• Aucun résultat trouvé

Un rôle dans la distinction du soin et la recherche

Cette question s’impose comme un préalable notamment lorsque les intérêts de la personne qui participe à la recherche se retrouvent en décalage avec les intérêts poursuivis par cette même recherche. Si les objectifs de la recherche en santé sont en coïncidence parfaite avec les intérêts de la personne participante, ceci ne serait pas de la recherche mais bien du soin comme le rappelle Marie- Thérèse HERMANGE dans un rapport sur la proposition de loi relative aux recherches sur la personne. Selon ses dires « La recherche doit être bien distinguée des soins : ceux-ci ont un bénéfice direct pour l'individu, la recherche vise avant tout à améliorer les connaissances »(126). Si la recherche impliquant la personne est une question de santé publique, elle ne constitue pas un acte de soin. Alors que l’utilité de la recherche est collective, celle du soin est individuelle.

Les notions de recherche et de soin se différencient également par leur temporalité. La préoccupation pour l’avenir est ce qui spécifiait la recherche par rapport au soin. Le propre du soin est d’être centré sur l’instant présent, sur l’état de santé actuel de la personne soignée (127). D’après l’avis n°79 du Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE): « Le soin est une activité thérapeutique qui s'adresse à la subjectivité d'une personne singulière, tandis que la recherche tend à l'objectivité d'un individu biologique. À la première démarche qui incorpore en elle l'écoute personnalisée d'un sujet, la seconde substitue le souci épistémologique de mettre à jour les Lois impersonnelles du vivant » (128).

De surcroît, la confusion entre le soin et la recherche peut s’expliquer par le concept du médecin- chercheur et du médecin-soignant. Le chercheur qui réalise une recherche impliquant la personne humaine est appelé investigateur. En France, selon l’Article L.1121-3 du CSP : « Les recherches ne peuvent être effectuées que si elles sont réalisées (…) sous la direction et sous la surveillance d'un médecin justifiant d'une expérience appropriée » (129).

De plus, selon l’Article R. 4127-15 du CSP « Le médecin ne peut participer à des recherches biomédicales sur les personnes que dans les conditions prévues par la Loi ; il doit s'assurer de la régularité et de la pertinence de ces recherches ainsi que de l'objectivité de leurs conclusions. Le médecin traitant qui participe à une recherche biomédicale en tant qu'investigateur doit veiller à ce que la réalisation de l'étude n'altère ni la relation de confiance qui le lie au patient ni la continuité des soins » (130).

Le médecin qui est à la fois soignant et chercheur (investigateur ) se trouve face à un dilemme qui peut être schématisé (131):

SOIGNANT INVESTIGATEUR/CHERCHEUR

Intérêt centré sur le patient Intérêt centré sur la maladie Le patient est une fin, le traitement est

personnalisé, valeur de la sagesse individuelle du soignant

Le patient est un moyen, le traitement est protocolaire, valeur de la sagesse collective des

investigateurs

Souci de préserver le patient d’aujourd’hui au risque de pénaliser le patient de demain

Accepte de pénaliser le patient d’aujourd’hui pour un bénéfice espéré chez le patient de

demain

Autrement dit, ceux qui pratiquent les recherches sont des médecins, c’est-à-dire des personnes à qui la société a confié la fonction de soigner les autres. Sur les neuf entretiens réalisés, deux concernaient des médecins, dont deux présidents. Ces derniers relataient que la recherche était un devoir pour un médecin, justifiant notamment leur intérêt quant à l’intégration à un comité tel qu’un CPP.

Si le médecin se retrouve avec ce rôle double, la personne soignée, quant à elle, peut également identifier la recherche comme étant une alternative au soin. Le risque étant que les malades confondent aussi le soin et la recherche. Les malades peuvent penser que la recherche ne peut leur être que favorable, simplement par le fait que la recherche sous-entende un suivi plus attentif de la part des équipes médicales. Les Anglos-Saxons parlent de Therapeutic misconception qui désigne « When individuals do not understand that the defining purpose of clinical research is to produce generalizable knowledge, regardless of whether the subjects enrolled in the trial may potentially benefit from the intervention under study or from other aspects of the clinical trial » (132).

Le soin et la recherche impliquant la personne humaine sont des notions différentes, mais sont cependant indissociables. Une des définitions de la recherche de 1452 était l’« action de rechercher avec soin »(1). Dans la définition de l’un, apparait le terme de l’autre. Leurs progrès et évolutions respectifs sont dépendants l’un et de l’autre. Le développement thérapeutique est toujours passé par une première tentative sur un être humain. L’efficacité thérapeutique et l’absence de dangerosité d’une substance ou d’une technique ne sont mesurables qu’après la réalisation d’un nombre d’essais ayant une signification statistique (125).

En résumé, dans le cadre du soin, la personne est une fin ; dans la recherche, la personne devient un moyen pour accéder à une fin. Mais l’utilisation de la personne humaine uniquement comme un « moyen » et non pas comme une fin, ne va pas sans soulever des difficultés. Les résultats montraient que les membres d’un CPP souhaitaient établir une distinction entre la dimension individuelle, c’est- à-dire celle de la personne impliquée dans la recherche et la dimension collective, à savoir la recherche. Les personnes interrogées exprimaient que la recherche devait avoir un intérêt pour la personne qui y participait. Selon eux, la recherche impliquant la personne humaine est une condition du progrès mais il n’est pas acceptable pour autant que soient, au nom du progrès scientifique, réalisées des recherches sur une personne sans veiller à sa sécurité. Ce n’est pas tant « d’inscrire la pratique investigatrice dans une perspective collectiviste » qui est remise en question, mais plutôt « de perdre de vue l’intérêt propre du malade, devenu un simple objet de recherche » (133).