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R´ egimes de vitesse

CHAPITRE 10 : FORMATION DU BOURRELET

10.3 Film visco´ elastique

10.3.1 R´ egimes de vitesse

Notre but est ici de faire ressortir les lois d’´echelle qui caract´erisent le d´ emouil-lage d’un tel liquide visco´elastique ; cette tache est rendue possible par la tr`es grande diff´erence entre les deux temps caract´eristiques τi et τr (typiquement, plu-sieurs ordres de grandeur les s´eparent). Apr`es l’application d’une contrainte, le comportement de ce liquide visco´elastique peut sch´ematiquement ˆetre s´epar´e en trois phases (cette description est encore un peu plus simplifi´ee que celle propos´ee au chapitre pr´ec´edent) :

- Aux temps plus courts que τi le mat´eriau se comporte comme un liquide newtonien de viscosit´e ηi faible, car les enchevˆetrements ne se sont pas encore fait sentir.

-Aux temps compris entre τi et τr le mat´eriau se comporte comme un solide ´

elastique de module E, car les contraintes dues `a la viscosit´e ηi sont faibles par rap-port aux contraintes ´elastiques, et parce que la relaxation des contraintes ´elastiques n’a pas eu le temps d’op´erer. Dans ce r´egime on peut d´efinir la viscosit´e effective ηef f = Et [31].

- Aux temps longs par rapport au temps de relaxation τr, la relaxation des contraintes ´elastiques donne au mat´eriau le comportement d’un liquide newtonien de grande viscosit´e η.

On s’attend naturellement `a ce que ces trois r´egimes se retrouvent au cours du d´emouillage : aux temps courts par rapport `a τi, l’avanc´ee du front de d´emouillage se fait `a la vitesse constante :

Vi = |S| √

2ζηih0 (10.22)

et s’accompagne de la naissance d’un bourrelet asym´etrique de largeur ∆i = ph0ηi/ζ. Aux temps longs par rapport au temps de relaxation τr, la vitesse de d´emouillage se stabilise autour de la vitesse V = |S|/√

2ζηh0 = Vii/η  Vi, et la largeur du bourrelet, toujours asym´etrique, est de l’ordre de ∆ =ph0η/ζ = ∆ipη/ηi  ∆i. Entre ces deux r´egimes, le comportement ´elastique du film conduit donc `a une forte diminution de la vitesse de d´emouillage. La relation V /Vi =pτir nous conduit simplement `a proposer la loi

V (t) ' V  t τr −1/2 = |S| √ 2ζEh0t (10.23)

valable entre les temps τiet τr. Cette loi d’´echelle peut aussi ˆetre ´etablie en utilisant la viscosit´e effective ηef f = Et dans l’expression (10.8) (cette derni`ere m´ethode nous a ´et´e propos´ee par de Gennes).

On peut comprendre cette d´ecroissance de la vitesse de d´emouillage grˆace au bilan ´energ´etique (10.18), en supposant que la dissipation visqueuse et la variation de l’´energie ´elastique du film sont plus petites ou ´egales `a la dissipation due `a la friction. Il nous suffit pour cela de d´eterminer l’´evolution de la hauteur H(t) du bourrelet au cours du temps, dont l’´equation diff´erentielle d´eduite de (10.6), (10.9) et (10.21) s’´ecrit : |S| H + τr d dt  |S| H  = τrE ˙ H H + τi d dt H˙ H ! (10.24)

La r´esolution de cette ´equation donne une croissance lin´eaire de H(t) `a la vitesse |S|/ηi aux temps courts o`u la rh´eologie est quasi-newtonienne. Autour du temps τi, la hauteur atteint la valeur H0 ' h0 + |S|/E (dans la limite |S| < h0E, plus

g´en´eralement, l’expression de H0 est donn´ee par la relation (H0/h0) ln (H0/h0) = |S|/(h0G)). L’´elasticit´e du mat´eriau se fait alors sentir et ralentit consid´erablement la croissance de H, dont le taux se fixe autour de |S|/η : H0 ' h0 + |S|(1 + t/τr)/E. La hauteur du bourrelet est ainsi approximativement constante pendant le r´egime ´elastique, entre les temps τi et τr. La conservation du volume impose alors `a la largeur W (t) du bourrelet d’augmenter proportionnellement `a la distance d´emouill´ee L(t) :

W ' Eh0

|S| L (10.25)

On peut ainsi r´e´ecrire le bilan ´energ´etique (10.18) sous la forme

|S|V ' ζEh0 |S| LV

2 (10.26)

ce qui donne directement la loi de vitesse (10.23). La d´ecroissance de la vitesse de d´emouillage dans le r´egime ´elastique est donc due, comme pour le bourrelet mature, `a un ´elargissement du bourrelet. Le taux de croissance de la largeur du bourrelet est ici maximum, car la hauteur du bourrelet est constante. La dynamique ´

etant domin´ee par la friction, cette croissance maximale de W s’accompagne d’une d´ecroissance maximale de la vitesse de d´emouillage. Ainsi, une d´ecroissance de la vitesse plus rapide que t−1/2 ne peut pas ˆetre obtenue, quelque soit la rh´eologie du liquide (visco´elastique ou rh´eofluidifiant par exemple), si la friction domine et d´epend lin´eairement de la vitesse de glissement. Remarquons que nos r´esultats montrent qu’un film purement ´elastique d´emouille dans cette g´eom´etrie sur une distance infinie avec une loi de vitesse en t−1/2. Cela est dˆu au fort glissement qui permet au film d’avancer ind´efiniment tout en ne subissant que des d´eformations finies. Ce n’est pas le cas en g´eom´etrie cylindrique o`u la d´eformation en bord de trou est proportionnelle au rayon qui ne peut donc pas d´epasser R0 si le film est purement ´elastique.

Nous avons confirm´e ces pr´edictions par une r´esolution num´erique des ´equations (10.4) et (10.9) de l’´ecoulement avec la loi rh´eologique (10.21). Le tr`es bon ac-cord entre les r´esultats num´eriques et analytiques (voir fig. 10.11 et 10.12) indique

1,1 1,2 1,3 1,4 1,5 1,6 1 10 100

Fig. 10.11 – Calcul num´erique de l’´evolution de la hauteur du bourrelet H/h0 pour un film visco´elastique (τr = 100 τi, et h0E/|S| = 10) en fonction du temps t/τi.

0,01 0,1

1 10 100

-1/2

Fig. 10.12 – Calcul num´erique de l’´evolution de la vitesse de d´emouillage V /Vi

d’un film visco´elastique (τr = 100 τi, et h0E/|S| = 10) en fonction du temps t/τi. La ligne droite repr´esente une d´ecroissance en t12.

que l’hypoth`ese selon laquelle la dissipation visqueuse et la variation de l’´energie ´

elastique du film sont inf´erieures ou ´egales `a la dissipation interfaciale est justifi´ee. En fait, on peut facilement montrer par un calcul en loi d’´echelle qu’entre les temps τiet τr l’augmentation de l’´energie ´elastique du film est du mˆeme ordre de grandeur que la dissipation due `a la friction.

D’apr`es le mod`ele que nous avons pr´esent´e ici, la visco´elasticit´e des films de polym`eres peut expliquer deux faits exp´erimentaux importants rapport´es dans [24, 91] :

(a) La largeur du bourrelet augmente proportionnellement `a la distance d´emouill´ee car l’´elasticit´e empˆeche la hauteur du bourrelet de d´epasser H0 entre les temps τi et τr.

(b) La vitesse initiale de d´emouillage `a partir des bords droits est plusieurs ordres de grandeur au dessus de la vitesse d’ouverture des trous. Cela est dˆu au fait que la vitesse d’un front rectiligne est initialement grande (Vi = |S|/√

2ζηih0 = pη/ηiV est ind´ependante de la viscosit´e aux temps longs η), et qu’elle diminue progressivement jusqu’au temps τr. La vitesse initiale d’ouverture d’un trou est elle aussi ´elev´ee, mais elle chute brutalement au temps τi pour atteindre une valeur faible, inversement proportionnelle `a η. Le temps τi se situant en g´en´eral avant le d´ebut des observations, la vitesse initiale d’ouverture d’un trou paraˆıt bien plus faible que la vitesse d’avanc´ee d’un front.

D’un autre cˆot´e, la loi de d´ecroissance en t−1/2 que l’on pr´edit ici est bien plus lente que la loi en t−1 observ´ee exp´erimentalement. Une cause possible est la pr´esence de contraintes r´esiduelles. Nous allons voir dans la sous-section qui suit que leur pr´esence acc´el`ere effectivement la d´ecroissance de la vitesse de d´emouillage, mais pas de fa¸con suffisante pour rendre compte des observations exp´erimentales.