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Chapitre 2 État de la question et cadre d’analyse

2.4. Les différents courants

2.4.2. Analyse argumentative du discours

2.4.2.3. Le pathos

Troisième élément de la trilogie des preuves d’Aristote, le pathos renvoie à la partie de l’argumentation qui fait appel aux émotions, et ce, dans le but de persuader l’auditoire (Meyer, 2005 : 118). Le pathos a été ignoré pendant très longtemps parce que des penseurs, comme Descartes, valorisaient l’esprit et non l’émotion, cette dernière étant considérée comme un frein au bon raisonnement, alors que certains théoriciens de l’argumentation, comme Van Eemeren et ses collaborateurs (Eemeren, 1996 : 2), sont contre l’intrusion des émotions dans l’analyse de l’argumentation. De plus, Perelman, dans sa nouvelle rhétorique, n’a pas tenu à examiner le pathos aristotélicien, bien qu’il reconnaisse la trilogie des preuves. Selon Meyer (2005 : 103), Perelman « subordonne » l’ethos et le pathos au logos « au nom de la rationalité de l’argumentation ». C’est ainsi que Meyer (2005 : 103) justifie l’introduction de « l’idée d’un auditoire universel, qui est le pathos soumis à la raison même, un pathos rationnel en somme ou plutôt, raisonnable, c’est-à-dire accessible à des arguments destinés à le raisonner ».

L’importance du pathos dans l’argumentation est néanmoins réanalysée par Walton (2000) et par Meyer (1991, 1993), qui optent pour la pertinence et la légitimité des émotions dans le discours. Simonet et Simonet (1990 : 131) acceptent aussi cette légitimité des émotions puisqu’ils mentionnent que, « par le biais des émotions, l’argumentation fait appel aux pulsions de base et suscite des réactions plus immédiates. C’est donc une démarche efficace ». Également, des chercheurs, comme Charaudeau (2000), Plantin (1997, 1998), Plantin, Doury et Traverso (2000) et Amossy (2000, 2010 [2000]), sont conscients de l’effet des émotions sur l’auditoire et c’est ce qui les poussent à s’intéresser, dans leurs travaux, à cet aspect. Pour Charaudeau (2000 : 136), l’analyse du discours se différencie de la psychologie et de la sociologie des émotions

[puisqu’elle] ne peut s’intéresser à l’émotion comme réalité manifeste, éprouvée par un sujet. Elle n’en a pas les moyens méthodologiques. En revanche, elle peut tenter d’étudier le processus discursif par lequel l’émotion peut être mise en place, c’est-à-dire traiter celle-ci comme un effet visé (ou supposé), sans jamais avoir de garantie sur l’effet produit. Ainsi, l’émotion est considérée hors de l’éprouvé, et seulement comme un possible surgissement de son « ressenti » chez un sujet particulier, dans une situation particulière.

Dans le discours, le pathos renvoie aux valeurs des individus, aux sentiments que ces valeurs font surgir : injustice, joie, crainte, honte, confiance, pitié, mépris, indignation, euphorie, enthousiasme, espoir, angoisse, colère, etc. Les locuteurs recourent alors aux émotions pour que leurs discours aient plus d’impact sur les publics ciblés.

Walton (2000) recommande une certaine prudence relativement aux appels aux sentiments, appels qui peuvent être perçus comme une tentative de manipulation. Walton (2000 : 305) souligne que les appels à l’émotion – tels que l’appel à la peur, à la pitié, etc. – sont puissants et que, de ce fait, ils peuvent être utilisés comme des « techniques de distraction s’ils sont utilisés au bon moment dans un dialogue, les appels aux émotions peuvent avoir un poids argumentatif plus puissant à tel enseigne qu’ils peuvent être un moyen de manipuler le récepteur du message ». Amossy (2010 [2000] : 163) ajoute alors que les émotions

peuvent aveugler devant les faits, induire à l’exagération et entraver les processus de pensée ordinaire. Ainsi, l’appel à l’émotion devient fallacieux non pas parce qu’on a simplement recours au sentiment, mais lorsqu’on le mobilise au point qu’il entrave la capacité à raisonner.

D’ailleurs, pour Amossy, il existe un lien étroit entre l’émotion et la rationalité parce que les indicateurs du logos rejoignent le plus souvent ceux du pathos. C’est pourquoi, dans son analyse argumentative du discours, Amossy (2010 [2000] : 166) opte pour une « intrication constitutive » du logos et du pathos, refusant ainsi de voir « l’émotion [comme] une interférence indue ». Ainsi, nous constatons que les émotions sont d’une importance capitale dans le processus de persuasion.

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L’ethos, le logos et le pathos sont indispensables dans les discours qui visent à faire pression sur un auditoire. Dans notre analyse, nous verrons aussi l’impact de chacune de ces dimensions sur le discours. Rappelons cependant que les notions d’ethos et de pathos ont longtemps été ignorées par les analystes du discours, et ce, au profit du logos, qui, pour certains, « concerne l’argumentation proprement dite du discours » (Reboul, 2011 [1991] :

60). Ainsi, si certains chercheurs en sont à se demander s’il est nécessaire d’utiliser les trois concepts dans leur analyse, Amossy choisit, quant à elle, une analyse superposée. Pour elle, le logos et le pathos sont liés et elle parle ainsi de l’imbrication de l’émotionnel et du rationnel dans l’argumentation. C’est ce qui justifie le fait que, sur le plan méthodologique, Amossy opte pour une approche multidimensionnelle, qui combine les approches langagière, communicationnelle, dialogique, générique, stylistique et textuelle. Chacune de ces approches a son importance dans l’analyse argumentative du discours, et leur combinaison dans une même analyse rend cette dernière plus complète et plus fine. Ainsi, à la suite d’Anscombre et Ducrot (1988), tenants de l’argumentation dans la langue, Amossy (2010 [2000]) postule que le discours argumentatif se construit dans le langage, de par les différents cadres d’énonciation ainsi que par les choix lexicaux que le locuteur fait. Dans le cadre de l’approche communicationnelle, la situation de communication doit être prise en compte puisqu’elle détermine la construction argumentative et que l’argumentation s’articule autour de l’auditoire et du rapport d’interlocution (Amossy 2010 [2000] : 31).

L’approche dialogique rend compte de la relation interactionnelle entre les participants. En effet, le but de l’argumentation est d’agir sur l’interlocuteur et de ce fait, il y a influence mutuelle entre les participants. L’approche générique rend compte des différents types et genres de discours produits au cours d’une interaction. L’étude des genres de discours permet de mettre en lumière les buts de l’interaction, ses cadres d’énonciation et les rôles et places que chacun joue au cours de la rencontre. Comme le locuteur peut recourir aux figures de style en vue de persuader son public, l’approche stylistique rend compte des différents procédés utilisés et de leur impact réel sur l’auditoire. Cependant, il est à noter que la figure est de nature ornementale ou esthétique, ce qui signifie qu’elle est toujours marquée par rapport à la norme, alors que sa visée argumentative est une fonction qui peut ou non être utilisée par le locuteur15. En ce sens, Reboul (2011 [1991] : 121-122) remarque que « la figure rhétorique est fonctionnelle » dans le sens où « elle serait une prime de jouissance, un agrément stylistique pour faire passer l’argument ». Perelman et Olbrechts- Tyteca (2008 [1958 : 229) tout en distinguant l’ornement de la fonction argumentative, avaient déjà évoqué cette idée et ajoutent que la figure a une fonction argumentative si,

15

[e]ntraînant un changement de perspective, son emploi paraît normal par rapport à la nouvelle situation suggérée. Si par contre, le discours n’entraîne pas l’adhésion de l’auditeur à cette forme argumentative, la figure sera perçue comme ornement, comme figure de style. Elle pourra susciter l’admiration, mais sur le plan esthétique, ou comme témoignage de l’originalité de l’orateur. Enfin, l’approche textuelle permet de voir les « procédures de liaison qui commandent [le] développement » du discours argumentatif (Amossy, 2010 [2000] : 32).

2.5. Vers une analyse des personnages charismatiques et de la