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Le rôle réduit dévolu au juge ordinaire

L'ordre autonome constitué par les organisations sportives

D) Le rôle réduit dévolu au juge ordinaire

Grâce aux règlements juridiques détaillés, le sport organisé est capable de régler tous les conflits sportifs et sociaux par voie interne avec un minimum de recours devant les juridictions étatiques. Il est vrai que les moyens internes présentent, en règle générale, deux avantages certains: la procédure interne est plus rapide et moins onéreuse que celle devant les tribunaux. Relevons cependant encore une autre caractéristique, d'importance capitale du point de vue juridique, des instances internes des organisations sportives. Dans de nombreux cas, ces instances, appelées à trancher un litige entre l'association ou la fédération et un membre, ont la qualité d'organe de l'association ou de la fédération partie au litige.

Le Verbandssportgericht, la Zentrale Rekurskommission, la Kassationskammer et le Zentralvorstand, p. ex., qui se partagent les compétences judiciaires supérieures de l'ASF, sont élus par l'Assemblée des Délégués28. Dans la FSBA, l'Assemblée Générale élit les membres du Tribunal arbitral29 et le Comité directeur ceux de la Commission juridique, de la Commission disciplinaire et de protêts ainsi que de la Commission de recours30La situation est identique dans la LSHG et dans l'AST. Parmi les fédérations étudiées, seule la FSSE prévoit la nomination par les parties au litige des juges siégeant dans l'instance de recours suprême de la fédération31.

En tant qu'organes, ces instances se trouvent dans une situation de subordination par rapport aux organisations qui les ont créées et qui continuent à en contrôler le fonctionnement. Elles ne sont ainsi pas indépendantes et ne donnent pas, du moins a priori, les meilleures garanties d'impartialité dans les litiges opposant l'association ou la fédération à un membre. Il est vrai que, dans certains cas de figure, par exemple lorsqu'un différend opposant des associations est porté devant le tribunal de la fédération, la neutralité des juges ne semble pas d'emblée contestable.

28 Cf. art. 31.1, 36.2, 37.1 et 38.1 des statuts de l'ASF.

29 Cf. art. 13.1e des Statuts Centraux.

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Cf. art 9.4c et 26.1 des Statuts Centraux.

31 Cf. art. 11 et 12 de l'Ordre Juridique; à noter que ce "Jury d'appel ordinaire" est compétent uniquement pour les différends "qui ne relèvent pas exclusivement du domaine sportif', mais le règlement ne détennine pas ce qui relève ou ne relève pas exclusivement du domaine sportif.

Il demeure néanmoins une grande part de litiges où la fédération est partie prenante et les enjeux sont importants. Dans ces cas de figure, la neutralité des juges paraît capitale. Il s'agit alors de savoir pourquoi nombre de ces litiges ne sont néanmoins pas portés devant les tribunaux ordinaires afin qu'un juge véritablement indépendant de toutes les parties tranche le litige. La réticence des parties à faire appel au juge ordinaire tient, à notre avis, dans une moindre mesure aux avantages cités, soit à la rapidité et à l'économie de la procédure interne. Elle est principalement due à un troisième facteur entrant en ligne de compte: la renonciation à la voie judiciaire ordinaire imposée aux membres des sociétés sportives par le biais de clauses statutaires ou réglementaires. Ces clauses obligent les membres de plusieurs fédérations et de leurs associations affiliées ainsi que les participants aux compétitions à n'utiliser que les voies judiciaires internes et à renoncer, pour certains genres ou pour la totalité des litiges, à la voie judiciaire ordinaire.

Les différentes formulations en la matière peuvent être illustrées par les quelques exemples suivants:

Statuts de l'Association Suisse de Tennis Art. 45 Juridiction

1 Les membres de l'AST se soumettent sans réserve à la juridiction de l'AST pour tous les litiges relatifs à leur affiliation.

3 La voie judiciaire ordinaire est exclue, ...

Statuts de la Ligue Suisse de Hockey sur Glace Art 68 Clause arbitrale

1 Tous les différends, nés de l'application du droit interne de l'Association, c'est-à-dire de nature sportive par opposition aux autres litiges, soumis à la compétence des tribunaux ordinaires civils ou pénaux, sont jugés exclusivement par les instances juridiques de l'Association. . ..

6 L'Association, les clubs et leurs membres, les autorités de l'Association et leurs fonctionnaires, les joueurs et les entraîneurs, les soigneurs, les accompagnants, les arbitres de l'Association ont l'obligation de se soumettre sans réserve à la procédure ou aux décisions des juridictions de l'Association.

Statuts de l'Association Suisse de Football

Art. 7.1 Die Vereine des Verbandes unterstellen sich und ihre Mitglieder, Spieler und Funktionare vorbehaltlos der V erbandsgerichtsbarkeit für alle Streitigkeiten, die sich aus der Mitgliedschaft beim Verband ergeben oder sonstige Rechte und Pflichten betreffen, die durch die Statuten oder Reglemente des Verbandes, seiner Abteilungen oder Unterorganisationen, begründet sind. . ..

Art. 7.5 Den Verbandsvereinen, ihren Mitgliedern und Spielern ist es verboten, an die ordentlichen Gerichte zu gelangen, sofern der Streit unter Art. 7 Ziff. 1 dieser Statuten fallt. Verstôsse gegen diese Bestimmung werden gemass Art. 56 der Statuten bestraft. 32

L'article 7.2 des statuts de la FSBA exige que chacun de ses membres signe la déclaration d'adhésion aux statuts et règlements, déclaration qui "doit se référer expressément à la clause compromissoire de l'article 38". L'article 38, en effet, prévoit l'exclusion de la voie judiciaire étatique pour tous les litiges.

Sans préjuger de la validité en droit des clauses d'exclusion qui sera examinée par la suite, leur effet sur le comportement social des sportifs et des responsables dans les associations et fédérations peut être imaginé. Ces clauses constituent certainement un des facteurs déterminants-à côté de l'efficacité et de l'économie des moyens - qui expliquent le volume restreint d'actions judiciaires à l'encontre de décisions des associations sportives33.

Conclusions

Afin de conclure l'analyse des réglementations des sociétés sportives, il convient de relever que l'ordre autonome créé par les organisations sportives se caractérise, avant tout, par le volume impressionnant de normes édictées par les fédérations et applicables aux échelons inférieurs34. Tous les aspects de la vie sociale et naturellement de l'activité sportive, tant au niveau du sport de loisir 32 L'art. 56 inclut le catalogue des sanctions de l'ASF.

33 Dans le même sens: Germain, p. 26.

34 Ce qui n'exclut pas, toutefois, des lacunes réglementaires à certains égards, comme le démontrera l'étude juridique.

qu'au niveau des compétitions, sont régis de manière plus ou moins détaillée Dans la majorité des sports, les associations et les fédérations inférieures, bien que formellement indépendantes, ne disposent que d'une marge de manoeuvre et d'un pouvoir décisionnel réduits. Elles se trouvent, en fait, soumises dans une si large mesure aux statuts et aux règlements des fédérations nationales et internationales, qu'il ne reste que peu de place pour la création normative au sein de leur propre société.

La monopolisation du pouvoir et la hiérarchisation des structures permettent de créer un système normatif uniforme et efficace, coiffant toute l'activité sportive de même qu'une partie non négligeable de la vie sociale des associations sportives. Les différends ainsi que les moyens de les résoudre y trouvent une large place.

Quelle est la relation entre le sport et le droit, telle qu'elle ressort des réglementations applicables dans le sport organisé suisse ? Elle peut être résumée par deux constatations:

- l'ordre autonome témoigne d'un grand degré de sophistication. Il peut, à certains égards, notamment en ce qui concerne le détail des réglementations et l'efficacité dans l'application des normes, être comparé à l'ordre juridique étatique35. L'association sportive se sert à bon escient, à notre avis, de l'autonomie que le droit lui confère;

- mais les sociétés sportives vont plus loin encore. En interdisant l'accès au juge étatique, elles interprètent leur autonomie de manière à y inclure, non seulement le droit d'édicter et d'appliquer des normes autonomes, mais également le droit au contrôle ultime de leurs propres décisions.

Le sport organisé, tout en étant très proche du droit, cherche finalement à imposer une séparation stricte, dans l'application du droit interne, entre le monde du sport et l'espace du droit. Cela représente une détermination autonome du champ d'application du droit interne du sport par les organisations sportives elles-mêmes. Cette constatation, qui découle de "l'état de fait" présenté, nous a amenée à vérifier "l'état de droit" en Suisse, à savoir si le droit étatique a reconnu, et dans quelles limites, l'autonomie des organisations sportives telle qu'elle est déterminée par leurs statuts et règlements. Tel sera le propos des chapitres suivants.

35 Simon, p. 5; Rigaux, p. 67.

Chapitre II

Le choix de la forme sociale pour le groupement