• Aucun résultat trouvé

À ce jour, il existe beaucoup moins d’études qui portent spécifiquement sur la régulation du trafic membranaire par les lipides en comparaison des protéines. Longtemps négligés, notamment en raison des difficultés à les étudier, les lipides apparaissent pourtant aujourd’hui comme des acteurs essentiels durant les différentes étapes du trafic vésiculaire, agissant en synergie avec les acteurs protéiques. Le rôle majeur de certains d’entre eux a été mis en évidence, par exemple au cours de l’exocytose régulée (Tanguy et al., 2016) et la phagocytose (Walpole et

Figure 11 : Exemple de l’organisation structurale du complexe SNARE à la membrane plasmique au niveau de l’élément présynaptique

(Adapté de Sutton et al., 1998)

Le complexe SNARE est formé de trois protéines : la protéine vésiculaire VAMP/synaptobrévine, ainsi que deux protéines situées sur la membrane du compartiment receveur, la syntaxine et SNAP25. L’association des motifs SNARE des trois protéines forme un faisceau de quatre hélices α parallèles qui constitue le cœur du complexe.

Introduction générale | Le trafic vésiculaire

25

al., 2018). J’aborderai plus en détail les fonctions de ces lipides au cours de ces deux processus dans la suite de cette thèse.

Hétérogénéité de la composition lipidique à l’échelle cellulaire

La grande diversité des lipides membranaires permet de conférer des propriétés particulières aux différentes membranes cellulaires, afin d’attribuer une fonction spécifique à chaque organite(Bigay et Antonny, 2012). Mais c’est également une façon de leur attribuer une identité propre, afin de faciliter la discrimination d’un compartiment intracellulaire à un autre et de guider le trafic vésiculaire. Ces « cartes d’identité » sont essentiellement définies par les lipides exposés dans le feuillet cytosolique des membranes.

Toutes les membranes des cellules eucaryotes contiennent en grande majorité de la PC, mais aussi de la PE et du cholestérol. Des analyses de lipidomique ont cependant révélé plusieurs gradients de distribution lipidique entre la membrane plasmique et les différents organites impliqués dans le trafic membranaire, leur conférant des propriétés physico-chimiques distinctes (van Meer et al., 2008 ; van Meer et de Kroon, 2011). Le premier de ces gradients concerne le cholestérol, qui est trouvé en abondance dans la membrane plasmique, puis en quantité décroissante dans les citernes de l’appareil de Golgi, jusqu’au REG. De façon similaire, il existe un gradient de charge entre ces différentes membranes, impliquant principalement la quantité de PS dans le feuillet cytosolique. Enfin, le degré d’insaturation des lipides suit également un gradient, mais inversé par rapport aux deux précédents. En effet, les lipides du REG sont généralement plus insaturés que dans l’appareil de Golgi ou la membrane plasmique. D’une façon générale, cette répartition graduelle fait apparaître deux territoires membranaires : les membranes de la voie de sécrétion précoce (REG et CGN) sont peu chargées et plutôt fluides, tandis que celles de la voie tardive (TGN et membrane plasmique) sont fortement chargées et plus compactes (figure 12).

En parallèle de ces gradients, certains lipides possèdent une localisation spécifique. C’est le cas des PIP, qui sont ainsi considérés comme des marqueurs de compartiments intracellulaires impliqués dans le trafic vésiculaire (Di Paolo et De Camilli, 2006). Les PIP sont formés par phosphorylation du résidu inositol du PI sur des groupements hydroxyles libres, notamment via l’activité de PIP kinases. Divers produits peuvent être obtenus en fonction des positions modifiées, dont les plus fréquemment retrouvés sont le PI3P (phosphatidylinositol-3-phosphate), le PI4P (phosphatidylinositol-4-phosphate), le PI(4,5)P2 (phosphatidylinositol-4,5-biphosphate) ou encore le PI(3,4,5)P3 (phosphatidylinositol-3,4,5-triphosphate). À titre d’exemples, le PI3P se retrouve enrichi plus spécifiquement dans la population des endosomes précoces, alors que le PI4P se concentre dans la membrane de l’appareil de Golgi. La membrane plasmique contient plus particulièrement du PI(4,5)P2 et du PI(3,4,5)P3. Une accumulation de PI(4,5)P2 est notamment observée au niveau des microdomaines lipidiques, dans le feuillet cytosolique (Martin, 2001). D’autres lipides que les PIP sont restreints à un seul type d’organite, comme la cardiolipine (CL),

Introduction générale | Le trafic vésiculaire

26

un lipide uniquement présent dans les membranes mitochondriales où il est synthétisé à partir de PG (Gaspard et McMaster, 2015) ou encore le LBPA (lysobisphosphatidic acid) qui est synthétisé exclusivement dans les endosomes (Chevallier et al., 2008).

Les glycérophospholipides, des composés aux multiples rôles

Parmi les lipides membranaires, les glycérophospholipides sont considérés comme des acteurs majeurs des processus d’exocytose et d’endocytose, tout d’abord grâce à leur capacité à moduler la topologie membranaire. Ainsi, en fonction de leur forme tridimensionnelle, ces lipides sont sensés favoriser ou inhiber la déformation membranaire observée au niveau du

Figure 12 : Diversité de composition lipidique dans les membranes cellulaires

(Bigay et Antonny, 2012)

Grâce à une distribution graduelle de certains lipides, deux grands territoires membranaires se distinguent par leurs propriétés physicochimiques. Les membranes du RE et du cis-Golgi sont peu chargées négativement et ont une certaine fluidité du fait de leur pauvreté en cholestérol et leur enrichissement en lipides insaturés. À l’inverse, les bicouches du trans-Golgi et de la membrane plasmique présentent une charge négative bien plus importante et plus de rigidité, car elles sont riches en lipides saturés et en cholestérol.

Introduction générale | Le trafic vésiculaire

27 compartiment donneur durant la biogenèse des vésicules. De même, certains lipides dits « fusogéniques » semblent faciliter la mise en place des différents intermédiaires de fusion (figure 13). En effet, étant donné que l’installation de la tige d’hémifusion requiert des courbures négatives, l’insertion ou la production localisée de lipides coniques dans les feuillets cytosoliques favoriserait sa formation. À l’inverse, le diagramme d’hémifusion et par conséquent le pore de fusion sont engendrés par des courbures positives,potentialisées en présence de lipides coniques inversés dans les feuillets distaux (Chernomordik et Kozlov, 2003). Une distribution asymétrique en glycérophospholipides entre les deux feuillets semble ainsi être nécessaire à la fusion membranaire, puisqu’elle contribuerait à la transition entre le stade d’hémifusion et l’étape de fusion complète (Vicogne et al., 2006). D’autre part, les glycérophospholipides dits « bioactifs » sont connus pour être formés localement afin de recruter ou activer des protéines impliquées dans le trafic membranaire. Ces lipides, localisés à la fois sur les membranes donneuse et acceptrice, ont le plus souvent des rôles multiples au cours du trafic. Parmi les plus étudiés, on retrouve certains PIP, dont le PI(4,5)P2 qui contrôle le recrutement des protéines motrices sur les vésicules, régule le remodelage du cytosquelette d’actine à la membrane plasmique et interagit avec la machinerie moléculaire de fusion (Huijbregts et al., 2000 ; Klopfenstein et al., 2002 ; Di Paolo et De Camilli, 2006).

Dans la suite de ce chapitre, je me focaliserai sur la formation d’un glycérophospholipide particulier, le PA. Nous verrons que ce lipide présente plusieurs particularités qui en font un bon candidat en tant que régulateur des différentes étapes du trafic membranaire.

Figure 13 : Modèle de l’influence de la géométrie des phospholipides sur les étapes de la fusion membranaire

(Piomelli et al., 2007)

La formation de la tige de fusion (stalk) nécessite la présence transitoire d’une courbure négative au niveau des feuillets proximaux, qui serait favorisée par la génération de phospholipides de forme conique (en rose) tels que le PA, le DAG et la PE. Après le passage par cet intermédiaire, la tige s’élargit pour donner naissance à un pore de fusion. Cette étape finale nécessite à l’inverse la présence d’une courbure positive dans les feuillets distaux, et serait alors facilitée par l’apparition de lipides coniques inversés (en bleu) comme les lysophospholipides ou les PIP.

28

III. L’acide phosphatidique (PA)

Le PA représente un très faible pourcentage des phospholipides membranaires, variant d’environ 2 à 6% selon les types cellulaires et les différents organites (Andreyev et al., 2010 ; Shulga et al., 2010). Bien qu’il soit en général présent en quantité limitée dans les membranes, sa formation apparaît pourtant cruciale pour la survie des cellules (Bruntz et al., 2014a). Ce lipide possède en effet des fonctions cellulaires pléiotropiques, qui sont la conséquence directe de sa structure chimique très simple.