• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : Renouveau commercial et évolution socioéconomique des quartiers

1.2. Commerce et gentrification

1.2.3. Le rôle social du commerce en contexte de gentrification

Le rôle prépondérant que jouent les commerces dans la transformation des quartiers ne fait donc pas vraiment débat – notamment sur le plan symbolique – mais on ne sait au final que peu de choses sur les liens concrets entre la transformation du commerce et la gentrification résidentielle, en particulier ses effets sur la population d’origine. Les nouveaux commerces contribuent bien à attirer les nouvelles populations, mais ils peuvent aussi briser des sociabilités existantes et fragiliser le sentiment d’appartenance au quartier des habitants de longue date. Ils participeraient ainsi au déplacement indirect des populations, un phénomène tour à tour qualifié de déplacement social (Chernoff 1980) ou de déplacement socioculturel (Davidson et Lees 2005, 1170) et que Marcuse avait pour sa part qualifié de « displacement pressure » – une pression exercée sur les populations d’origine qui, sans être directement chassées de leur logement, sont tout de même dépossédées de leur quartier.

When a family sees the neighbourhood around it changing dramatically, when their friends are leaving the neighbourhood, when the stores they patronize are liquidating and new stores for other clientele are taking their places, and when changes in public facilities, in transportation patterns, and in support services all clearly are making the area less and less livable, then the pressure of displacement already is severe. Its actuality is only a matter of time. Families living under these circumstances may move as soon as they can, rather than wait for the inevitable; nonetheless they are displaced (Marcuse 1985, 207, nous soulignons).

Ici encore, l’interdépendance du commerce et de l’habitation placerait les populations défavorisées dans un cercle vicieux menant à leur éviction du quartier, une boucle qualifiée d’effet de quartier :

Neighbourhood effects are the adverse impacts felt by those not themselves displaced in the neighbourhoods in which displacement occurs. Friendships are destroyed, support networks ruptured, the patrons of neighbourhood stores and businesses disappear,

interdependent economic relationships are disturbed, cultural institutions are left without support, and educational progress is hampered through changes in demands on schools (Marcuse, Rasmussen et Engler 1988, 1355, nous soulignons).

Les recherches empiriques sur cet aspect du phénomène de gentrification restent cependant peu nombreuses et ne vont pas toujours dans le sens de Marcuse. Des travaux ont ainsi suggéré que la gentrification d’un quartier pouvait mener à une bonification substantielle de son offre commerciale, une amélioration appréciée tant par les gentrifieurs que par les résidents de longue date. Ainsi, Freeman a constaté dans les quartiers Clinton Hill et Harlem de New York que « les changements pouvaient être perçus comme une normalisation de l’activité commerciale après des années de désinvestissement » dans des quartiers ou « un supermarché avec des produits décents », une pharmacie ou « des restaurants à prix modérés » faisaient antérieurement défaut (Freeman 2006, 62, nous soulignons). Ces conclusions s’appuient sur une littérature désormais abondante sur l’approvisionnement en produits alimentaires dans les quartiers défavorisés, qui sont parfois devenus de véritables « déserts alimentaires » et commerciaux et où il est souvent difficile de s’approvisionner en produits frais, les résidents « devant se débrouiller avec des "dépanneurs" aux prix plus élevés, qui offrent peu de choix » (Freeman 2006, 63)13. D’autres études ont évoqué le soulagement d’une grande partie

de la population de longue date de voir leur quartier et ses espaces commerciaux être enfin l’objet d’investissements (Doucet 2009; Ernst et Doucet 2014), certains avançant que la qualité des nouveaux établissements contribuerait à fortifier l’attachement au quartier des anciens résidents, les incitant à faire un effort économique supplémentaire pour demeurer dans le quartier (Freeman et Braconi 2004, 48-49). Il apparaît clair, lorsque ces deux perspectives sont mises en relation l’une avec l’autre, qu’au-delà des difficultés empiriques, une différence fondamentale réside dans leur postulat de départ. La position de Marcuse évoque des relations de voisinage et des pratiques d’approvisionnement stables et satisfaisantes (peut-être idéalisées a posteriori), que l’on sait impossibles dans plusieurs quartiers défavorisés que les études empiriques ont présentés comme inadéquats d’un point de vue d’approvisionnement. Les gentrifieurs eux-mêmes ne seraient pas unanimement favorables à ces transformations commerciales. Si certains estiment que l’arrivée des Starbucks et autres chaines équivaut à une sorte de consécration du nouveau statut du quartier – ou à tout le moins à un commerce attractif dont la venue est appréciée (Rose 2006) – d’autres vont à l’inverse critiquer cette globalisation

13 Des travaux montréalais ont cependant conclu que de tels déserts alimentaires ne constituaient pas vraiment un

problème à Montréal, les supermarchés étant bien répartis et généralement faciles d’accès, même dans les quartiers défavorisés (Apparicio, Cloutier et Shearmur 2007).

de l’offre commerciale qui irait à l’encontre de leurs valeurs, nuisant aux commerces indépendants et traditionnels qui avaient été à la base de leur attrait pour le quartier (Brown- Saracino 2009). Parfois, même les « nouvelles boutiques [indépendantes] sont jugées avec une sévérité extrême [car] elles mettent fin à l’image archaïque présidant à la représentation des lieux, elles marquent l’avènement d’un capitalisme triomphant » (Chalvon-Demersay 1984, 147). Les travaux d’Ocejo sur le quartier Lower East Side de New York suggèrent pour leur part un décalage de perceptions entre les différentes générations de gentrifieurs, ceux établis depuis longtemps – sensiblement à la même époque que ceux interviewés par Chalvon-Demersay à Paris (1984) – regrettant leurs lieux alternatifs et contre-culturels des premières années à mesure que ceux-ci disparaissent au profit de nouveaux lieux branchés et d’établissements plus « mainstream » (Ocejo 2011).

Des recherches menées récemment à Montréal révèlent également des rapports complexes, ambigus et contrastés des populations d’origine aux transformations commerciales de leur quartier. Ainsi les personnes âgées du quartier Petite-Patrie apprécieraient les embellissements liés à la gentrification et plus généralement à la revitalisation commerciale – sans toutefois fréquenter les nouveaux commerces – mais regretteraient la disparition de certains lieux de sociabilité comme les salles de bingo. Elles regarderaient plus durement la spécialisation d’une grande artère du quartier dans le commerce du tissu (Lavoie et al. 2011, 71), une évolution qui apparaît toutefois plus liée au déclin passé de la rue qu’à la gentrification récente du secteur. Dans une recherche portant sur le quartier Saint-Henri de Montréal, Twigge-Molecey (2013) a documenté la perception des résidents de longue date du quartier à l’égard des changements commerciaux de la rue Notre-Dame et du marché Atwater. Elle y a relevé un fort sentiment de dépossession, la plupart des habitants défavorisés se sentant exclus des améliorations apportées à l’infrastructure commerciale. Il semble cependant difficile d’isoler le rôle de la gentrification dans ces transformations : la plupart des commerces et services regrettés par les participants à la recherche – cordonneries et magasins de chaussure, magasins de vêtements – sont également en déclin dans la plupart des quartiers centraux, absorbés par la grande distribution. Le déménagement, l’agrandissement et l’embellissement du supermarché local, qui semble avoir particulièrement cristallisé les tensions, participent comme nous le verrons au sixième chapitre d’une évolution des épiceries familiales à mesure qu’elles s’affilient à des groupements volontaires, un phénomène généralisé au Canada dans un secteur de plus en plus dominé par la grande distribution. Si ces changements sont vécus à l’échelle locale – et sont à ce titre immensément importants – il semble néanmoins périlleux de rassembler toutes ces

transformations commerciales à l’aune de la seule gentrification.

Sociabilités commerciales en contexte de gentrification

Nous avons vu que les commerces avaient traditionnellement joué un rôle social fondamental dans la vie des quartiers populaires, mais que le déclin économique et l’urbanisme moderne des années 1960 et 1970 avaient considérablement compromis cet important rôle social. Qu’en est-il aujourd’hui ? La grande mobilité des citadins – tant quotidienne que résidentielle – l’accroissement de la diversité ethnique, les horaires de travail atypiques et irréguliers liés à la nouvelle économie constituent autant de facteurs qui incitent à ne transposer qu’avec une grande prudence les conclusions d’études de quartiers ouvriers aujourd’hui socialement disparus, cela même lorsque leur cadre bâti subsiste (Bacqué et Sintomer 2002). Il ne s’agit pas d’une question simple et la réponse varie forcément en fonction des villes, des quartiers et des groupes sociaux concernés.

Du côté des quartiers défavorisés, les points de vue divergent selon le type de quartier étudié et sa trajectoire économique descendante (déclassement) ou ascendante (gentrification). Dans un ouvrage qui a fait date, Wilson (1987, 56, 138) a ainsi montré comment l’exode des couches moyennes hors des quartiers afro-américains avait contribué au déclin des « institutions de base » de ces quartiers – églises, écoles, commerces – contribuant au délitement de leur organisation sociale. Leur disparition aurait affaibli les réseaux de solidarités dont ces institutions étaient la base et qui jouaient jusque-là un rôle d’amortisseur social face aux difficultés (« social buffer ») – notamment grâce à l’emploi qu’ils fournissaient aux populations précaires. Il en irait de même du sentiment communautaire, des représentations positives du quartier, des normes et des sanctions contre les incivilités qui disparaîtraient progressivement avec le départ des segments les plus favorisés des couches populaires. Cela mènerait en somme à un effritement de l’ordre social local.

Le commerce pourrait donc toujours – au moins potentiellement – devenir une « institution » des quartiers défavorisés, même si ce rôle apparaît encore aujourd’hui menacé. On ne comprend toutefois pas très bien comment une entreprise, dont l’objectif premier est le profit, peut venir à jouer ce rôle de ciment social, en particulier dans des quartiers marqués par une grande diversité. Dans ce contexte, l’étude de M. Sánchez-Jankowski (2008) sur les quartiers défavorisés de New York et de Los Angeles marque certainement un tournant dans les études urbaines américaines en ramenant les institutions au premier plan, perspective quelque peu

négligée dans les dernières années au profit de la notion plus fluide de capital social (p. ex. Small 2004). Pour Sánchez-Jankowski, la capacité d’un établissement commercial à devenir une institution de quartier repose sur plusieurs facteurs. Il doit d’abord offrir une gamme de produits répondant aux besoins de la population locale, en particulier dans le domaine alimentaire – en raison de la fréquence de ces achats mais aussi de la nature très culturelle et émotive des pratiques alimentaires. Le commerçant doit ensuite accepter de fournir différents services complémentaires à sa clientèle, comme la livraison ou le crédit. Ces deux premiers critères constituent la base de la fréquentation de l’établissement, mais ne suffisent pas en faire une institution sociale significative pour le quartier. Ce statut particulier et relativement rare dépendrait au final de la volonté du commerçant d’abriter dans son établissement tout un ensemble d’interactions sociales non directement liées à l’échange de produits ou de services : flânage, discussions et commérages, activités diverses allant de l’écoute de matchs sportifs au jeux de cartes ou d’échec. La présence de ces activités non marchandes implique un investissement supplémentaire de la part du propriétaire qui doit alors agir comme régulateur de l’« ordre d’interaction » qui se déploie dans son établissement. Cela implique notamment le développement d’identités sociales pour les clients réguliers, qui conduit à l’émergence d’une hiérarchie des statuts qui dépend notamment du temps passé dans le magasin, du degré de proximité avec le patron, des ressources personnelles de chaque individu et de sa générosité envers les autres clients. Reprenant la figure du « protecteur » de Gans (1962), Sánchez- Jankowski rappelle qu’il est de la responsabilité du commerçant de tracer la limite entre les comportements acceptables et ceux qui ne le sont pas, une étiquette maintenue par de subtils mais fermes rappels à l’ordre. Le propriétaire doit enfin veiller à ce que les clients réguliers ne monopolisent pas l’accès à son commerce, car si la clientèle d’un établissement « est entièrement composée de réguliers, celui-ci devient insulaire et prend le caractère social d’un club privé, pas celui d’une institution de quartier » (Sánchez-Jankowski 2008, 38).

La plupart des commerces – même petits – demeurent généralement de simples entreprises économiques, se refusant à jouer ce rôle social en limitant, voire éventuellement en éliminant les dynamiques de groupe et les échanges sociaux dans le magasin. En refusant certaines faveurs, en surveillant les interactions de façon trop visible ou en intervenant dans celles-ci de façon trop brutale ou trop sévère, le commerçant peut empêcher la formation de relations sociales signifiantes. Des phrases polies mais non équivoques telles « puis-je vous aider ? » ou « pouvez vous libérer le passage ? » limitent les interactions prenant place dans l’établissement et marquent une distance vis-à-vis d’une partie de la population locale qui se voit ainsi confinée au

seul rôle de clientèle.

Sánchez-Jankowski relie en outre ces deux attitudes au contexte social et économique plus large dans lequel elles s’insèrent, dégageant quatre figures de rapport du commerçant à son quartier. La première posture est qualifiée d’impérialiste. Elle désigne les commerçants appartenant à un groupe ethnique différent du profil ethnoculturel du quartier, où le propriétaire n’habite généralement pas à proximité de son commerce. L’entreprise n’a alors de finalité qu’économique, les profits sortant immédiatement du quartier. La population locale en est souvent consciente, ce qui conduit dans certains cas à une forme de ressentiment pouvant être plus ou moins clairement et violemment exprimé. Le deuxième type de posture – le commerçant dépassé – se caractérise aussi par le décalage existant entre son propriétaire et la population locale, mais ce décalage n’est pas de l’initiative du commerçant mais plutôt à l’évolution ethnoculturelle du secteur. De fait, les commerçants de ce type sont généralement issus d’un groupe auparavant majoritaire ou à tout le moins fortement représenté dans la population locale, qui est progressivement remplacé par un autre groupe ethnique. Si certains commerçants ont choisi de migrer avec leur clientèle, certains propriétaires décident au contraire de rester dans le quartier pour diverses raisons allant de l’attachement sentimental – au commerce ou au quartier – au manque d’énergie ou de ressources, notamment chez les commerçants plus âgés désirant terminer leur vie active dans la stabilité. Certains choisissent aussi volontairement de rester, se rapprochant en quelque sorte de la catégorie des impérialistes. Un troisième groupe, celui des précurseurs, renvoie pour sa part aux commerçants appartenant à un groupe ethnique en émergence dans le quartier, dont les premiers habitants ont souvent du mal à s’approvisionner à proximité de leur domicile. Il est fréquent qu’un membre de ce groupe décide de pallier cette lacune en se lançant en affaires, ce qui n’est pas sans rappeler certains des entrepreneurs observés par Zukin (2010) à New York. Le dernier cas de figure, l’indigène, correspond à un état de symbiose ethnoculturelle entre un commerçant et un groupe fortement représenté dans les environs. Les affinités culturelles facilitent alors l’émergence de sociabilités extraéconomiques. Selon Sánchez-Jankowski, ce sont ces établissements qui sont le plus susceptibles de devenir des institutions du quartier.

Aussi important que puisse être le rôle social de ces institutions commerciales, leur survie reste donc très fragile, en particulier dans les quartiers socioéconomiquement instables. Des variations de population ou des changements dans la composition ethnoculturelle du quartier peuvent rapidement rompre l’équilibre relatif sur lequel s’appuient tant la survie de cette sociabilité que la rentabilité du commerce. La concurrence y serait aussi particulièrement féroce,

Sánchez-Jankowski rappelant l’effet dévastateur de l’implantation de supermarchés dont les bas prix et la sensibilité ethnoculturelle croissante attireraient en masse les populations locales. Cette rupture des circuits d’approvisionnement fragiliserait les petits établissements commerciaux, tout comme les fluctuations de la criminalité locale. Lorsque ces changements ne sont pas trop brutaux, plusieurs commerçants réussiraient à s’adapter en ajustant leur assortiment de produits, la disposition de leurs magasins ou leurs comportements. Dans certains cas, ils pourraient même préserver leur statut d’institution et contribuer au maintien de l’équilibre social du quartier. Mais lorsque ces changements sont trop marqués ou trop rapides, les petits commerçants seraient également les plus vulnérables et les plus susceptibles de disparaître.

D’autres chercheurs ont avancé que le pouvoir rassembleur des établissements commerciaux aurait ses limites, en particulier lorsque les écarts sont trop grands entre les différents groupes présents. Plusieurs études américaines ont ainsi rappelé que les frontières sociales informelles entre les différents groupes structureraient les parcours quotidiens, notamment ceux pour fins d’approvisionnement. Le sentiment d’appartenance à une communauté, voire à un territoire, dicterait donc le choix des commerces fréquentés, les pratiques d’approvisionnement distinctes venant alors conforter plutôt que dépasser les lignes de la ségrégation raciale (Anderson 1990, 46). C’est aussi ce qu’a constaté Small (2004, 99) dans son étude du quartier South End de Boston, évoquant l’inconfort des membres de deux groupes ethniques à fréquenter les commerces dont l’apparence ou les produits étaient plus naturellement associés à l’autre groupe. Cet inconfort était particulièrement prégnant chez la population pauvre d’origine portoricaine, fortement concentrée dans quelques immeubles de logements sociaux. Dans ces deux cas cependant, la distance sociale à parcourir apparaît grande entre des communautés noires ou latinos fortement défavorisées et relativement homogènes d’une part et des gentrifieurs blancs souvent aisés d’autre part, l’appartenance ethnique se combinant aux frontières socioéconomiques pour isoler les groupes infériorisés. Les recherches portant sur la « black gentrification » ont montré des rapports sans doute moins distants, où une certaine solidarité raciale vient atténuer les différences de classe et fluidifier les interactions, mais ces observations apparaissent cependant difficilement transposables aux populations non minoritaires moins susceptibles de développer de tels sentiments altruistes à l’égard des privilèges d’autrui. En outre, comme Mary Patillo l’a bien montré dans son étude d’un quartier du sud de Chicago, c’est sans doute dans les espaces de consommation que les différents groupes socioéconomiques sont le plus ségrégés par un marketing très ciblé – un nouveau supermarché

s’étant même refusé à embaucher du personnel local, jugé peu compatible avec son image de marque (Pattillo 2007, 94).

Il apparaît évident, à la suite de ce survol, que les affinités culturelles jouent un grand rôle dans l’émergence de sociabilités fortes autour des établissements commerciaux en quartier défavorisé. Mais ces conclusions découlent essentiellement de recherches portant sur des quartiers ethniquement et racialement très marqués. Il semble donc difficile de les transposer à la réalité plus mixte des quartiers montréalais, encore davantage à celle de quartiers majoritairement blancs et francophones comme Hochelaga-Maisonneuve ou le Sud-Ouest. D’autres recherches, européennes notamment, suggèrent plutôt un effritement du tissu commercial local lorsque celui-ci n’est pas soutenu par une communauté ethnoculturelle particulière – même en contexte multiethnique – les consommateurs défavorisés mais néanmoins mobiles préférant parcourir des distances parfois longues pour s’approvisionner dans des supermarchés moins chers (Mumford et Power 2003, 167). Cela semble être aussi le cas dans plusieurs quartiers montréalais, comme en témoignent une série d’enquêtes réalisées au début des années 198014.

Les classes sociales (a fortiori les couches moyennes) n’ont pas le même degré de cohésion interne que les groupes ethniques, dont la différence avec le reste de la société s’appuie sur des marqueurs forts comme l’apparence physique, la langue ou la religion.

Les classes moyennes urbaines et le commerce : entre ancrages et mobilités

Sans être au sommet de l’échelle sociale, les classes moyennes sont néanmoins situées du bon côté du spectre socioéconomique des quartiers en gentrification. Elles sont, dans les quelques cas de cohabitation précédemment évoqués, dans une situation où leurs ressources leur confèrent un avantage dans l’appropriation de l’espace physique, cela même lorsqu’elles demeurent numériquement minoritaires. Grâce à leur pouvoir d’achat, mais aussi à leurs ressources sociales et culturelles plus importantes, elles peuvent façonner une ville à leur image, de manière à faciliter leur utilisation distincte des espaces commerciaux. Plus fondamentalement, les classes moyennes ne fréquentent souvent pas les mêmes espaces