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Chapitre 4 Structure des émissions

4.1.1. Ouverture des émissions

4.1.1.1. Ouverture des émissions en solo

Bien que qualifiées d’émissions « en solo », ces dernières ne constituent pas pour autant des soliloques : en effet, l’animateur est devant un public avec lequel il est en contact et qu’il doit « influencer », pour reprendre le terme de Goffman (1987 [1981]), c’est-à-dire informer, intéresser, convaincre, séduire. D’ailleurs, Goffman (1987 [1981] : 148) stipule que

[l]a parole radiodiffusée ou télévisée s’adresse à des récipiendaires imaginaires, avec même une forte tendance à faire comme s’il n’y avait qu’un seul auditeur. La parole télédiffusée [ou, dans notre cas, la parole radiodiffusée] adopte donc un style conversationnel, simulé bien sûr puisque les véritables récipiendaires ne sont pas là pour le faire naitre.

C’est sans doute la raison pour laquelle les émissions analysées respectent le schéma global, avec les rituels d’ouverture et de fermeture de l’interaction, et ce, bien que les actes de langage de chaque séquence n’entrainent pas de réactions qui puissent être perçues par l’animateur. Dans notre corpus, certaines composantes des ouvertures sont constantes, notamment les invocations et les salutations, alors que d’autres sont spécifiques à un animateur ou dépendent du sujet du jour. Nous voudrions néanmoins mettre l’accent sur les épisodes d’ouverture qui varient non seulement d’un animateur à l’autre, mais aussi d’une émission à l’autre. En effet, même si une partie de l’ouverture revient chaque fois, il y a très souvent d’autres informations qui viennent s’y greffer selon le sujet du jour ou selon l’actualité, comme le montrent les exemples 1 et 2.

Dans l’exemple 1, l’animateur Sall ouvre l’interaction par une invocation, puis salue formellement les auditeurs. Il enchaine avec une seconde invocation et avec la présentation

de l’émission, puis formule une autre invocation en souhaitant la paix dans le pays et dans les pays limitrophes du Sénégal. Ces invocations et cette ouverture en général sont ritualisées chez cet animateur et lui sont, pour ainsi dire, propres.

Exemple 1

Au nom d’Allah, le Miséricordieux. Mon seigneur, épanouis mon cœur, facilite ma mission et délie une défectuosité de ma langue afin qu’ils comprennent ce que je dis [invocation]. Chers auditeurs qui nous écoutez, que la paix, la miséricorde et la bénédiction d’Allah soient avec vous [salutations].

Nous sommes au matin et la Royauté appartient à Allah. Louange à Allah. Il n’y a pas de divinité en dehors d’Allah, et Allah est le plus Grand Seigneur, je Te demande le bien de cette journée et le bien qui vient après elle, et je me réfugie auprès de Toi contre le mal de cette journée et le mal qui vient après elle. Seigneur, je me refugie auprès de Toi contre le châtiment du feu et le châtiment de la tombe [invocation].

Chers auditeurs, Sud FM votre radio vous revient, par la puissance de notre Seigneur tabaaraka wa ta-ala, [qu’Il soit exalté], avec wahtaanu fajar [nom de l’émission] qu’il diffuse tous les jours à cette heure-ci avec votre animateur Oustaaz Alioune Sall [présentation de l’émission].

Après avoir rendu grâce à Allah le Tout Puissant, et prié sur le prophète, paix et salut sur lui, nous prions le Seigneur de faire la paix dans le pays et dans les pays environnants [dernière invocation] (Sall, 28 janvier, solo).

Dans l’exemple 2, l’animateur Socé ouvre l’interaction par une invocation qu’il utilise au début de chaque émission, ce qui lui confère d’entrée de jeu une signature personnelle reconnaissable par tous, puis il salue les auditeurs. En félicitant les musulmans, il met l’accent sur la célébration de l’anniversaire de la naissance du prophète (Paix et Salut sur Lui), célébration qui venait d’avoir lieu. Ces félicitations amorcent des salutations complémentaires qui comprennent aussi un rappel, ce qui lui permet de toucher un sujet concernant les différentes fêtes au Sénégal et leur tendance à la prolifération. Il déplore enfin le fait que ce soit des enfants musulmans qui sont généralement les principaux organisateurs et vulgarisateurs de fêtes qui n’ont aucun fondement religieux ni culturel. Ainsi, nous voyons qu’il profite de l’actualité pour intégrer d’autres commentaires à son introduction, et ce, avant de se concentrer sur le sujet de l’émission du jour.

Exemple 2

Louanges à Allah, le Seigneur des mondes, paix et salut sur le guide des musulmans, imam des prophètes, notre messager le bien-aimé, Mohamed, paix et salut sur lui, ainsi que sa famille et ses compagnons, qu’Allah fortifie sa religion et accepte ses prières jusqu’à la fin des temps [invocation].

Chers auditeurs qui écoutez la Radio Futurs Médias, nous revenons par la puissance d’Allah, nous rendons hommage38 à tout le monde en ce vendredi [salutations], nous félicitons aussi les musulmans qui viennent de fêter le Gamou qui célèbre l’anniversaire du prophète Mouhamed (Paix et Salut sur

Lui), qu’on a fait revivre, qu’on s’est rappelé partout dans le monde surtout

dans notre pays, dans tous les endroits, qu’importe la distance, dans n’importe quel endroit où tu vas, tu vas trouver des tentes, les gens ont tout laissé, certains ont pris leur richesse, ont tout fait pour célébrer la nuit du prophète, le fait que ce jour tombe sur la naissance du prophète (Paix et Salut sur Lui) [félicitations].

Tout cela est important, comme je le dis, nous créons toutes sortes de fêtes maintenant, et quand nous les créons, c’est notre famille, nos enfants qui y vont, le 11 mai célèbre le gamou de Bob Marley, nous pensons que tout le monde en a entendu parler, la Saint-Valentin, c’est une fête que nous, nous ne connaissions pas, mais maintenant, elle se développe, le 14 février, toute personne que tu aimes, tu peux lui offrir des fleurs et des choses de ce genre. Et on n’a pas cherché à savoir d’où elle venait. On dit que le Sénégal, ardun hisba, est un pays prospère, tout ce que tu y sèmes pousse, maintenant, maintenant, la Saint-Valentin, nous la célébrons plus que ceux qui la connaissent et l’ont créée. Toutes ces fêtes que nous fêtons, alors que nous sommes des musulmans, ce sont nos enfants, des Fatima, des Zeynab et des Rokhaya, des disciples de Serigne Touba, c’est la famille de El Haj Malick Sy39, la famille de Mouhamad, qui le célèbrent, qui le font et qui font même des choses qui ne sont pas acceptées dans leur religion, et tout le monde le sait [rappel] (Socé, 5 mars, solo).

Cette dernière partie marque la transition vers le corps de l’interaction. La délimitation des séquences d’ouverture est relativement aisée à faire puisque les épisodes qui la composent sont ritualisés. De plus, la transition vers le corps de l’interaction, c’est-à-dire l’entrée dans le vif du sujet, est aussi composée d’énoncés qui introduisent ou préparent l’auditeur à la suite. C’est ce que Schegloff (1980) a appelé les pré, renvoyant à des énoncés préalables et à des préliminaires. Ce sont des « marques explicites » qui, selon Vincent (2001 : 187),

38 Ziaar, que nous avons traduit ici par rendre hommage, est un terme typique de la société sénégalaise. Il

était surtout utilisé à l’origine pour saluer les dignitaires religieux, mais il s’est propagé dans toute la société. Il peut aussi être traduit par saluer dans certains cas.

39 Il y a deux grandes familles religieuses au Sénégal : les mourides et les tidianes. Les deux personnes citées

« servent à signaler une intention ou à diriger (ou redresser) une interprétation ». Pour l’auteure, ce ne sont pas uniquement des marqueurs discursifs qui contribuent à préparer l’interlocuteur. En effet, elle (2001 : 188) souligne que,

[e]n tant qu’action sociale, cette annonce donne des indications sur les contraintes, les permissions, les droits et les privilèges des interlocuteurs, tout comme elle indique les attentes du locuteur quant à la reconnaissance de son statut et qu’elle donne simultanément à inférer des croyances et des valeurs partagées.

C’est ce que nous voyons dans l’exemple suivant, Sall faisant un rappel de l’émission précédente pour marquer la transition vers le thème du jour :

Exemple 3

Hier à la fin de l’émission, j’étais sur un point important qui est le second point, sur le devoir du musulman face au temps, et c’est quoi le farax? Et c’est avoir du temps et l’exploiter dans ce qui est utile, hier j’avais pris l’exemple des sacs que nous apportent les anges, « salaamun xiya xattaa matla-il fajri », à chacun d’entre nous, dès le coucher du soleil, on t’apporte un sac, au coucher le lendemain, on le prend et le rapporte. Je dis qu’on te, qu’on te donne 365 sacs pendant toute l’année, 365 sacs, notre Seigneur dit dans le Coran que, « wa

tanzurr nafsun maa haddamat li hadd », que chacun d’entre nous, regarde ses

sacs, ses sacs qui sont partis, combien en a-t-il mis (Sall, 14 janvier, solo)?

L’animateur Socé, quant à lui, ne fait pas toujours une transition entre l’ouverture et le corps, ce qui fait que, la plupart du temps, elle n’est pas marquée autrement que par l’introduction du thème du jour, sauf dans certains cas où des commentaires sur l’actualité marquent cette transition, comme en témoigne l’exemple 2.