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Comme nous l’avons présenté ci-dessus, un ensemble de valeurs collectives guide les pra-tiques des FEE qui se constituent en une communauté de prapra-tiques. Toutefois, les diffé-rences observées dans les appréciations présentées par chacun nécessite de s’interroger quant à la force du modèle proposé et laissent penser, à l’instar d’Hadji (1997), que l’évaluation est belle et bien aléatoire puisqu’elle découle des normes implicites des FEE. Si les formateurs présents n’ont pas été surpris outre mesure des écarts entre leurs

proposi-tions, ils ont été vivement intéressés à comprendre d’où pouvaient provenir ces différences.

Ce phénomène, provoqué dans le cadre de cette recherche, peut se reproduire dans le pro-cessus habituel d’évaluation des stages lorsque les FEE retrouvent les formateurs HEP. La réflexion menée lors de la phase de confrontation croisée a permis de mettre en évidence l’importance que joue le contexte dans l’observation des pratiques, comme le démontrent les propos de Marianne :

TP 391, min 49 - 50 : ben c'est-à-dire quand ça nous arrive de se retrouver ici où on a on a les trois on est trois et les trois évaluations et il arrive que y'ait heu deux évaluations des formateurs négatives // et que nous en tant que FEE on on a suivi c'est positif là y'a une négociation / et c'est en discutant qu'on voit heu un petit peu pourquoi le FH le formateur a mis heu stage heu non // exigences non atteintes parce que il a justement vu qu'une tranche et c'est là qu'y'a que je trouve que c'est intéressant moiH on s'est jamais retrouvé où on était en désaccord total // ça veut dire que la / partie évaluée au moment du formateur était tellement justement avait tellement peu de contexte autour quand on a donné les arguments il s'est dit ah bein maintenant je comprends // donc typique la question qu'il a dit avec la mise en commun peut-être la mise en commun c'était prévu après la récré par exemple hein je sais pas // donc heu voilà // donc si après le /

Le commentaire ci-dessus nous permet de prendre conscience de l’importance du contexte de la classe de stage. Ainsi, il semblerait qu’il ne soit pas envisageable de faire l’impasse sur les informations situationnelles. La négociation menée lors de l’entretien concernant l’attribution des appréciations à propos de la performance d’Eric démontre elle-aussi à quel point le contexte est une valeur sur laquelle les formateurs s’appuient pour étayer leur jugement. La fin de l’extrait (TP 391, min 50) dénote le réel besoin d’inscrire les événements observés dans un déroulement chronogénétique, les FEE cherchant à recréer un avant ou un après. Habitués à observer les étudiants durant plusieurs semaines, ces derniers ont sans doute été un peu déstabilisés par la nature de la recherche. Peu exercés à envisager de formuler un commentaire évaluatif sur un laps de temps très court, ils n’ont pu se permettre de peser le pour et le contre tel qu’ils le feraient dans une situation authentique.

Cette contrainte a sans doute eu pour conséquence de durcir les positions adoptées par les FEE. Les propos de Monique traduisent cette situation :

TP 61, min 14 : alors moi justement c'est là je me suis dit heu parce que heu en fait j'ai été assez dure justement en me rendant compte que heu justement on était beaucoup plus sévère avec très peu d'informations c'est beaucoup plus critique enfin en tout cas de ma je parle pour moi de ma part j'ai eu l'impression d'être très très critique dans ce que je voyais justement parce je mais en étant bien consciente que je n'avais pas toutes les données justement et que heu donc ça veut bien que un stagiaire c'est un tout c'est pas seulement un petit bout de leçon et qu'y heu tous les autres paramètres dont on doit impérativement tenir compte quand on évalue↓.

A la question de savoir si le contexte joue un rôle dans l’objectivité de l’évaluation des pratiques professionnelles, on peut s’autoriser à penser que, dans une certaine mesure, les

éléments contextuels liés à la classe de stage permettent « d’adoucir » le regard de l’évaluateur et de mettre les éléments et indices relevés en perspective. De plus, le recours à un plus grand nombre de facteurs permet donner plus de corps à l’évaluation, à la rendre moins anonyme, plus individualisée. L’appréciation décernée après une période d’observation étalée dans le temps offre la possibilité de nuancer le jugement et de jauger les performances d’un stagiaire en tenant compte de son évolution au sein de la classe ainsi que l’illustrent les propos de Paul :

TP 476, min 67 : (…) je trouve important de voir heu à à moi ma ma manière de voir à la fin c'est c'est de dire (XXX) y'a eu une évolution j'ai vu une évolution dans un bon sens et puis je regarde pas t'en est arrivé là ou là moi ce qui est important c'est qu'y ait une évolution et qu'y ait une réflexion sur sa manière de travailler et pour moi c'est très important quelqu'un qui est en difficulté je vais pas dire c'était pas bien c'était et cetera c'que je trouve important c'est c'qu'on en fait est-ce qu'y a une réflexion au niveau de la progression (…)

Outre le besoin de pouvoir inscrire l’évaluation des performances d’un étudiant dans la continuité du stage, les formateurs interrogés craignent d’interpréter la réalité lorsque le contexte ne leur est pas connu. En effet, les éléments du contexte doivent pouvoir leur permettre de ne pas inférer une appréciation à partir d’une trop faible quantité d’indices recueillis. Ce souci d’objectivité qui habite les FEE se retrouve dans le discours de Monique :

TP 384, min 49 : moi j'dirais ce qu'il y a avec quelque chose comme ça bein c'est bein la preuve que ça laisse beaucoup de place à l'interprétation / aussi puisqu'on doit interpréter ce qu'on sait pas↓ / on on / on a évalué sur ce qui était concrètement observable mais comme il nous manque plein de données bein on les imagine et ça c'est subjectif c'qu'on imagine et c'est ça / qui fait peut-être le le le désaccord aussi parce que c'est subjectif justement c'est pas observable tout ce que l'on rajouté en plus.

Derrière la problématique de l’objectivité de l’observation, cet extrait laisse transparaître la question liée aux représentations qui guident le regard de l’évaluateur. Alors qu’on pouvait s’attendre à ce que cette thématique ne soit pas abordée, il est intéressant de constater que les FEE sont conscients qu’ils ne peuvent prétendre à une objectivité totale et absolue. Cette sagesse honore les personnes interrogées et nous permet de constater qu’elles agissent dans un respect des personnes qu’elles ont à évaluer. Comme nous avons pu le présenter dans notre cadre conceptuel, il est intéressant de voir que les personnes interrogées ont pris conscience des limites qui contraignent leur action et qu’elles font preuve d’une certaine retenue dans leur action évaluative (Jorro, 2006). Les propos de Paul illustrent cette prise de conscience de la place de la subjectivité de leur regard :

TP 403, min 52 : (…) c'est pas c'est pas le boulot qu'on fait c'est pas heu c'est pas un boulot exact // c'est un boulot d'appréciation y'a des choses qu'on peut plus ou moins mesurer voir y'en a d'autres on les interprète et puis voilà donc y'a y'a une chaîne y'a une comment dire y'a des paramètres personnels qui interviennent là-dedans et y'a une des difficultés c'est que ces paramètres personnels deviennent des des des comment dire des valeurs qui sont des valeurs qui peuvent qui peuvent certifier une réussite ou pas et c'est c'est clair que c'est délicat // et c'est peut-être là en arrivant dans le domaine de de de du début de stage ou d'avant stage de de fixer des impéraH des des exigences claires.

Bien que Paul insiste sur l’importance des valeurs personnelles, on peut tout de même s’attendre à ce qu’un socle de valeurs communes soit partagé par les individus impliqués dans le processus d’évaluation des pratiques professionnelles des futurs enseignants. Ainsi, les échanges qui ont eu lieu durant la phase de confrontation croisée nous permettent de croire qu’une culture commune se construit de manière informelle lors des rencontres de FEE et permet, malgré l’importance du contexte propre à chaque classe de stage, d’envisager la création d’un ensemble de valeurs et de pratiques communes autour des items d’évaluation proposés par la HEP-BEJUNE.