalais ne faisait plus l’ombre d’un doute) a largement contribué à annihiler les velléités de manipulation supposées ou réelles du suffrage.

Dans cette perspective, Sarr (2007 : 112) atteste que la radio est, sans conteste, « le principal instrument de démocratisation politique au Sénégal » parce qu’elle a permis de faire basculer les barrières linguistiques qui ont été, pendant longtemps, un frein sur le plan de la politique, particulièrement pour la population illettrée. Les médias, et plus particulièrement la radio, ont joué de nouveau ce rôle dans l’élection présidentielle de 2012. Ce qui confirme la place qu’occupe la radio dans le renforcement de la démocratie et dans l’éclairage du débat politique.

Par ailleurs, les deux autres facteurs qui ont marqué l’évolution de la radio sont l’organisation de débats politiques et, surtout, la création d’émissions interactives. Ces émissions interactives s’apparentent au talk radio, genre radiophonique né aux États-Unis dans les années 1920. Villeneuve définit le talk radio comme étant « un format radiophonique général qui désigne des émissions et des stations qui privilégient la parole et non la musique » (Villeneuve, 2004 : 15). L’organisation de ce format radiophonique

implique que l’animateur soit en discussion au téléphone avec ses auditeurs : il est ici question de tribunes téléphoniques, de lignes ouvertes ou, encore, d’émissions interactives. Chaperon (1998 : 53) souligne que

[l]es tribunes téléphoniques sont des émissions le plus souvent en direct qui font appel à la participation du public. Elles permettent aux auditeurs citoyens d’avoir accès aux ondes. Elles sont prises en charge par un animateur (parfois deux) qui échange avec les appelants. Cet animateur est parfois accompagné de spécialistes (au téléphone ou en studio) pour l’aider à répondre aux questions de l’auditoire ou commenter les propos des appelants.

Au Sénégal, ce format est apparu dans les années 1990, plus précisément avec l’avènement des radios privées. Il s’est très vite répandu grâce au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, à telle enseigne que le gouvernement sénégalais a pris des mesures, considérées comme sévères par les groupes de communication, pour lutter contre les dérapages en ondes. Le rôle de ces émissions interactives n’en demeure pas moins très important puisqu’elles « constituent des tribunes pour le Sénégalais qui a son mot à dire sur la gestion de la cité » (Thiobane, 2005 : en ligne). Ainsi, les radios sont devenues le lieu d’interpellation et d’expression citoyenne de tous les acteurs de la vie nationale (Sissouma, 2001 : 200). Selon Sarr (2007 : 107), les émissions interactives sont importantes parce que « c’est l’occasion pour les populations jusque-là habituées à une information officielle, centralisée et verticale, de s’exprimer sur les grandes questions politiques et sociales ». Pour Diagne (2008 : en ligne),

[l]es programmes de radio au Sénégal réservent une place de plus en plus importante à l’expression personnalisée et directe de leur public. Pour beaucoup, et notamment pour les journalistes qui se sont chargés de la promotion de cet « espace public élargi », le développement de ces nouvelles technologies de représentation (micro-trottoir, plateaux forum, inserts téléphoniques, etc.) participe d’un mouvement de symétrisation des statuts du spectateur et du médiateur dont l’ambition est d’assouplir les critères de légitimité réglant la distribution du droit à prendre la parole en public.

L’une des plus célèbres tribunes téléphoniques au Sénégal est diffusée par la radio Sud FM du lundi au vendredi après les brèves de 17h. Il s’agit de Wax sa Xalat, qui signifie « donner son opinion ». Durant cette émission, présentée en wolof, les auditeurs donnent leurs avis sur l’une des nouvelles politiques ou sociales qui a marqué l’actualité de la

journée, et un journaliste est présent pour intervenir, recentrer le débat et tenter d’éviter les dérives. La radio Oxy-jeunes constitue aussi un exemple de choix puisque cette radio communautaire est devenue un instrument d’expression de la citoyenneté :

Le développement des radios communautaires au Sénégal est, notamment, un élément désormais important de structuration du débat entre les élus locaux et les administrés; débat qui déborde ses frontières traditionnelles (les meetings et périodes électorales) et qui emprunte le canal des radios de proximité pour interroger l’action quotidienne des élus comme ce fut le cas avec l’alternance en 2000. La radio communautaire est devenue un contre-pouvoir de l’action des élus locaux, un instrument et un outil incontournable de la culture démocratique qui participe à la structuration de l’espace public; et c’est tout particulièrement vrai pour les émissions interactives de cette forme de radio qui sont autant de « passerelles médiatiques » (Diagne, 2008 : en ligne).

Ainsi, grâce, notamment, à son émission intitulée Dialogue communal, Oxy-jeunes permet un « dialogue » entre les hommes politiques et les populations locales. Plus spécifiquement, au cours de cette émission, diffusée tous les lundis à 22h30, le maire et les élus locaux d’une commune d’arrondissement de la localité de Pikine sont invités à répondre aux questions sur leur gestion budgétaire, leurs réalisations et leurs projets pour la cité. Les auditeurs peuvent les interpeler, au téléphone et en wolof, à propos des problèmes qui les préoccupent. De ce fait, la radio tente de devenir la « voix des sans-voix », pour reprendre l’expression de Diagne (2008 : en ligne). Les émissions interactives aident alors à clarifier le débat politique et à le simplifier pour le mettre à la portée de tous les citoyens. Nous pouvons ainsi dire que la radio permet la vulgarisation de la culture démocratique car elle soutient et contribue à assoir la démocratie, qui est généralement un vecteur de paix. D’ailleurs, dans la section qui suit, nous allons voir le rôle que joue la radio dans les zones de conflit en Afrique.