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Maîtrise la matière à enseigner et sait alimenter la réflexion des élèves

6.6 Un exemple de négociation : le cas d’Eric (stagiaire)

6.6.2 Maîtrise la matière à enseigner et sait alimenter la réflexion des élèves

L’évaluation de ces deux compétences, contrairement à ce que l’on a pu voir dans la partie précédente prend une tournure tout-à-fait différente. Il ne s’agit plus ici pour les formateurs d’exprimer leur ressenti. C’est désormais une discussion de professionnels qui s’engage, basée sur une analyse du contenu de la leçon, des principes didactiques et des objectifs d’apprentissage visés par le stagiaire :

TP 128, min 27 – 28 : alors moi justement à propos du signe égal j'ai j'ai été très interpellé par ça parce qu'en fait quand il pose la question il attend une réponse précise et il attend le mot réponse // et puis il ne relève heu il ne relève jamais les trois réponses qui ont été données par les enfants et qui sont à mon avis trois réponses intéressantes qui auraient mérité d'être relevées // y'en a quand il dit qu'est-ce qui vient après le égal c'est le / et puis y'a un enfant qui dit onze donc il donne la réponse donc c'est intéressant on peut après en discuter avec l'élève là-dessus↓ y'en a un autre qui dit le chiffre / et y'en a un autre qui dit la fin moi j'trouve c'est génial comme réponse de l'enfant il il retient aucune de ces trois interventions d'élèves donc il rebondit pas sur ce que disent les élèves et puis il dit non c'est la //

réponse et à mon avis c'est faux parce qu'après le signe égal c'est pas une réponse c'est une somme donc au niveau vocabulaire mathématique je trouve que on dit pas heu heu six et cinq la réponse c'est onze / égale une réponse six plus cinq c'est égal un total une somme donc voilà donc là je trouve qu'il donne une réponse fausse en demandant le mot réponse.

Les propos de Monique, dans l’extrait ci-dessus, reflètent bien la finesse de l’observation qui guide les FEE dans l’évaluation de compétences qui font partie pour l’une du pôle d’efficacité et pour l’autre du pôle professionnalité. On constate d’ailleurs que l’importance accordée à l’élève y est prédominante, tout comme la valeur des apprentissages réalisés.

Alors qu’on pourrait s’attendre à ce que tous les étudiants « maîtrisent la matière à ensei-gner » en première année, l’analyse du discours de Monique nous amène à penser que la maîtrise du contenu ne s’exprime pas uniquement dans la connaissance approfondie des savoirs scolaires mais qu’elle doit se conjuguer avec la capacité d’interpréter les réponses fournies par les élèves. On peut supposer que les FEE, qui sont des enseignants avant tout, attendent de la part des étudiants d’enseigner des savoirs scolaires avec rigueur afin de permettre aux élèves d’apprendre. On découvre d’ailleurs dans cet extrait à quel point l’activité de l’enfant est utilisée pour évaluer les compétences « maîtrise la matière à ensei-gner et sait alimenter la réflexion des élèves par des interventions pertinentes» attendues chez l’enseignant, ce qui se révèle par une appréciation négative délivrée par Monique.

Cette idée est également reprise par Paul :

TP 199, min 32 : on va un petit peu à gauche et à droite on touche un petit peu si y'a un peu ça les élèves apportent des réponses fournissent quelque chose que l'on n’arrive pas à prendre parce que l'on ne sait pas où ça s'inscrit dans la matière là à ce moment-là on le voit parfois dans certaines leçons.

Au-delà de la maîtrise des savoirs, les compétences « maîtrise la matière à enseigner » et

« sait alimenter la réflexion des élèves par des interventions pertinentes » se réalisent, pour les formateurs interrogés, dans l’interaction entre l’activité de l’élève et celle de l’enseignant.

Il ne s’agit pas de faire semblant d’interroger la classe mais de faire preuve du recul nécessaire pour inscrire les remarques formulées par les élèves dans la planification des apprentissages correspondant à un degré scolaire précis. Ainsi, il ne suffit pas pour les sta-giaires de faire semblant d’utiliser un geste professionnel mais il s’agit de pouvoir utiliser l’apport des élèves pour construire la leçon et alimenter la progression des apprentissages.

Au vu des arguments présentés, on aurait pu s’attendre à ce que la performance d’Eric soit jugée insuffisante. Il n’en a pourtant pas été le cas ! L’extrait suivant reprend la fin de la né-gociation concernant l’attribution de l’appréciation à l’item « maîtrise la matière à ensei-gner » :

TP 228 à 234, min 37 :

Ma: oui là il maîtrise on peut pas dire qu'il sait pas ce que c'est qu'une addition (3 sec)

Mo: moi je suis plutôt moins mais (XXX)

Pa: moi je suis mitigé puis j'ai mis plus à la fin // mettons plus ouais ouais (soupir) Mo: après après le ouais

O: dit différemment on peut pas dire qu'il ne maîtrise pas non plus Mo: non exactement

Pr: (XXX) le point suivant c'est qu'il maîtrise pas donc heu.

Que dire de ce revirement ? Est-ce là la preuve d’une certaine « lâcheté » des FEE devant leur responsabilité ? La performance d’Eric est-elle si catastrophique ?

La discussion menée en vue de l’adoption du consensus final nous laisse penser que les FEE fonctionnent selon deux niveaux d’exigence selon la position qu’ils adoptent. Le double rôle d’accompagnement et de certification endossé par les FEE implique de devoir moduler les attentes envers les performances réalisées par les étudiants par rapport à l’utilisation que l’on en fera : évaluation certificative ou évaluation formative. On peut supposer que lors d’une phase d’évaluation formative du stage les FEE se montrent plus critiques. Il s’agit de pouvoir offrir une réflexion pointue à un futur collègue afin d’affiner sa pratique, de l’aider à acquérir des gestes professionnels. Cependant, ce niveau d’exigence élevé ne peut être appliqué durant la phase d’évaluation sommative. En effet, cette dureté excessive empêche-rait sans doute bon nombre d’étudiants de « réussir » leur stage. Les FEE savent que les compétences professionnelles continueront de se construire au-delà de leur intervention, le temps d’un stage ne permettant pas toujours de modifier la pratique. Par ailleurs, ces der-niers semblent empruntés face à l’échelle d’appréciation. Le saut entre les échelons « les exigences sont atteintes avec un niveau de maîtrise moyen à bon » et « les exigences ne sont pas encore atteintes (notables fragilités) » ne correspond pas toujours à la réalité ob-servée. Dans le cas d’Eric, on peut s’avancer à dire que, faute d’avoir une appréciation in-termédiaire, les FEE préfèrent choisir la voie de l’encouragement et laissent le bénéfice du doute à « l’accusé ». A la manière d’Oscar et de Perrine, ils adoptent une stratégie de justifi-cation qui consiste à démontrer l’inadéquation d’une autre appréciation pour valider leur choix.

TP 232, min 37 : dit différemment on peut pas dire qu'il ne maîtrise pas non plus TP 234, min 37 : (XXX) le point suivant c'est qu'il maîtrise pas donc heu

L’attribution d’une évaluation négative à cette compétence impliquerait une démarche de justification importante qui toucherait sans doute aussi l’institut de formation. Comme

l’indique l’argument proposé par Marianne, il va certainement être difficile de pouvoir expli-quer à une personne ayant obtenu un certificat de maturité gymnasiale qu’elle ne maîtrise pas les rudiments de l’addition. Dès lors, il s’agit de s’accorder sur ce point : doit-on évaluer la maîtrise de savoirs savants, de savoirs scolaires ou la compétence à maîtriser les tenants et aboutissants de la transposition didactique en jeu ? Quoi qu’il en soit, on peut rejoindre Jorro (2006) sur le fait qu’une réflexion éthique amène les évaluateurs à faire preuve de re-tenue dans l’exercice de leur pouvoir de sanctionner et de certifier.