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Le modèle de la formation pratique en vigueur à la HEP-BEJUNE, à l’instar de ce qui se fait dans les autres instituts de formation, peut être considéré comme traditionnel. En effet, il est resté relativement stable à travers le temps et découle en droite ligne des pratiques hérités du fonctionnement des anciennes écoles normales. Comme le décrit Pelpel (2002), il

« correspond aussi à une pratique qui a fait ses preuves dans le domaine de la transmission des compétences professionnelles : à partir d’une expérience partagée, le professionnel expérimenté peut aider le novice à maîtriser les difficultés qu’il a lui-même dominées » (p.

177). Cette manière de procéder prend la forme d’une pratique ancestrale : le compagnonnage. Ce modèle se caractérise essentiellement par sa dimension empirique : l’apprentissage du novice passe par « l’exemplarité des situations auxquelles il a accès sur le terrain, par l’analyse de ses propres tentatives en milieu réel et par les conseils que lui prodiguent des professionnels sélectionnés » (ibid, p. 177). Dans un système de formation de ce type, ce sont la quantité et la qualité de l’expérience qui créditent la compétence du formateur. Les FEE de la HEP-BEJUNE ne sont quant à eux retenus que sur un seul critère, celui de la quantité puisqu’il s’agit normalement de professionnels confirmés.

L’aspect empirique de la formation des enseignants repose encore sur deux autres facteurs attachés à la structure des stages ainsi qu’à leur mode d’application (Pelpel, 2002) : l’intimité et la tutelle de l’observation. Vivant dans la même classe plus de 30 heures par semaine et

partageant les mêmes élèves, les FEE et leurs stagiaires acquièrent d’une part une certaine intimité puisqu’ils s’observent mutuellement dans un environnement restreint. D’autre part, l’observation et la pratique de la classe exercée sous la tutelle quasi exclusive des FEE constituent l’essentiel de la formation professionnelle pratique des futurs enseignants. Une rupture de ce modèle intervient sporadiquement dès la première moitié du cursus lorsque les FEE quittent les classes pour laisser le champ libre à leur stagiaire. Il s’agit toutefois de rares moments dont la fréquence augmente néanmoins en fin de formation. Ces moments de rupture ne suffisent cependant qu’à faire vaciller le modèle traditionnel sans le renverser, les FEE restant malgré tout des enseignants exemplaires servant de référence aux stagiaires.

Dans ces conditions, on peut dès lors se demander si les FEE sont en mesure d’évaluer de manière objective les étudiants qui leur sont confiés.

L’institution de formation exige que les futurs enseignants atteignent un seuil de compétences afin d’obtenir une certification qui leur permettra d’exercer leur future activité professionnelle. Dans le même ordre d’idée, on pourrait envisager, comme le propose Lamy (2002), d’adopter un référentiel de compétences indispensables à un formateur professionnel. Nous reprenons les six compétences que ce dernier retient :

gérer la complexité des situations rencontrées en évaluant rapidement ce qui se passe dans la situation de formation afin de prendre des décisions adaptées et à construire les stratégies qui conviennent

articuler le discours théorique qui construit ses référents avec les situations concrètes qui lui sont proposées

créer chez le formé un réel projet d’appropriation de la formation qu’il suit

réduire l’écart entre le dire et le faire, tant dans sa propre pratique que dans celle des enseignants qu’il forme

assurer un accompagnement respectueux des personnes qu’il forme

accepter la confrontation de ses référents et de ses pratiques avec d’autres formateurs, et par là même à accepter ses limites et ses imperfections. (p. 47)

Alors que l’on a parfois tendance à oublier que le formateur en établissement est un formateur d’adultes, il faut souligner l’ambiguïté qui peut naître de ce processus de formation de futurs pairs. En effet, les compétences énoncées ci-dessus sont similaires à celles qui guident l’action enseignante et obligent donc les FEE à changer de casquette dès lors qu’ils s’adressent à des élèves ou à des adultes en formation.

Dans une enquête visant à identifier les caractéristiques des enseignants formateurs d’enseignants, Altet (2002) relève que ceux-ci mettent en évidence deux compétences qui caractérisent le plus leur fonction. Il s’agit d’une part « d’être capable d’aider les enseignants à construire les compétences professionnelles » (ibid, p. 69) et d’autre part d’ « accompagner et de faire analyser les pratiques enseignantes pour mieux s’adapter à l’évolution des conditions d’exercice du métier d’enseignant » (ibid, p. 69). Les compétences axées davantage sur les diverses techniques de formation d’adultes n’apparaissent que dans un deuxième temps. Dans une autre recherche s’intéressant aux compétences et savoirs professionnels des formateurs, Lang (2002) relève lui aussi que l’aide à la construction de compétences et l’aide à l’analyse des pratiques enseignantes sont deux compétences jugées requises dans la formation initiale.

D’une manière plus pragmatique, on peut définir les fonctions des FEE autour des quatre axes principaux décrits par Pelpel (2002) :

 l’axe pédagogique : il regroupe tout ce qui a trait aux tâches de l’enseignant dans la classe

 l’axe professionnel : il s’agit des divers engagements de l’enseignant hors de sa classe

 l’axe relationnel : il met en évidence l’importance des contacts noués par le stagiaire et le monde professionnel, les FEE apparaissant comme des interlocuteurs privilégiés le temps d’un stage

 l’axe institutionnel : outre leur rôle de partenaires de la HEP dans le dispositif de formation des futurs enseignants, les FEE sont aussi impliqués dans le processus d’évaluation.

Si l’expérience de l’enseignement joue un rôle prépondérant dans l’accomplissement des fonctions de formateur en établissement, il ne suffit plus aux FEE de proposer un modèle à imiter pour permettre aux futurs enseignants de construire leur identité professionnelle. Le formateur n’endosse plus le rôle de modèle mais prend l’attitude de quelqu’un avec qui il est possible de partager, de parler du vécu (Snoeckx, 2002). Les compétences liées à la pratique enseignante semblent s’imposer de manière incontournable dans les domaines de connaissances nécessaires à l’activité de formateur. La modification des parcours de formation a généré une adaptation de l’articulation théorie-pratique. Les anciens maîtres de stage, rebaptisés formateurs en établissement, doivent désormais « jouer dans un orchestre » (Perrenoud, 2002, p.228) et accorder leur violon afin de répondre aux attentes

des futurs enseignants à qui l’on demande d’observer, de questionner, de rechercher, d’analyser, d’articuler théorie et pratique. Bien qu’ils improvisent encore leur rôle de tuteur et les modalités de travail avec les stagiaires, les FEE adoptent néanmoins une pratique uniforme que l’on peut catégoriser selon trois axes.

Fonctions Objectifs Rôles

Aider / former Exploiter son expérience pour contribuer à faire acquérir au stagiaire des compétences professionnelles

Montrer, conseiller, guider

Animer / médiatiser Faciliter l’insertion du stagiaire

dans le milieu Informer, associer,

sécuriser Contrôler / évaluer Encadrer l’activité du stagiaire,

lui renvoyer un écho à partir de sa pratique

Vérifier, observer, évaluer

Tableau 1 : fonctions et rôles des formateurs en établissement

Au travers de ce tableau, inspiré de Pelpel (1989), on peut constater que le tuteur exerce trois fonctions différentes selon les objectifs qu’il cherche à atteindre. Tout d’abord, en tant que professionnel, il est chargé d’offrir au stagiaire des situations lui permettant d’élargir ses compétences professionnelles. Ensuite, il appartient au tuteur d’introduire le stagiaire dans un environnement qu’il ne connaît pas en l’associant notamment aux manifestations et événements significatifs de la vie de l’établissement. Enfin, le FEE est aussi le garant de la qualité de la formation du stagiaire qui lui est confié. Grâce aux régulations qu’il fournit, le FEE transmet une évaluation formative permettant au stagiaire d’améliorer son action dans la classe. Souvent associé à l’évaluation du stagiaire par sa place dans le jury qui délivre l’appréciation du stage, le FEE devient partie prenant de l’évaluation finale du stage.

Les FEE sont invités à mettre leur classe à disposition pour permettre aux étudiants de réaliser des tâches d’observation ou des interventions et, dans l’idéal, accorder leur soutien aux activités menées par leurs futurs collègues. Comme le décrit Pelpel, les stages ne sont plus une période de « confrontation de ceux qui sont dépourvus d’expérience avec ceux qui la possèdent » (1989, p.19) mais l’occasion d’interpréter l’expérience.

La prépondérance des compétences d’analyse et de réflexion permet de formuler l’hypothèse que les dispositifs de formation des enseignants délaissent les approches modélisantes en faveur d’une approche professionnalisante. En effet, les stages ne sont plus seulement des « bains de réalité » (Perrenoud, 2002) dans lesquels il est donné au stagiaire l’occasion d’observer une pratique exemplaire. Il s’agit désormais d’une démarche clinique et réflexive dans laquelle la maîtrise pédagogique du praticien importe moins que sa capacité à expliciter ses choix, commenter sa pratique et discuter de ses réussites comme de ses échecs.

Le formateur est invité à faire le deuil de la démonstration éblouissante en classe pour exceller dans un autre registre : partager une pratique réflexive, initier en quelque sorte au « teacher thinking », au raisonnement professionnel qui, sans tourner le dos aux savoirs et aux principes, en prend et en laisse, bricole et improvise pour créer une pédagogie qui corresponde à la personne, à l’enseignant et à la réalité de sa classe (ibid, p. 230).

Comme le soulignent Altet, Paquay et Perrenoud (2002), il est sans doute encore un peu tôt pour parler véritablement de professionnalisation car le concept désigne « la transformation d’un métier constitué en une profession, au sens anglo-saxon de l’expression » (p. 10). Dans son acception francophone, cette notion correspond plutôt à une transformation d’une pratique occasionnelle en un métier qui devrait, dès lors, faire l’objet d’une formation spécifique offrant une reconnaissance. Toutefois, il peut paraître offensant de parler de formation pour les FEE. Il ne s’agit évidemment pas de leur réapprendre leur métier ni de remettre en question leur capacité à mener à bien leurs tâches professionnelles. Néanmoins, il s’agit de permettre à ces formateurs de prendre suffisamment de distance par rapport à leur propre expérience afin de « la mettre en perspective, de la relativiser, d’en parler, tout simplement » (Pelpel, 2002, p. 188). En effet, il ne suffit plus de montrer une pratique exemplaire : il faut créer les conditions pour que les stagiaires puissent s’approprier les diverses facettes du métier, s’emparer de l’expérience des FEE. Lors de cette décentration, le rôle de professionnel expérimenté glisse vers celui de professionnel réflexif. Cela suffit-il à offrir une formation professionnelle pratique efficace ? Comme l’évoque Faingold (2002), on pourrait penser qu’un bon enseignant devienne spontanément un bon formateur d’adultes.

Or, il apparaît pourtant que les enseignants expérimentés n’opèrent pas si facilement ce transfert de compétences. « Très souvent, on constate chez les formateurs débutants à la fois une difficulté à se positionner face à des adultes ayant un statut d’apprenant, et, paradoxalement, une régression à une attitude transmissive » (ibid, p. 217). Ces démarches impliquent de remettre en question à la fois ses propres pratiques d’enseignant et de formateur de terrain. Il s’agit là d’expériences déstabilisantes « pouvant être relativement

délicates chez certains formateurs de terrain entre autres dans des cas d’incertitudes face à l’exercice d’un métier devenu aujourd’hui très différent des références qui étaient siennes au moment de l’entrée en fonction » (Lebel, 2007, p. 90).

S’il ne suffit plus de maîtriser les contenus pour savoir les enseigner, il ne suffit pas non plus d’être un bon enseignant pour devenir un bon formateur. Dès lors, on peut se demander si les qualifications actuelles des FEE ainsi que les formations qui leur sont proposées permettent d’atteindre un standard de qualité répondant aux attentes des systèmes de formation notamment lorsqu’il s’agit d’évaluation et de certification.