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Les institutions de formation romandes accueillent une population composée essentiellement de titulaires d’un certificat de maturité, la moyenne suisse atteignant 67% des candidats en 2004-2005 et près de 96% pour la HEP-BEJUNE (Lehmann et al., 2007). La plupart des étudiants des HEP n’ont jamais vraiment quitté le monde scolaire avant d’y replonger, non plus comme élève, mais comme enseignant. Avant de pouvoir enseigner, ils entrent donc dans un processus de formation nantis de leurs connaissances théoriques et de leurs expériences d’élève acquises tout au long de leur scolarité. Au bénéfice d’une bonne culture disciplinaire, les futurs enseignants font généralement état d’une certaine immaturité pédagogique. Cette ambivalence provoque probablement chez les étudiants une difficulté à gérer l’opposition entre apprendre et enseigner. Cela s’illustre notamment lors de leurs stages : ils mènent une foule d’activités dans les classes et éprouvent des difficultés à séparer, dans les mille et un conseils qu’ils reçoivent, l’important de l’accessoire, le généralisable de l’anecdotique (Gelin et al., 2007). Inévitablement, l’arrivée dans le monde de l’enseignement nécessite donc un changement de positionnement de la part des stagiaires afin de quitter le« statut d’ancien élève pour prendre celui d’enseignant, en passant d’une centration sur soi à une centration-élève » (Faingold, 2002, p. 206).

L’alternance entre périodes de formation académique et dans les terrains professionnels peut aussi conduire les étudiants à mettre en opposition les savoirs dits théoriques à ceux plutôt pratiques, à mettre en contradiction les formateurs des établissements de formation et les formateurs de terrain. Ces alliances illégitimes entre l’étudiant et le maître de pratique peuvent conduire à développer un certain mépris dans les établissements scolaires envers une formation trop abstraite dispensée par les instituts de formation des maîtres. A la recherche de réponses rapides à leurs interrogations pratiques, les étudiants attendent une formation centrée sur l’utile et l’immédiat tandis qu’il leur est plutôt proposé une formation basée sur des objectifs plus larges permettant d’envisager sereinement l’évolution du métier.

Les stages pratiques proposés dans les cursus de formation initiale engagent généralement les étudiants dans une dynamique d’acculturation (Lang, 2006) et leur font rencontrer des modèles et idéaux professionnels parfois antinomiques. Entre l’effet terrain valorisant la mémoire d’un héritage séculaire et les nouveaux modèles professionnels orientés vers la figure du praticien réflexif, la difficulté principale de la formation des enseignants réside sans doute dans la gestion de cette dualité qui oppose encore savoirs théoriques et savoirs pratiques, les savoirs théoriques comprenant à la fois les savoirs disciplinaires à enseigner mais aussi leur épistémologie ainsi que les savoirs didactiques et pédagogiques. En effet,

une longue tradition tenace semble vouloir séparer la formation théorique « dispensée aux cours et la « pratique » s’acquérant sur les lieux de stage comme une forme d’application de la théorie » (Vanhulle, Merhan & Ronveaux, 2007, p. 10). Du « tout à la pratique » préconisant qu’une acquisition de savoirs pratiques ne peut se faire que par une acculturation réalisée dans le terrain au modèle plus académique insistant sur l’importance de la connaissance théorique qui précède le geste efficace, quatre modèles, proposés par Vanhulle, Merhan et Ronveaux (2007), décrivent ce processus de formation par alternance :

 modèle de type applicationniste : la théorie précède la pratique

 modèle acculturateur : l’immersion sur le terrain est au cœur du dispositif

 modèle intégrateur précoce : l’organisation prévoit des allers-retours réguliers entre les lieux de cours et de stage

 modèle intégrateur par étapes : la formation théorique soutient l’activité pratique durant une autonomisation progressive.

Le choix de l’un ou de l’autre des modèles nécessite inévitablement une négociation afin d’établir un partenariat fiable entre les institutions de formation, les formateurs et les étudiants. Les enjeux de la formation initiale consistent donc à trouver un équilibre permettant à la fois de répondre aux besoins pratiques des futurs enseignants tout en préservant leur avenir professionnel en les préparant à affronter le métier qu’ils exerceront demain, en synchronisant les attentes individuelles et les offres de formation (Gelin et al.

2007). L’importance de la formation théorique ne fait toutefois sens que si elle s’inscrit dans une perspective d’articulation à la pratique ou du moins dans des phases d’analyse des pratiques. Comme le relève Perrenoud (1994), la théorie fonctionne comme une grille de lecture de l’expérience. Bien qu’elle ne permette évidemment pas de tout contrôler, elle offre néanmoins la possibilité d’interpréter le réel. Dès lors que cette démarche de va-et-vient entre faire et réfléchir s’applique de manière méthodique, on peut parler de démarche clinique (Perrenoud 1994). Enfin, comme l’indique le rapport de l’OCDE (2005), la formation initiale ne doit pas exclusivement offrir une base solide pour acquérir des connaissances disciplinaires, des fondements pédagogiques ou des principes didactiques, mais doit aussi permettre aux étudiants de « développer les compétences nécessaires à la pratique réfléchie de l’enseignement et de la recherche en cours d’emploi » (p. 105).

Develay (1996) décrit le processus de formation professionnelle en insistant sur le fait que les formateurs sont conduits

à privilégier non pas tant des séquences d’enseignement magistro-centriques qui seraient censées tout expliquer, mais des temps divers de formation dont les modalités sont variables mais visent, au-delà de la maîtrise des compétences localisées, le développement d’un regard ouvert à la création pédagogique et didactique permettant d’affronter les situations les plus diverses (p. 65).

Il s’agit par la même occasion de concevoir ou d’utiliser un dispositif d’évaluation permettant de tenir compte du fait que les compétences professionnelles se construisent dans la durée et qu’elles ne peuvent être présentes que sous une forme provisoire, en voie d’élaboration.

Le développement de routines intériorisées permettra au jeune enseignant de faire face à des situations complexes et d’y répondre efficacement dans un temps de réflexion minimum.

Correspondant à un corps de connaissances professionnelles spécialisées, ces routines d’organisation acquises par l’entraînement et l’expérience permettent généralement aux enseignants de réaliser leur mission malgré les imprévus qui jalonnent le temps didactique (Gelin et al., 2007). A l’entrée dans la profession, les stagiaires sont parfois démunis face à la diversité des actions constitutives de la gestion de classe et se trouvent à construire ce répertoire de savoir professionnel dans l’action (Lacourse, 2002).

L’immédiateté et l’imprévisibilité du travail de l’enseignant dans la classe mettent en évidence la difficulté de construire un habitus - « ce petit lot de schèmes permettant d’engendrer une infinité de pratiques adaptées à des situations toujours renouvelées » (Bourdieu, 1974, p. 209) - et d’envisager une réponse adaptée faces aux exigences toujours plus élevées du milieu. Cette difficulté à pouvoir proposer une formation prédéterminée et précise est inhérente au métier d’enseignant car, comme le relève Develay (1996), les compétences d’un enseignant ne sont pas limitées. Elles ont tendance à se construire, à s’adapter au milieu et au public, à se modifier tout au long de la vie professionnelle. Ces considérations sont constitutives d’un métier qui n’est pas d’exécution mais qui présuppose l’exercice d’une capacité critique et d’une responsabilité morale (Rayou & Van Zanten, 2004).

Quant aux contraintes spécifiques du métier d’enseignant, elles dépendent d’une part des exigences réglementaires fixées dans les directives administratives et, d’autre part, des situations locales d’enseignement. Le futur enseignant se trouve donc confronté à construire une identité professionnelle lui permettant de résoudre les dilemmes de sa profession. Il s’agit pour cela de déplacer une centration focalisée sur lui-même vers une centration sur la tâche et finalement sur l’effet de son enseignement sur les élèves (Fuller 1969, cité par Gelin et al., 2007).

Le processus de formation a la lourde tâche d’aider les futurs enseignants à « comprendre que l’enseignement est une profession » (Bélair, 2000, p 28) par une démarche de déconstruction des représentations des idées préconçues des rôles, droits et devoirs des enseignants en vue de reconstruire une identité professionnelle dans sa pluralité.