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Les coutumiers neuchâtelois se divisent en deux catégories, en fonction du des- sein dans lequel ils sont rédigés. Certains auteurs les composent dans une op- tique purement privée, afin de posséder un outil de travail ou par simple intérêt pour la connaissance du droit. D’autres, en revanche, rédigent leur coutumier dans l’espoir de le voir sanctionner par l’autorité et parfois même à la demande de cette dernière. Si durant l’Ancien Régime la rédaction officielle de la cou- tume échoue, certains coutumiers acquièrent un statut ambigu. Une certaine autorité est accordée à ces compilations qui ne revêtent pourtant aucune légiti- mité d’un point de vue légal.

540 Un titre collé sur la couverture du manuscrit de la BPUN MSA.556 mentionne « Projet d’un

Code de Lois civiles, à l’usage de la souveraine Principauté de Neufchastel & Valangin, par feu Monsieur Bullot, Conseiller d’Etat et Maire de Neufchastel » et laisse penser qu’il s’agit

de cet ouvrage. Il s’agit pourtant vraisemblablement d’un manuscrit du milieu du XIXe siècle

et non du coutumier de Bullot.

541 BPUN MSA.15. 542 BPUN MSA.1622. 543 BPUN MSA.1623.

Un manque de nécessité

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Des œuvres purement privées

Quelques coutumiers sont rédigés dans un intérêt exclusivement privé. Leurs auteurs n’envisagent pas de les soumettre à l’autorité pour leur conférer une valeur normative ni de les diffuser à titre de doctrine. Ces exemplaires nous intéressent assez peu, en raison de leur confidentialité et de leur rareté. Il s’agit du coutumier de Dumont, du MSA.7 et du MSA.15, tous trois rédigés à un seul exemplaire. Le coutumier tardif, rédigé par Marval en 1829, a pour sa part été copié une fois par l’auteur, pour l’offrir à son ami Gallot. Ces travaux isolés n’offrent pas de réponse suffisante au manque d’ouvrages permettant de pallier l’absence d’un code civil, contrairement à leurs pendants, rédigés dans un des- sein normatif.

Une vocation normative

Les auteurs de la plupart des coutumiers ambitionnent de faire sanctionner leur travail par l’autorité et de pouvoir ainsi revendiquer la paternité du Code civil neuchâtelois. Aucun d’entre eux n’y parvient, mais leurs ouvrages connaissent généralement une large diffusion, d’où leur intérêt. Ces coutumiers se divisent en trois catégories : les ouvrages manuscrits copiés, les ouvrages imprimés et les ouvrages manuscrits uniques. Cette dernière catégorie ne contient en fait qu’un seul coutumier, celui de Bullot. Il ne présente que peu d’intérêt pour la même raison que les coutumiers purement privés, le manque de publicité. Quant au coutumier Hory, ne contenant pas la coutume en vigueur, mais un droit à introduire, il n’a pas lieu d’être analysé dans ce qui suit.

Dans la catégorie des coutumiers manuscrits copiés se trouvent les ouvrages de Favargier et Meuron. Une vingtaine de reproductions de ces ouvrages du début du XVIIIe siècle nous sont parvenues. Elles constituaient la seule alterna- tive aux grands coutumiers jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.

Des coutumiers suffisants

173 À partir de 1757, les Neuchâtelois peuvent compter également sur l’Examen

d’un candidat de Boyve. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un coutumier, il est rédigé

sur la base du coutumier manuscrit de Boyve, resté pour sa part confiné dans la bibliothèque de l’auteur. Sans être véritablement un coutumier privé imprimé, il a toutefois sa place ici puisqu’il remplit quasiment la même fonction et répond à des attentes similaires. Ses trois éditions de 1757544, sa réédition en 1786545 et la réimpression de cette dernière en 1791546 témoignent d’ailleurs d’une attente importante pour un ouvrage imprimé de vulgarisation sur la coutume du pays. Le coutumier d’Ostervald enfin, qui paraît en 1785, offre un accès aisé, bien que coûteux, aux points de coutume organisés de manière thématique. Son ti- rage est également important puisqu’on dénombre 173 souscriptions547. Ces deux imprimés sont complémentaires et répondent tous deux à une demande : d’une part un petit ouvrage accessible aussi bien au niveau de son prix que de sa complexité pour le grand public, de l’autre un imposant in-folio, cher, mais exhaustif pour les juristes.

L’accès à la coutume est donc possible grâce à ces nombreux documents : à partir du début du XVIIe siècle, plus d’une trentaine de grands coutumiers pré- sentant la coutume de manière chronologique, durant la première moitié du XVIIIe siècle plus d’une vingtaine de coutumiers systématiques manuscrits, dès le milieu du XVIIIe siècle un imprimé vulgarisant la coutume et largement dif- fusé et, à partir de 1785, un recueil imprimé et commenté de la coutume. Si aucun coutumier n’a acquis force de loi, certain de ces ouvrages revêtent un caractère énigmatique.

544 BOYVE 1757, Examen ;BOYVE 1757, Instruction 241 pages ;BOYVE 1757, Instruction 261

pages.

545 BOYVE 1786, Examen. 546 BOYVE 1791, Examen. 547 OSTERVALD 1785, Loix, p. i-iv.

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Des documents à la destination ambiguë

Trois ouvrages suscitent des interrogations quant à leur affectation. Bien qu’au- cun coutumier n’ait été sanctionné par l’autorité, ils connaissent une certaine légitimité auprès du Conseil Étroit, ou des tribunaux.

Le premier est naturellement le coutumier de la Ville. Regroupant tous les points de coutume délivrés par le Conseil Étroit, il fait théoriquement office de document interne à cette administration. Cet ouvrage, n’ayant pas reçu de sanc- tion royale, devrait être strictement limité à l’usage du Petit Conseil pour l’aider à délivrer les points de coutume. Or, les nombreuses copies de ce coutumier témoignent d’une certaine publicité. Une remarque d’Ostervald dans une lettre à Keith confirme son accessibilité ; le coutumier est même susceptible d’être transmis à des tiers : « Messieurs les Quattre m’ont communiqué il y a deja une

couple d’années le gros volume qu’ils ont sur nos coutumes je l’ay eu chés moy plus de trois mois, […] »548. La diffusion d’un coutumier rédigé administrative- ment et utilisé par l’autorité responsable de dire la coutume suppose la recon- naissance implicite d’un droit écrit. Cette hypothèse est confirmée par le deu- xième document dont le rôle nous semble discutable, le coutumier d’Ostervald.

Rédigé à la demande de Frédéric II dans le but d’en faire le Code civil de la principauté de Neuchâtel, le coutumier d’Ostervald obtient finalement un droit d’impression549, mais n’est nullement sanctionné par l’autorité et reste de facto un ouvrage purement informatif. Pourtant, dans le mémoire qu’il adresse au Comte Schoulenbourg, Chambrier d’Oleyres affirme :

« Ce projet de code qui est le seul Ouvrage connu dans ce genre icy, ayant été publié après la mort de l’auteur, a acquis insensiblement une sorte d’autorité auprès des Tribu- naux où on le cite, par une sorte de défférence qui pourroit augmenter avec le tems, au point que cet ouvrage particulier sur la législation deviendroit par le fait ce qu’on eut entrepris vainement de le rendre si un tel projet de Code eut été proposé selon les formes ordinaires pour être sanctionné, […] »550

548 GStA PK, I. HA Rep. 64 Nr. 824, fol. 590r (7 août 1755). 549 AEN 1CE-129 (MCE), p. 158 (21 février 1785).

Des coutumiers suffisants

175 Cette déclaration est infirmée par un point de coutume délivré par le Petit Con- seil le 3 février 1795. L’avocat Godet demande une copie d’un article de la coutume qu’il cite en se référant au coutumier d’Ostervald551. Cet imprimé constitue donc bien une référence en matière de coutume, mais seuls les points de coutume délivrés par le Petit Conseil font foi, sans quoi Godet aurait pu s’éviter une telle demande.

Le dernier ouvrage dont l’utilisation est sujette à discussion est le coutumier de Favargier. Le contexte de rédaction de ce manuscrit demeure incertain. Il est toutefois sûr qu’il a été rédigé avant la succession de 1707 et qu’il ne répond par conséquent pas à la volonté de Frédéric Ier de codifier. Il pourrait s’agir d’une part d’une codification réalisée en secret par le Conseil de ville afin de garantir les anciennes coutumes lors de la succession à venir, qui s’annonce problématique depuis le procès de 1694. Jean-Jacques Favargier, son auteur, avait déjà soutenu Frédéric Ier lors de la succession de 1707. En remerciement, il reçut 1000 livres, mais fit remarquer dans une lettre adressée à Berlin qu’on lui avait promis beaucoup plus552. L’autre hypothèse, plus probable, suppose une rédaction privée de Favargier pour un usage personnel dans le cadre de son emploi de notaire, maître-bourgeois ou secrétaire de la Ville. Il le céderait au Petit Conseil dans un second temps. Dans les deux cas, au moment où la Ville le rachète en 1704, ce coutumier acquiert un statut particulier. La raison pour laquelle la Ville l’achète n’est pas spécifiée, le manuel mentionne seulement qu’il « […] est d’une tres grande Utilité […] »553. Matile relève l’appellation de

« petit coutumier de la ville »554 pour l’ouvrage de Favargier, nous ne l’avons pour notre part retrouvé nulle part. Toujours est-il que cet ouvrage a été utilisé

551 AVN B 101.14.002, fol. 86r (3 février 1795).

552 GStA PK, I. HA Rep. 64 Nr. 717, fol. 185-186 (sans date). Cette récompense n’a rien n’ex-

traordinaire, de nombreuses sommes furent versées aux différents acteurs de la succession de 1707, en fonction de l’ampleur de leur soutien. À ce sujet, voir : BACHMANN 1993, Sukzes-

sion, p. 268-277.

553 AVN B 101.01.01.011 (MCV), p. 247. 554 MATILE 1838, De l’autorité, p. 60.

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par le corps garant de la coutume et a ainsi revêtu une certaine autorité, ce qui explique qu’il a été reproduit bien plus que le coutumier de Meuron. Ces copies témoignent par ailleurs de sa publicité, ce qui exclut là encore de le considérer comme un simple document interne.

Sans qu’aucun de ces trois ouvrages n’acquière officiellement force de loi et ne puisse être qualifié de source formelle du droit, leur rôle au sein du système juridique neuchâtelois est capital. Il explique en partie le manque de nécessité d’élaborer un véritable code. Au fil du temps et des évolutions, l’autorité ga- rante de la coutume se dote d’écrits compilant, puis organisant la coutume : un grand coutumier chronologique dans un premier temps, puis un coutumier sys- tématique dès le début du XVIIIe. Ces documents internes connaissent une rela- tive publicité qui permet leur diffusion et offre ainsi aux citoyens un accès à la coutume. Le coutumier d’Ostervald s’est pour sa part imposé spontanément en raison des avantages d’un imprimé organisant thématiquement tous les points de coutume. Quant à savoir pour quelle raison la population, les autorités et surtout les juristes se contentent de tels outils de substitution à un code, il con- vient peut-être d’envisager qu’ils correspondent simplement aux besoins dans la principauté.