• Aucun résultat trouvé

Formation d’enchevˆ etrements

CHAPITRE 5 : R ˆ OLE DES CHAˆ INES GREFF´ EES EN FRICTION 57

5.3 Effets collectifs

5.3.1 Formation d’enchevˆ etrements

Suite aux fluctuations de leurs orientations autour de la direction du glissement, des chaˆınes greff´ees dont les points de greffage sont distants de moins de d peuvent se croiser et ´eventuellement s’enchevˆetrer. Bien sˆur, tous les enchevˆetrements n’ont pas la mˆeme dur´ee de vie, et pas la mˆeme importance. Certains enchevˆetrements serons fugaces, tandis que d’autres pourrons ˆetre quasi-permanents. L’id´ee que nous allons d´evelopper dans cette section est que des enchevˆetrements permanents pourraient modifier de fa¸con non n´egligeable l’orientation moyenne des chaˆınes qui p´en`etrent dans l’´elastom`ere en mouvement.

Nous avons vue dans les sections pr´ec´edentes qu’une chaˆıne peut ˆetre repr´esent´ee pendant la phase de r´etraction hors de l’´elastom`ere par un enchaˆınement de blobs aplatis de rayon l = a2N/d si d > R0, et par un seul blob aplati de rayon R0 si d < R0 (voir fig. 5.4). On rappelle que pour une chaˆıne ´etir´ee, les blobs sont d´efinis comme les plus grosses sous unit´e de la chaˆıne dont la structure est celle d’une chaˆıne `a l’´equilibre ; autrement dit, les blobs sont sous tension mais au sein d’un blob les monom`eres ne ”ressentent” pas la tension. Cela veut dire aussi que si on place un obstacle sur le chemin d’une chaˆıne ´etir´ee et qu’on le d´eplace orthogonalement `

alors l’ensemble de la chaˆıne ne sera pas perturb´ee. Par contre, si on le d´eplace sur une distance plus grande que l, alors l’ensemble de la chaˆıne sera perturb´ee. Nous avons aussi vu que, pendant la phase de r´etraction, l’extr´emit´e libre de la chaˆıne diffuse horizontalement sur une distance de l’ordre de λ. En quelques cycles de p´en´etration-r´etraction cette extr´emit´e peut passer en dessous puis au dessus d’une chaˆıne voisine et former un enchevˆetrement. L’extr´emit´e libre de la chaˆıne peut ensuite continuer `a diffuser, et s’´eloigner de l’enchevˆetrement sans que la chaˆıne soit perturb´ee par ce dernier tant que cet ´eloignement reste plus petit que l. On va pouvoir distinguer plusieurs situations selon la valeur de la projection D, sur l’axe orthogonal au glissement du vecteur qui relie les points de greffage de ces deux chaˆınes.

- Si la distance D est plus courte que le rayon l des blobs, alors l’extr´emit´e libre de la chaˆıne qui a initi´e l’enchevˆetrement peut revenir face au point de greffage par rapport `a l’axe du glissement. Lorsque la chaˆıne p´en`etre dans l’´elastom`ere `

a nouveau, l’enchevˆetrement est contraint de coulisser vers le milieu des chaˆınes de fa¸con `a ce que la tension des deux chaˆınes s’´equilibre (voir fig. 5.6). Un tel enchevˆetrement a une dur´ee de vie extrˆemement longue car la seule mani`ere de le d´efaire est que le point de greffage d’une des chaˆınes se d´eplace jusqu’`a lui, ce qui est tr`es peu probable puisque δd est toujours beaucoup plus petit que d.

- Si par contre D est plus grande que l, alors l’extr´emit´e de la chaˆıne ne peut pas revenir dans l’axe du point de greffage apr`es avoir form´e un enchevˆetrement avec sa voisine, car la tension de l’autre chaˆıne perturberait l’ensemble de la chaˆıne. Un tel enchevˆetrement n’a ainsi pas la possibilit´e de se d´eplacer vers le milieu des chaˆınes, et peut se d´efaire tr`es facilement. On consid´erera dans la suite que la dur´ee de vie de ces enchevˆetrements est si courte que l’on peut n´egliger leur influence sur la friction.

Les enchevˆetrements entre chaˆınes dont les points de greffage sont ´eloign´es lat´eralement d’une distance D plus grande que l ont donc une dur´ee de vie tr`es courte, tandis que si D est plus courte que l les enchevˆetrements sont quasi-permanents. On peut donc consid´erer que chaque chaˆıne est en permanence

en-Déplacement de l’élastomère

d

l

d

b)

D

D

/ /

θ

B

θ

A

f

0

f

0

f

0

(Vue du dessus de l’élastomère)

a)

Fig. 5.6 – Processus d’enchevˆetrement entre deux chaˆınes : a) L’extr´emit´e libre de la chaˆıne B qui est sortie de l’´elastom`ere passe en dessous puis au dessus de la section ´etir´ee de la chaˆıne A. b) La chaˆıne B p´en`etre `a nouveau dans l’´elastom`ere et l’enchevˆetrement glisse vers le milieu des chaˆınes pour ´equilibrer les tensions.

l

d

θ

Fig. 5.7 – Enchevˆetrement d’une chaˆıne avec ses deux voisines greff´ees dans la surface d’air 2l × d.

chevˆetr´ee avec toutes les chaˆınes qui sont greff´ees sur la surface d’aire 2l × d qui suit son point de greffage (voir fig. 5.7). Or, un enchevˆetrement entre deux chaˆınes a pour effet de diminuer la force de friction effective, qui est la projection de la force de friction f0 sur l’axe du glissement : si ces chaˆınes A et B forment les angles θA et θB avec la vitesse v de l’´elastom`ere, la force de friction effective qu’exercent les deux chaˆıne se r´eduit `a fA+ fB = f0(cosθA+ cosθB) < 2f0.

Si la distance d est plus grande que R0, ce qui correspond `a des vitesses de glissement sup´erieures `a v10 ' v2exp [−3R2

0/2λ2], alors le nombre moyen d’en-chevˆetrements par chaˆıne est σ2ld/a2 = 2σN , et on peut grossi`erement ´evaluer l’angle moyen < θ > que forment les chaˆınes greff´ees avec l’axe du glissement comme ´etant donn´e par la relation

< cos θ >' d 2σN q d 2σN 2 + 2l2 = q 1 1 + σ2 aN d 4 (5.17)

unit´e de surface qui d´epend de la densit´e de greffage σ : Σ ' σf0 a2 q 1 + σ2 aN d 4 '    f0aσ2 , si σ < aNd 2 f0a4dN22 , si σ > aNd 2 (5.18)

Ce mod`ele un peu grossier permet donc de faire des pr´evisions int´eressantes : aux densit´es de greffage plus faibles que σl ' (d/aN )2, la friction par unit´e de surface augmente lin´eairement avec la densit´e de greffage, il n’y a donc pas d’interactions entre chaˆınes voisines. Par contre, aux densit´es de greffage plus grandes que σl les enchevˆetrements entre chaˆınes font saturer la contribution de la couche greff´ee `a la friction autour de la valeur Σl = f0(d/a2N )2 = σlf0/a2 par unit´e de surface. Notons que la rapide ´evaluation de < cos θ > que nous proposons ne nous permet pas d’exprimer la limite σl avec pr´ecision. Cela n´ecessiterait une ´etude d´etaill´ee de la formation et de la dur´ee de vie des enchevˆetrements. Malgr´e tout, cette densit´e limite σl ' (d/aN )2 = a2/l2 est la densit´e de greffage au del`a de laquelle la distance moyenne entre chaˆınes voisines est plus petite que le rayon l des blobs form´es par les chaˆınes qui se sont extraites de l’´elastom`ere. On peut comprendre qu’au del`a de cette limite les enchevˆetrements induisent un fort d´esordre dans l’orientation des chaˆınes.

L’´evolution g´en´erale de σl avec la vitesse de glissement de l’´elastom`ere corres-pond `a peu pr`es aux quatre r´egimes de friction que l’on a d´efinit plus tˆot :

- Aux vitesses inf´erieures `a v10, le rayon des blobs est l = R0. La densit´e limite de saturation de la friction est alors σlmin ' 1/N .

- Pour les vitesses comprises entre v01 et v2, la densit´e limite σl augmente avec la vitesse de glissement. La relation entre ces deux grandeurs est

v v2 ' 1 2  σmax σl 14 exp " −3 2  R0 λ  1 − σl σmax 2# (5.19)

o`u σmax ' 4/P est la valeur maximale de σl atteinte `a la vitesse v2, pour laquelle les chaˆınes sont compl`etement ´etir´ees et o`u la taille des blobs est l = λ.

78 Ln(v/v2) 0 1/2 1 a) 1 (1-λ/R0)2 σl /σmax 1 0 v/v2 0.1 0.4 0.6 0.8 0.2 b) (λ/R0)2 σl /σmax (λ/R0)2

Fig. 5.8 – Courbes caract´eristiques repr´esentant l’´evolution de of σlmax avec v/v2.

- Entre les vitesses v2 et v3 les chaˆınes sont compl`etement ´etir´ees et la taille des blobs reste l = λ. La densit´e limite de saturation reste donc ´egale `a sa valeur maximale σmax∼ 1/P .

- Au del`a de la vitesse v3 la friction de Rouse domine et ne devrait pas ˆetre sensible aux enchevˆetrements.

Le rapport (R0/λ)2 ' N/P joue un rˆole tr`es important dans la saturation de la friction avec la densit´e de greffage puisqu’il fixe la plage de densit´es de saturation σmaxmin ' N/P , ainsi que la plage de vitesses sur laquelle se fait l’´evolution de σmin `a σmax : v2/v10 ' exp [3N/2P ] (voir fig. 5.8). Les ordres de grandeurs de ces deux plages sont tr`es diff´erents d`es que N est grand par rapport `a P , du fait de la pr´esence de l’exponentiel. Cela implique que σl est une fonction tr`es fortement croissante de v jusqu’`a des valeurs proches de σmax, puis reste de l’ordre de σmax sur l’essentiel de la gamme de vitesses v10-v2. Pour se fixer les id´ees on peut voir que σl reste plus grand que σmax/2 jusqu’`a des vitesses aussi faibles que v2exp [−N/8P ], ce qui se situe plusieurs d´ecades en dessous de v2 d`es que N/P devient grand par rapport `a un. Sym´etriquement, pour des vitesses aussi basses que v = v2/10, σl reste sup´erieur `a (1 − λ/R0)2σmax, au coefficient logarithmique pr`es.

Il est int´eressant de noter que σmax et Σmax ' kT /λ3 ne d´ependent pas de l’indice de polym´erisation N des chaˆınes greff´ees. Pourtant, Σmaxest la contribution maximale que peut apporter une couche de chaˆınes-N `a la friction, et σmax est la densit´e de greffage minimum qui permet d’atteindre la force de friction par unit´e

!lexp 0.025 0.035 0.04 v(µm.s-1) 0.3 10 100 !l 0.03 0.04 0.055 !lexp 0.015 0.025 0.035 v(µm.s-1) 10 100 250 !l 0.01 0.02 0.03 a) b)

Fig. 5.9 – Comparaison entre les densit´e de saturation σlexp obtenues exp´erimentallement et les pr´ediction th´eoriques σl obtenues en prenant λ ' 0.7λ0. a) N = 1540. b) N = 380.

de surface Σmax. La longueur des chaˆınes greff´ee reste tout de mˆeme importante puisque plus N est grand plus σl et Σl s’approchent de σmax et Σmax `a des vitesses faibles. On a donc int´erˆet `a utiliser des chaˆınes longues pour que la densit´e de greffage de saturation soit la plus grande possible jusqu’`a de tr`es faibles vitesses de glissement, et que la contribution de chaque chaˆıne greff´ee `a la friction reste efficace jusqu’`a de fortes densit´es de greffage. Il faut toutefois se rappeler que la limite de p´en´etration d’une brosse dans un ´elastom`ere statique σ ' P101 /N35 d´ecroˆıt lorsque N augmente, et devient plus basse que σmax si N > P116 .

Toute comparaison quantitative de ces pr´edictions avec des r´esultats exp´ erimen-taux est compliqu´ee par le fait que λ est une longueur inconnue, dont on sait seulement qu’elle est de l’ordre de λ0 (on l’a suppos´ee ´egale `a λ0/2 jusqu’ici). Or, λ apparaˆıt dans l’exponentielle pr´esente dans l’expression de τin, ce qui im-plique qu’un facteur deux dans le rapport λ/λ0 peut modifier ´enorm´ement plusieurs r´esultats obtenus dans les sections pr´ec´edentes. Malgr´e tout, une comparaison avec les exp´eriences peut nous renseigner sur la validit´e du mod`ele. Nous proposons ici une confrontation avec les r´esultats de Bureau et al. qui ont test´e plusieurs couples (N, P ) sur une large gamme de vitesses de glissement.

La saturation de la friction a ´et´e ´etudi´ee aux vitesses de glissement v = 0.3, 10, et 100µm.s−1, sur des couches de chaˆınes N = 1540 pour lesquelles on ´evalue la vi-tesse v2 autour de 300µm.s−1. Ils ont aussi ´etudi´e la saturation aux vitesses v = 10, 100, et 250µm.s−1 pour des couches de chaˆınes N = 380, pour lesquelles on ´evalue v2 ' 2000µm.s−1. Ces deux s´eries d’exp´eriences ont ´et´e faites avec un ´elastom`ere

d’indice de r´eticulation P = 120, ce qui donne 1/λ2

0 = 1/a2P = 0.04nm−2, et σmax/a2 ' 0.08nm−2 si on prend λ ' 0.7λ0. Alors, pour N = 1540, (R0/λ)2 ' 30, tandis que pour N = 380, (R0/λ)2 ' 8. Nous avons rassembl´e les densit´es de saturation σlexp observ´ees exp´erimentalement et les pr´edictions th´eoriques dans le tableau 5.9. Comme ont peut le voir, la comparaison est tout `a fait acceptable, sa-chant que le seul param`etre ajust´e est λ/λ0. La comparaison visuelle est elle aussi encourageante (voir fig. 5.2 et 5.10).

Bien que d’avantage de donn´ees exp´erimentales seraient n´ecessaires pour valider le mod`ele, il nous semble ˆetre un bon candidat `a l’explication de la saturation de la friction avec la densit´e de greffage. L’id´ee selon laquelle cette saturation serait dˆue `

a la transition p´en´etration totale-brosse s`eche peut ˆetre ´ecart´ee car elle impliquerait une densit´e de greffage de saturation σl qui diminue avec N alors que le contraire est observ´e. En outre, cette hypoth`ese donne une surestimation de σl : on peut rappeler que σ/a2 ' P101 /a2N35 est `a peut pr`es ´egal `a 0.08nm−2 pour N = 1540, et 0.18nm−2 pour N = 380. Une seconde hypoth`ese serait qu’une augmentation de la densit´e de greffage induit une augmentation de λ, et donc une diminution de f0 ' kT /λ. On peut en effet faire l’estimation λ ' λ0/2 + σneqa, ce qui donnerait la force de friction par unit´e de surface σf0 ' σkT /(λ0/2 + σneqa). On pr´edirait alors une saturation de la friction autour de la densit´e P12/neq. L`a encore, on obtiendrait des valeurs de σl qui d´epassent largement les valeurs exp´erimentales ; la densit´e σl

serait en plus une fonction d´ecroissante de N et v, ce qui n’est qui n’est pas le cas exp´erimentalement. Bien sˆur, ces deux derniers m´ecanismes vont encore modifier la friction de la couche greff´ee aux deux densit´es que l’on vient de citer. Au del`a de σ la friction doit n´ecessairement ˆetre celle d’une brosse s`eche, o`u le substrat est compl`etement ´ecrant´e et o`u l’interp´en´etration est faible. La section qui suit, et qui finira ce chapitre, pr´esente quelques ´el´ements de r´eflexions sur les propri´et´es des brosses s`eches en friction.

σ (nm

-2

)

Σ

/

Σ

max

N=380 v = 250 µm.s

-1

v = 100 µm.s

-1

v = 10 µm.s

-1

σ (nm

-2

)

Σ

/

Σ

max

v = 100 µm.s

-1

v = 10 µm.s

-1

v = 0.3 µm.s

-1

N=1540

Fig. 5.10 – Pr´ediction th´eorique de l’´evolution de la friction surfacique avec la densit´e de greffage obtenues en prenant λ ' 0.7λ0, pour deux tailles de chaˆınes greff´ees et diff´erentes vitesses. Les courbes ont ´et´e d´ecal´ees verticalement pour plus de clart´e.

5.3.2 Tr`es fortes densit´es de greffage : quelques interrogations sur la