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Chapitre 2 État de la question et cadre d’analyse

2.5. Vers une analyse des personnages charismatiques et de la rhétorique populiste

2.5.1. Définitions

Le terme charisme vient du mot grec charisma, qui signifie « don » ou « faveur » (NPR, 2012). Charisme est défini, selon Max Weber (1971 : 249), comme

la qualité extraordinaire […] d’un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de force ou de caractères surnaturels, ou surhumains, ou tout au moins en dehors de la vie quotidienne, inaccessibles au commun des mortels ou encore qui est considéré comme un envoyé de Dieu ou comme un exemple, et en conséquence, considéré comme un chef.

Ce sont surement ces qualités extraordinaires qui font en sorte qu’on attribue aux personnalités ou aux leaders charismatiques une vocation et un rôle très importants. De ce fait, Dorna (2006 : 1) insiste sur « l’importance du rôle, du statut et des comportements des leaders charismatiques » en ce sens que le « leader assume les fonctions de transformation, d’inspiration, de considération, d’encouragement. Bref, le leader charismatique incite les membres du groupe à se dépasser eux-mêmes pour la réussite de l’ensemble ». C’est pourquoi charisme est en général utilisé de manière étroite avec le terme populisme, qui est apparu au XIXe siècle en Russie avant de se développer aux États-Unis. Dorna (1999) soutient qu’à chaque fois qu’on parle de populisme, le sujet est à mettre en rapport avec l’évolution même de la société de laquelle il est question puisque le populisme ne se présente pas au gré du hasard. Dorna (1999 : 8) mentionne à cet effet que « l’émergence du populisme est associée généralement à un syndrome de désenchantement. C’est un moment d’épuisement culturel, faute de confiance dans l’avenir et d’une dose létale de

conformisme ». En d’autres termes, ce sont généralement les crises, tant sur le plan social qu’économique, qui constituent les conditions d’apparition du populisme.

Il est important de noter que de nombreux auteurs s’accordent sur le fait qu’il est difficile de trouver une définition de populisme qui soit commune et qui fasse l’unanimité. Souchard (2007b : 8) reconnait d’ailleurs ce fait puisque, selon elle, « la bibliographie est relativement pauvre à ce sujet [le populisme] ». Elle souligne toutefois que le terme est étrangement devenu à la mode. Hermet (2001 : 19) est du même avis et mentionne que « ceux qui étudient le populisme s’accordent sur un seul point. Tous reconnaissent la difficulté, voire l’impossibilité de lui trouver une définition capable de couvrir ce que peuvent avoir en commun ses manifestations si diverses dans le temps et dans l’espace ».

Pour Hermet, l’une des raisons fondamentales expliquant l’absence de compromis dans les définitions est que la majorité des auteurs qui travaillent sur le concept ont seulement fait des études de cas d’un point de vue géographique (États-Unis, Russie, Europe, etc.). Ainsi, Hermet (2001 : 30) considère que

[l]es bons auteurs sont les premiers à convenir du caractère défectueux de leurs définitions savantes. Mais il faut voir que si ces définitions se révèlent tellement partielles et contradictoires en dépit de leur dessein de saisir le populisme dans son noyau ultime, c’est aussi que les spécialistes qui les ont élaborées n’ont, pour la plupart, considéré que certains de ses épisodes historiques tout en croyant appréhender au travers de ces moments non reproductibles sa manifestation générale la plus généralisable.

Dans ce sens, Bardie (1997 : 226) ajoute que l’imprécision de la notion « tient pour beaucoup à la richesse et à la diversité des expériences qu’elle recouvre ». Dorna (2006 : en ligne) souligne que

[l]e populisme parcourt le monde en semant « trouble » et « émoi » au sein des sociétés politiques contemporaines. C’est un phénomène dont le suremploi

polysémique permet toutes les combinaisons possibles : il y aurait ainsi un

populisme de gauche ou de droite, démocratique ou réactionnaire, solidariste ou xénophobe, communautaire ou républicain ? C’est un mot, donc, qui décourage

toutes les typologies et toutes les tentatives de définition. Bref, c’est un terme facile à amalgamer, à diaboliser et à appliquer à n’importe quelle situation de

crise ou à n’importe quel homme politique de caractère.

C’est cette polysémie du terme qui pousse Paveau (2012) à l’appeler « le mot voyageur ». Il est à noter qu’aujourd’hui, le mot populisme est de plus en plus utilisé de façon péjorative. En effet, comme le souligne Taguieff (1997 : 5), « le terme ‘‘populisme’’est redevenu, dans les années 1990, un terme péjoratif, de strict usage polémique ». Pour lui (1997 : 4),

[l]es usages récents du mot « populisme » semblent avoir pris le même pli que ceux du mot « fascisme » dans le langage ordinaire : le suremploi polémique a fait de ce terme une étiquette disqualificatoire et un opérateur d’amalgame permettant de stigmatiser, en les rassemblant abusivement, un certain nombre de phénomènes socio-politiques ou de leaders jugés détestables ou redoutables par celui qui les dénonce.

Toutefois, comme l’admet Bouchard (2006 : 9), certains auteurs ont tenté de donner une définition universelle au terme, et ce, en mettant l’accent sur tous les aspects qui l’entourent, malgré sa nature équivoque et son acception plutôt négative. Ainsi, pour Souchard (2007b : 8), le populisme renvoie à

[t]out mouvement, doctrine ou idéologie qui prétend exprimer, à la place d’un peuple muet et paralysé, les désirs de ce peuple en agissant à sa place, incarnant dans un chef la volonté du peuple ainsi directement représenté. Révélateurs des « complots » qui menacent le peuple, ordonnateur de la ligne (« route ») à suivre, porteur du discours des sans-voix, garant de l’intégrité nationale, préservateur des valeurs traditionnels dont le peuple est issu, vilipendant les élites et les dirigeants, en appelant au « bon sens » et à la « sagesse populaire ». De cette définition, il est important de retenir l’existence d’un chef, d’une personne influente à tout point de vue et qui est capable de rassembler différents individus. D’ailleurs, nous trouvons d’autres indications du même type chez Bouchard : ce dernier considère le populisme comme un « phénomène de masse sporadique, une poussée de démocratie directe, attisée par un leader qui sait canaliser et qui peut y juxtaposer une dimension idéologique plus ou moins forte » (Bouchard 2006 : 11). Il (2006 : 15) admet aussi que l’utilité d’un « chef populiste » dans un « mouvement populiste » est double en ce sens que ce chef doit être un mentor, mais doit aussi pouvoir mobiliser les populations. C’est pourquoi ce chef peut être considéré comme un personnage charismatique puisqu’il utilise « la voie de la séduction par l’image et le discours » (Bouchard, 2006 : 19). Dorna

(1999 : 12) abonde également en ce sens et souligne qu’il y a existence d’un homme « providentiel charismatique » puisque « la personnalisation et l’adhésion à un homme est l’apanage du populisme ». Nous retiendrons donc que le charisme des hommes publics est définitoire du concept de populisme, ce qui veut dire qu’il n’y a pas de populisme sans leader charismatique, et que, par conséquent, pour faire du populisme, il faut développer ou construire un ethos charismatique.

Par ailleurs, pour Taguieff (1997 et 2007), le populisme est sorti du langage savant pour s’inscrire désormais dans l’espace polémique occupé par les acteurs politiques, les journalistes et les intellectuels médiatiques. Les médias ont donc contribué à la définition contemporaine des concepts de populisme et de charisme, ces derniers constituant des instruments de choix pour attirer le public. Comme le souligne Dorna (1999 : 41), « la rhétorique populiste médiatique est d’autant plus puissante qu’elle semble s’adresser à chacun en particulier ».

La radio et la télévision constituent les médias privilégiés de la rhétorique populiste, et ce, grâce à l’importance du public qu’elles peuvent atteindre. C’est d’ailleurs pourquoi le terme

télépopulisme a vu le jour pour référer à l’usage que font les hommes politiques de la

télévision dans le but de « charmer l’opinion » (Duhamel, 1995 : en ligne)16. La question principale qui émerge est dès lors de savoir comment le charisme et le populisme se construisent à travers la radio et la télévision.